Aborigènes

  • Géographie
  • Amédée Tardieu
  • Encyclopédie moderne

Aborigènes. Deux historiens latins, Porcius Caton et Sempronius, recherchant les origines du peuple romain, marquèrent, comme un fait certain, l’existence en Italie, dans la Sabine, d’un peuple très ancien, nommé Aborigène, et dans ce peuple reconnurent un peuple grec. Denys d’Halicarnasse, en reproduisant avec respect leur opinion, n’osa l’accepter, et même contesta la valeur d’une tradition aussi incomplète et aussi obscure. Des historiens modernes, et surtout M. Micali, imitèrent en l’exagérant encore, la défiance de Denys d’Halicarnasse : ils virent dans le nom des Aborigènes une dénomination vague et générale, synonyme des mots indigenae, αυτοχθονες, αυθτγεβνετς, et dans le tableau que Virgile et d’autres poètes avaient donné des mœurs de ce peuple, une peinture idéale des premiers âges ; mais ils refusèrent de croire à l’existence d’un peuple particulier, nommé Aborigène et fixé en Sabine à une époque historique. Cependant Strabon mentionne les Aborigines parmi les peuples du Latium voisins de Rome, et les distingue expressément des Èques, des Volsques, des Herniques, en remarquant que tous ces peuples formaient autant d’États séparés. M. Raoul Rochette, dans son livre des colonies grecques, a reconstruit aussi complétement que possible l’histoire de ce peuple : admettant l’origine grecque qui lui est attribuée par Caton et Sempronius, il montre avec toute vraisemblance qu’il devait descendre de l’antique colonie des Pélasges Arcadiens conduite en Italie par Œnotrus et Peucetius. Cette colonie, suivant M. R. Rochette, passa par l’Épire et y séjourna, puis se démembra deux fois en Italie ; la partie la plus considérable, sous les ordres d’Ænotrus, remonta des régions méridionales jusqu’au Tibre, laissant de nombreuses traces de son passage que M. R. Rochette a savamment recueillies. Arrivé dans cette partie de l’Italie, qui fut plus tard appelée la Sabine, Ænotrus y fixa le siège de ses États, comme on le voit par une tradition que Servius rapporte d’après Varron. Les Ombriens, peuple vraiment italique et primitif, suivant Niebuhr, cédèrent la place aux Œnotriens ou Aborigènes, qui formèrent leurs principaux établissements autour de la ville de Réate. On attribuait encore, du temps de Denys d’Halicarnasse, la fondation de beaucoup de villes et de bourgs aux Aborigènes. Ici, Denys semble revenir à l’opinion de Sempronius et de Caton, qu’il n’avait pas, il est vrai, repoussée avec cette irrévérence que M. Micali lui a prêtée. Les principales villes citées par Denys d’Halicarnasse à ce titre sont : Palatium à 25 stades de Réate ; Suna, célèbre par un temple de Mars fort ancien ; Tiora ou Matiora fameuse par un ancien oracle de Mars, institué suivant le rit de Dôdone (fait important qui confirme les opinions de M. R. Rochette) ; Orvinium, ville remarquable par son étendue ; par les tombeaux et par le temple de Minerve qu’elle renfermait ; enfin Lista, capitale des Aborigènes. Cette dernière ville fut prise par les Sabins, peuple que Strabon appelle autochthone (il faut entendre par là que ce peuple ne descendait pas d’une colonie de nations étrangères à l’Italie). Ces Sabins chassèrent, les Pélasges Aborigènes, comme ceux-ci avaient chassé les Ombriens, et les repoussèrent dans le Latium, où, suivant le témoignage, déjà cité, de Strabon, ils fondèrent de nouveaux établissements, pour disparaître ensuite absorbés dans les premières conquêtes des Romains. — Ainsi le nom d’Aborigènes, nom de formation latine, désigne certainement un peuple grec, les Pélasges Arcadiens ou Œnotriens qui, dès la plus haute antiquité, dès l’origine, ab origine, occupèrent le pays des Latins. Telle est l’opinion que M. Raoul Rochette a fait prévaloir dans la science.