Acéphale

  • Histoire naturelle
  • Bory de Saint-Vincent
  • Encyclopédie moderne

Acéphale, c’est-à-dire qui n’a pas de tête. Et qui croirait que des êtres organisés vivants pussent se passer de tête pour exister ? Cependant il en est une multitude, et la moitié des animaux sont peut-être privés d’une partie sans laquelle le vulgaire ne conçoit pas qu’on puisse agir. Nous disons la moitié, parce que, outre les nombreuses tribus d’acéphales avérés que Linné confondait dans son immense classe des vers, et que les naturalistes en ont aujourd’hui distinguées, ces myriades d’animalcules dont le microscope démontre l’existence se meuvent, se recherchent, se fuient, jugent et exercent d’autres facultés, encore qu’ils n’aient pas de tête. Il en est qui n’ont pas même de partie antérieure déterminée, comme on le verra quand il sera question des genres protée et volvoce.

M. de Lamarck employa, dans la première édition de son précieux ouvrage intitulé : Histoire des animaux sans vertèbres, le nom d’acéphales pour caractériser un ordre de mollusques dans lesquels on ne reconnaît pas de tête distincte. Cet ordre était loin de renfermer tous les êtres auxquels son nom eût pu convenir ; il a donc été aujourd’hui appelé des conchifères, et renferme la plupart des coquilles à deux valves : en effet, qui n’a pas remarqué que la moule et l’huître n’offrent rien qui rappelle l’idée d’une tête, tandis que les univalves, dont les limaçons nous présentent un exemple vulgaire, en sont généralement munis ? Aussi notre savant ami le baron de Férussac les appelle-t-il, par opposition, acéphales.(Voyez : Coquilles).

Dans le langage ordinaire on a restreint la signification du mot acéphale aux petits des animaux d’ordre supérieur qui manquent de tête, ou d’une partie des organes qui constituent l’ensemble de cette partie ; de tels acéphales ne sauraient vivre, dès que leur naissance les prive des secours nutritifs qu’ils devaient à leur mère. L’illustre Geoffroy de Saint-Hilaire s’est sérieusement occupé de ces acéphales ; il a porté le plus grand jour dans leur histoire et rendu parfaitement raison des règles qui déterminent les causes de l’acéphalie.

Les acéphales, qui ont été l’objet des belles recherches de ce savant professeur, sont généralement regardés comme des monstres ; en effet, dans l’acception rigoureuse de ce mot, qui suppose des êtres bizarres et hors des règles de la forme habituelle à leur espèce, les acéphales sont des produits monstrueux : mais ces produits monstrueux ne sont pas pour cela hors des lois qui président à une organisation régulière ; car les lois imposées à la matière vivante ne sont pas capricieuses, elles sont le résultat des propriétés de cette matière même qui, placée dans telle ou telle circonstance, s’organise selon les éléments variés qui l’y poussent et dont les moindres changements peuvent déterminer un mode d’organisation nouveau. Peut-être les acéphales, comme tous les autres monstres, ne sont-ils que des espèces nouvelles qui ne sauraient vivre, et conséquemment se perpétuer, que parce que des organes indispensables à leur existence viennent à leur manquer. En effet, on voit des monstres par excès, vivre, se reproduire et perpétuer leur monstruosité. Les monstres en moins paraissent au contraire condamnés à finir dès qu’ils ont vu le jour. C’est au mot Monstres que, nous occupant de toutes les aberrations organiques, nous tracerons l’abrégé de l’histoire des acéphales, d’après les lumineuses idées de M. Geoffroy.