Actes des saints

  • Histoire religieuse
  • Alfred Maury
  • Encyclopédie moderne

Actes des saints. On donne le nom d’actes à la relation des actions accomplies par un saint et rédigée pour l’édification des fidèles, soit par le saint lui-même, soit par un témoin de sa vie. Ces sortes de biographies laudatives, entremêlées presque toujours de merveilleux, sont les sources les plus ordinaires auxquelles ont puisé les hagiographes des temps modernes.

Les chrétiens des âges primitifs composèrent les actes des fondateurs de leur foi ; ils rédigèrent ceux du Sauveur et des Apôtres. Les premiers, désignés généralement sous le nom d’Évangiles, forment une classe spéciale d’écrits dont nous n’avons pas à nous occuper ici ; quant aux seconds, qui sont en grand nombre, ce sont eux qui constituent, à proprement parler, les plus anciens actes connus.

Parmi ces actes des apôtres, il existe un livre auquel ce nom a été plus particulièrement imposé, et que l’Église a reçu dans son canon, c’est celui que l’on nomme vulgairement les Actes des apôtres. Comme il se raccorde assez bien avec l’Évangile selon saint Luc, et qu’il semble, jusqu’à un certain point, en être la continuation, on en a attribué la rédaction à cet évangéliste. Cette hypothèse est encore corroborée par le fait que ce livre est surtout consacré à la relation des actions de saint Paul, apôtre dont la tradition veut que saint Luc ait été le disciple. Quoique ces motifs de rapporter la rédaction des Actes à ce saint ne laissent pas d’être plausibles, cependant ils ne suffisent pas pour démontrer le fait. Les données manquent pour préciser l’année à laquelle cette composition remonte : tout ce que l’on peut affirmer, c’est que cette année n’est pas antérieure à l’an 63, puisqu’il n’est pas fait mention dans ces Actes, des événements qui se sont passés au delà de la seconde année de l’emprisonnement de saint Paul. Or c’est précisément la connaissance d’une date précise qui pourrait jeter quelque jour sur le véritable auteur de cet ouvrage. On n’est pas plus avancé sur la question de savoir en quel lieu les Actes des apôtres ont été rédigés, problème sans la solution duquel la recherche énoncée s’entoure de plus d’incertitudes encore.

Il est à remarquer que l’auteur anonyme de cet ouvrage ne raconte guère que les faits dont il semble avoir été le témoin oculaire ; et si, d’un côté, cette circonstance ajoute au degré de confiance que l’on doit avoir dans son exactitude et dans sa véracité, de l’autre elle nous fait supposer qu’il était bien peu au courant des grands événements du christianisme, même de ceux qui avaient dû parvenir à la connaissance de tous les fidèles. Ainsi le silence le plus étrange est gardé dans les Actes sur ce qui se passa à Jérusalem chez les chrétiens après la conversion de saint Paul, sur les actions des apôtres en Palestine, en Arabie, en Égypte, à Babylone, en Perse, sur la conversion des Juifs, sur le martyre de saint Jacques le mineur. Or il est difficile de s’expliquer comment saint Luc, disciple de saint Paul, l’un des premiers, si ce n’est le premier apôtre de la foi nouvelle, ait été si mal renseigné sur des faits qui avaient dû vivement préoccuper l’esprit de son maître. Nous croyons à peine nécessaire d’ajouter que si un homme inspiré avait été l’auteur des Actes, on devrait encore moins y rencontrer ces lacunes ; car l’inspiration eût dû suppléer au manque de connaissances et de renseignements de l’auteur, et il n’est pas raisonnable de supposer qu’il soit entré dans les vues de Dieu de nous apprendre les actions de plusieurs de ses apôtres, tandis qu’il nous laissait dans la plus complète ignorance sur les actions non moins grandes, non moins pieuses, non moins utiles certainement, accomplies par les autres. Il est d’ailleurs un fait assez remarquable, et qui doit achever d’ébranler l’hypothèse qui attribue à saint Luc la rédaction des Actes des apôtres, c’est qu’on n’y rencontre aucune allusion aux Épitres, qui devaient cependant occuper une si grande place dans l’histoire de saint Paul ; que plusieurs faits fort importants de la vie de celui-ci, mentionnés dans ses Épitres, ne figurent en aucune façon dans les Actes ; enfin, nous ajouterons que l’auteur des Actes ne dit absolument rien de ce que saint Luc lit à Philippes, en l’absence de son maître, circonstance qui a fort embarrassé les partisans de l’idée que nous combattons, et qu’on a bien mal expliquée par un acte de modestie de l’auteur, qui n’aurait rien voulu dire de sa propre personne : cette explication est en effet bien invraisemblable, puisqu’il s’agissait ici, non de se mettre en scène, mais de renseigner les fidèles sur la manière heureuse et rapide dont tour foi s’était répandue.

Ainsi, pour nous, il est plus que douteux que les Actes des apôtres soient dus à la plume de saint Luc ; et nous pensons que, si cet évangéliste est entré pour quelque chose dans leur rédaction, on doit admettre qu’un chrétien anonyme les aura composés sur ce qu’il lui aura entendu raconter au sujet des apôtres et surtout de saint Paul.

Nous avons dit que les faits consignés dans ce livre semblent être rapportés par un témoin oculaire, et que cette circonstance doit ajouter au degré de confiance qu’il peut nous inspirer. Hâtons-nous d’ajouter cependant qu’il n’est nullement certain que ces Actes nous soient parvenus purs de tout remaniement et qu’ils n’aient subi aucune altération. Ainsi, au chapitre ix, où est relatée la conversion de saint Paul, un copiste a fait évidemment une addition tirée du chapitre xxvi. Les nombreuses digressions et les remarques littéraires qu’on rencontre dans les discours du diacre Étienne sont un embellissement évident des copistes, ou tout au moins une œuvre tirée de l’imagination de l’auteur anonyme, et cette harangue ne mérite pas plus de créance que celles que Tite-Live et Tacite placent dans la bouche de leurs personnages.

Quel motif a déterminé l’Église romaine à recevoir dans son canon ce livre, de préférence et par exclusion même à d’autres écrits également destinés à faire connaître les actions des apôtres ? La raison en est simple : c’est que ces derniers écrits se trouvaient en désaccord, soit par les faits qui y étaient consignés, soit par les doctrines qu’ils renfermaient, avec les enseignements de l’Église ; c’est qu’elle condamnait comme hérétiques, c’est-à-dire comme enseignant des idées contraires aux siennes, tous les ouvrages qui émanaient d’esprits qui n’avaient point accepté son joug. Or, comme les Actes des apôtres que nous possédons avaient été rédigés sous l’influence du christianisme hellénique, dont elle confirma les opinions en les adoptant, il est tout simple qu’elle ait rejeté ceux qui avaient été composés sous l’influence du christianisme oriental, et qui blessaient ses doctrines. Cette observation nous explique pourquoi nous ne possédons rien d’authentique, ou de déclaré tel par l’Église romaine, sur la propagation de la foi dans l’Asie par les premiers apôtres, les historiens de cette phase de l’histoire du christianisme primitif, pénétrés des doctrines orientales, ayant été récusés comme hérétiques. Il est d’ailleurs facile, enlisant les Actes des apôtres, de se convaincre de la prédominance du système hellénique, adopté par saint Paul dans cette composition. L’auteur a eu bien soin de rapporter fort peu de chose des controverses qui s’étaient élevées sur l’observation de la loi lévitique ; il n’a rien dit de la confusion qu’elle produisit chez les Galates. C’est l’œuvre adroite d’un adhérent des doctrines opposées au judaïsme soutenu par saint Pierre, et qui s’est bien gardé d’ébranler la confiance en son opinion par le récit des difficultés qu’elle avait soulevées.

Ainsi en adoptant cet écrit comme canonique, l’Église n’a nullement établi qu’il fût plus authentique que les autres relations des faits apostoliques. Les différents actes des apôtres portent à peu près le même caractère apocryphe, c’est-à-dire que ce sont tous des récits dont le fond est certainement vrai, mais auxquels ont été entremêlées beaucoup de fables ; ces écrits ont été abrégés, remaniés, amplifiés par les copistes, et sont devenus, en un mot, des légendes comme celles qu’on a vues, plus tard, se répandre en si grand nombre chez les fidèles.

Les faits que nous venons d’exposer expliquent pourquoi tous les livres réputés apocryphes ont toujours été regardés par l’Église comme l’œuvre des gnostiques, des encratites, des ébionites, des priscillianistes, des manichéens ou de toute autre secte, bien que le petit nombre de témoignages des dissidents que nous avons conservés et la critique moderne nous apprennent que les orthodoxes n’étaient pas moins osés que les hérétiques, en fait de suppositions et de fraudes. On ne connaît plus guère que de nom les trois quarts de ces curieuses relations repoussées par l’Église et dans lesquelles se trouvaient consignés, sans doute, tant de faits actuellement oubliés ; nous citerons par exemple : la Mort de saint Jean, par Euripe ; l’Histoire de saint Jean l’Évangéliste, par Prochore ; la Mort de Simon et des apôtres, par Marcel, etc., etc.

Les plus célèbres de ces actes réputés apocryphes sont ceux qui nous restent encore sous le titre d’Actes apostoliques d’Abdias ou Histoire des combats des apôtres ; Fabricius les a publiés dans son Codex pseudepigraphus Novi Testamenti. Ils sont attribués à l’un des soixante-douze disciples de Jésus-Christ, Abdias, prétendu évêque de Babylone. On y trouve des renseignements curieux, mais en grande partie supposés, sur les actions accomplies par les apôtres dans leurs voyages en Asie, de sorte qu’ils complètent les lacunes des Actes des apôtres, puisqu’ils s’étendent précisément sur les faits dont cette dernière composition n’avait rie» touché. Un des anciens éditeurs, ou peut-être même l’auteur, a indiqué en tête de cet ouvrage, qu’il avait été écrit en hébreu par Abdias, traduit en grec par son disciple Eutrope, et du grec en latin par Jules Africain. Tout fait néanmoins supposer que ces acte apostoliques ne formaient pas, dans l’origine, un corps d’ouvrage, mais étaient des actes séparés qui furent réunis plus tard et placés collectivement sous le nom d’Abdias y que la tradition représentait comme ayant écrit sur les gestes des apôtres. Les actes de saint André, de saint Pierre, de saint Jean et de saint Thomas, qui y figurent, sont probablement ceux qui sont mentionnés par Eusèbe comme l’œuvre des hérétiques. Peutêtre aussi ces derniers sont-ils le même ouvrage que la lettre attribuée aux prêtres d’Achaïe, disciples de saint André, lettre qu’on veut avoir été une fabrication des manichéens, et dont Ch. Chrét. Woog a donné une excellente édition.

Un grand nombre de ces actes apocryphes paraissent avoir été l’œuvre d’un certain Leucius, Lucius ou Léontius Carinus, qui avait été disciple de l’apôtre saint Jean dans son extrême vieillesse, et qui lui survécut. Rien n’était plus fréquent, durant les premiers siècles du christianisme, que ces suppositions de livres que l’on plaçait sous le nom d’un apôtre ou d’un disciple des apôtres, afin de leur attirer la confiance des fidèles, livres dans lesquels on avait soin de produire des faits à l’appui des opinions que l’on désirait voir triompher. Et ces suppositions remontent au berceau même de la foi, puisqu’un prêtre d’Asie fut convaincu par saint Jean l’Évangéliste d’avoir composé un récit apocryphe des aventures de saint Paul et de sainte Thècle, récit dont ce que nous avons encore actuellement, sous le nom de Basile de Séleucie, semble être l’extrait ou l’imitation. Malgré ce désaveu si solennel, cette histoire mensongère n’en continua pas moins de jouir, dans la suite, d’un certain crédit.

Les chrétiens ne se bornèrent pas à composer les actes de leurs premiers apôtres, ils rédigèrent encore, afin de servir à l’édification des membres de l’Église militante, ceux de leurs martyrs, c’est-à-dire, des fidèles qui Avaient confessé leur foi dans les supplices. Les noms des martyrs furent d’abord célébrés par les chrétiens dans les prières qui avaient lieu en commémoration de leur mort ; on forma dans ce but des espèces de calendriers dans lesquels étaient indiqués pour chaque jour de l’année les noms de ceux dont on honorait la mémoire. Ces noms étaient inscrits sur des tablettes ou dans des registres qui étaient souvent envoyés aux différentes églises. Cet usage est fort ancien, puisque, dès le quatrième siècle, nous voyons que l’on faisait parvenir à Rome l’état des martyrs. Saint Cyprien recommandait particulièrement que l’on eût som de remarquer le jour de la mort des martyrs et des confesseurs qui avaient souffert pour la foi, afin qu’on pût y célébrer leur mémoire.

À ces nomenclatures un peu sèches, on joignit de bonne heure quelques détails sur la vie des martyrs, et le plus ordinairement un extrait de leurs procès qu’avaient écrits à la hâte et en secret des témoins chrétiens, ou qu’on avait tirés des archives, en gagnant ceux auxquels elles étaient confiées. C’est à ces extraits qu’on donna plus spécialement le nom d’Actes. Dans la suite on imposa le même nom à des récits plus circonstanciés de la vie des martyrs, rédigés pour l’usage des fidèles ou consignés dans des lettres, dans des homélies ou exposés même dans des ouvrages plus étendus. Pour distinguer ces derniers actes des premiers, on ajouta à ceux-ci l’épithète de présidiaux. Mais ces actes présidiaux n’offrent guère plus de garantie d’authenticité que les autres. Tous ont été recueillis par des hommes simples et ignorants, puis singulièrement amplifiés par l’enthousiasme, surtout dans les lettres et les homélies, genre de narrations pour lesquelles les auteurs ne se piquaient pas d’une grande exactitude. Il est vrai que l’on a prétendu que l’Église avait établi de bonne heure une critique sévère pour que de faux actes ne surprissent pas la piété des fidèles. On a dit que les évêques avaient institué des logothètes ou notarii, qui étaient chargés de tenir des registres exacts des actions des martyrs. Mais, outre qu’on peut faire remarquer l’extrême difficulté de trouver à cette époque, parmi les chrétiens, des gens assez éclairés pour n’être pas dupes de la tendance mystique et du goût pour le miraculeux qui subjuguaient alors tous les néophytes, on sait de plus que ce fait est loin d’être solidement établi. On n’a pour rapporter cette institution à saint Clément que l’autorité, plus que controversée, du livre pontifical du faux Damase, sur laquelle on s’appuie encore pour soutenir que saint Fabien, qui vivait cent cinquante ans après saint Clément, établit sept diacres à l’effet de remplir l’office de gardiens des actes. On doit d’autant plus se défier de cette assertion, que les actes des martyrs, venus de la ville de Rome, que l’on possède n’ont été composés que fort longtemps après les persécutions. Enfin ; alors même qu’il eût existé, dès les premiers siècles de l’Église, des actes entourés de caractères tant soit peu fondés d’authenticité et auxquels on pourrait accorder créance, la persécution de Dioclétien les eût fait presque tous disparaître, puisque les édits de cet empereur ne furent pas seulement dirigés contre les adhérents de la foi nouvelle, mais encore contre leurs livres et leurs écrits, dont ils ordonnaient la destruction. Ainsi les actes antérieurs à l’an 303, époque de l’édit, durent échapper en petit nombre, et ce petit nombre dut rendre encore plus faciles les suppositions et les altérations, en enlevant les moyens de contrôle qui pouvaient dénoncer les faussaires.

Le peu d’actes que nous possédons d’une époque réellement ancienne nous attestent même. par la simplicité de leur récit et l’exiguïté de leur contenu, les altérations et surtout les additions qu’avaient dû subir les actes qu’on a répandus depuis et qui fourmillent tous des circonstances les plus merveilleuses et les plus invraisemblables. Leur chiffre se multipliant sans cesse, grâce aux fraudes pieuses et à l’avide crédulité du commun des fidèles, on s’exagéra considérablement le nombre des martyrs, les supplices qui leur avaient été infligés, et cela fit paraître bien plus grands les empêchements que le christianisme avait rencontrés à son établissement.

C’est au zèle et à la diligence de saint Pamphile, prêtre de Césarée en Palestine, qui avait recueilli dans sa bibliothèque un grand nombre de ces actes, que l’on est redevable de leur conservation. C’est dans ce dépôt qu’un évêque de la même ville, compagnon et ami de saint Pamphile, le célèbre Eusèbe, puisa pour composer ses Actes des anciens martyrs, qui se perdirent malheureusement de bonne heure, sans doute parce que leur simplicité n’avait pas pour les âmes crédules le même attrait que les légendes où les miracles étaient rapportés avec profusion. Grégoire le Grand les fit chercher vainement dans toute la chrétienté. Toutefois on peut juger par le livre des martyrs de la Palestine que nous avons encore d’Eusèbe, de ce que pouvait être sa composition. Cent ans avant lui, Jules Africain avait composé une histoire des martyrs de Rome et d’Italie.

Lorsque le temps des persécutions commença à s’éloigner, que les martyrs devinrent de plus en plus rares, on se mit à composer d’autres actes dans lesquels était relatée la vie des chrétiens les plus éminents par leur piété. On écrivit ainsi les biographies des hommes enthousiastes qui se précipitaient en foule dans les déserts pour s’y livrer à toutes les rigueurs de la vie ascétique. Saint Athanase, Ammonius, Timothée d’Alexandrie, saint Éphrem, saint Grégoire de Nysse, saint Jérôme en donnèrent les premiers essais. À ces ouvrages succédèrent les histoires ou recueils d’actes d’Évagre de Pont, de Rufin d’Aquilée, de Pallade d’Hellenople, d’Héraclide d’Éphèse, de Sulpice-Sévère. Après quoi, vinrent les compositions de Cassien, de Théodoret, de Sophronius, de Jean Mosch, et de divers autres Grecs qui donnèrent la vie des Pères d’Orient. En Italie, Grégoire le Grand ; en Gaule, Grégoire de Tours écrivirent l’histoire des hommes de ces deux pays renommés par leur piété.

Ce fut alors que commencèrent à paraître les vies de saints proprement dites, qui bientôt se substituèrent complètement aux actes ; l’histoire de ces compositions appartient à celle de l’hagiographie. Les anciens actes furent désormais compris dans les recueils plus volumineux destinés à présenter la vie circonstanciée des chrétiens que les évêques,puis après eux, les pontifes romains, canonisèrent. Les actes des martyrs qui remontaient aux premiers siècles du christianisme furent alors soumis à de nombreuses interpollations. Chaque secte corrompit à son gré les textes primitifs : catholiques, donatistes, ariens, macédoniens, nestoriens, eutychiens, au milieu des dévastations des barbares qui renouvelaient en partie les destructions ordonnées par Dioctétien, altéraient à l’envi les actes qui étaient demeurés en petit nombre ; et ces actes ainsi remaniés étaient copiés et bien vite propagés à raison du besoin de livres pieux, lequel se faisait d’autant plus sentir que la destruction des anciens avait été plus générale ; en sorte que l’erreur se répandait de plus en plus. Les efforts qui furent faits par certains membres du clergé pour recueillir les actes véritables et en former un livre authentique qu’on pût, en toute confiance, proposer à l’admiration des fidèles, restèrent complètement infructueux. Le défaut de critique, l’ignorance ou la crédulité du collecteur frappait toujours à ce point de vue son œuvra de nullité. C’est ce qui arriva à saint Céran, qui vivait au commencement du septième siècle, sous le roi Clotaire II, et qui entreprit de rassembler les actes des martyrs. L’ignorance ou la fourberie des personnes qu’il était obligé d’employer, enleva à son ouvrage la critique qu’il aurait voulu y apporter ; on sait, en effet, comment ce saint fut dupe de la mauvaise foi de Warnharius, prêtre de Langres, qui fabriqua les actes des trois jumeaux qu’on lui’ demandait. Il ne nous est rien resté des actes que rassembla ou que composa, cinquante ans après saint Céran, saint Trajectus ou saint Prix. Adelhard, qui vivait à la fin du même siècle, et qui mourut en 709, a publié dans son livre De la louange de la virginité, des ex-. traits d’actes des martyrs. On voit, dit Baillet,par l’usage qu’il en a fait, que les actes faux ou falsifiés des saints des provinces les plus éloignées de l’Asie étaient déjà fort répandus de son temps et qu’ils avaient passé jusqu’en. Angleterre. Le même Adelhard a composé des Vies de solitaires et de moines qui n’ont jamais été imprimées. Au neuvième siècle, Anastase le bibliothécaire et Jean Diacre, son ami, l’auteur de la Vie de Grégoire le Grand, travaillèrent à Rome, sous le pape Jean Vin et ses successeurs, à recueillir les actes des martyrs. Le premier en traduisit plusieurs du grec en. latin ; il en composa même quelques-uns d’après les mémoires qu’il avait rapportés de son voyage à Constantinople et en Grèce. Les auteurs postérieurs à ceux que nous venons de citer ouvrent une ère nouvelle pour les actesdes martyrs. La fable joue dans leurs écrits une si large part, les exagérations dont Simon le Métaphraste donna le premier exemple et enseigna les règles, y devinrent si habituelles, qu’en se travestissant universellement en légendes, les actes perdirent tout droit à la confiance des hommes sérieux.

Au dix-septième siècle, le père Heribert Rosweide, d’Utrecht, conçut le difficile projet de publier sur de nouvelles bases les actes de tous les saints, après les avoir soumis à une critique sévère ; mais cette colossale entreprise ne fut mise à exécution qu’après sa mort, qui eut lieu en 1629 : ce fut Jean Bollandus qui en fut chargé. Il eut pour collaborateurs Godefroi Henschenius et Daniel Papebroch, qui lui succédèrent après sa mort, arrivée en 1665. Le travail se continua activement ; de nouveaux collaborateurs furent adjoints à ces derniers et les remplacèrent à leur tour. De ce nombre furent D. Cardon, Conrad Janning, François et Bært. Cependant, ce grand travail n’a jamais été terminé, et il s’arrête aujourd’hui à la fin du mois d’octobre. Il a été l’objet de nombreuses critiques ; Papebroch l’a défendu avec savoir ; mais, malgré la reconnaissance que l’on doit aux hommes laborieux qui ont accompli une si grande œuvre, on ne peut se dissimuler que leur ouvrage a été composé sans critique réelle, et qu’il est empreint, à chaque page, de cette crédulité, de cette passion du miraculeux qui a été, au reste, de tout temps l’un des caractères de l’esprit monastique.

Plus éclairé et plus sévère dans son choix que les Bollandistes (tel est le nom que l’usage a imposé à Jean Bolland et à ses successeurs), D. Thierri Ruinart, bénédictin de Saint-Maur, publia en 1689 les Actes choisis des premiers martyrs. Néanmoins l’historien ne doit puiser dans cette intéressante collection qu’avec la réserve que réclame l’emploi de témoignages émanés de gens aussi peu éclairés qu’étaient les chrétiens primitifs.

Les Actes de saints et martyrs ont été recueillis pour divers pays, par Colganus pour la Grande-Bretagne, par Étienne Ghesquier pour la Belgique et la Flandre, par Assemani pour les églises d’Orient.

Outre les actes qui ont été réunis dans ces collections, un grand nombre furent encore insérés dans les missels et dans les sacramentaires. Nous avons dit que les passions des martyrs étaient lues dans les églises après l’Écriture sainte, au jour anniversaire de leur mort. Cet usage fut d’abord suivi dans l’Église d’Afrique, comme nous le voyons par un canon de l’Église de Carthage ; il ne s’établit que plus tard dans l’Église romaine, et on le voit en vigueur à Rome, sous le pape Adrien Ier. Dans les églises d’Occident ces lectures se faisaient à la messe, avant l’évangile et l’épître, et on en répétait le résumé à la préface ou contestation. Voilà comment les actes s’introduisirent dans les sacramentaires et les missels. Ils furent même, dans certaines églises, rassemblés dans des livres spéciaux, auxquels cette circonstance valut le nom de Passionnels. Les actes furent introduits par là dans la liturgie, et ils commencèrent ainsi à figurer dans les bréviaires. Cependant, malgré la sanction nouvelle que les actes reçurent par cette insertion dans les prières consacrées par l’Église, ils n’en offrent pas moins un caractère de critique et d’authenticité très insuffisant.