Administration
- Politique
- J.-P. Pagès
- Encyclopédie moderne
Administration. Administrer veut dire assister et régir ; ce mot s’applique spécialement à toute régie qui exige la protection de certaines personnes et la gestion de leurs affaires.
Nous ne pouvons traiter ici que de l’administration publique. Quelle que soit la forme du corps politique, sa puissance se compose de trois éléments, le pouvoir qui dispense les lois générales, celui qui les fait exécuter par la généralité des citoyens, et celui qui, selon les différentes divisions du pouvoir et des territoires, rend l’exécution des lois plus facile et plus profitable à chaque localité. Montesquieu a fait de l’ordre judiciaire un pouvoir séparé et indépendant : cependant l’administration de la justice n’est qu’une partie de l’administration publique ; et si ce publiciste parlementaire, au lieu de vivre sous l’empire des cours souveraines, eût vécu sous la liberté des communes de France avant la féodalité ou après leur affranchissement, il eût reconnu que non-seulement l’ordre judiciaire, mais que tout l’ordre administratif jouissait et devait jouir, pour le bonheur des citoyens, d’une véritable indépendance politique.
Dans les républiques de la Grèce, dans les républiques italiennes, dans les cités des Gaules, dans les villes du moyen âge, on trouve partout la puissance législative qui pose les règles d’administration publique, et le pouvoir exécutif ou gouvernement chargé de l’administration générale ; mais les localités se sont constamment administrées par elles-mêmes. C’est par des magistrats temporaires et de leur choix qu’elles percevaient les impôts, dispensaient la justice ; elles veillaient à l’ordre intérieur par une police paternelle et par des milices communales. Le pouvoir législatif ne s’adressait qu’à la généralité des citoyens de l’État ; le pouvoir exécutif ne s’adressait aussi qu’à la généralité des individus dont les localités se composaient. C’est ainsi que la tyrannie ne pouvait exister ni dans la loi ni dans le gouvernement, parce que ni l’une ni l’autre ne pouvaient atteindre un citoyen isolé, et que celui-ci, quelque puissant, quelque obscur qu’il pût être, ne pouvait être protégé ou puni que par les magistrats qu’il avait élus et qui avaient besoin d’être justes pour obtenir la conservation de leur dignité. Les derniers vestiges de cette administration ont été détruits en France par l’ordonnance de Moulins et par l’édit de 1692 ; les pays d’états, dès longtemps dénaturés dans leur essence même, n’en offraient plus qu’une image mensongère.
Si les intérêts locaux ne peuvent être protégés que par des administrations locales, les administrations locales ne doivent s’occuper que des intérêts locaux. L’ordre public appartient au gouvernement, et cet ordre ne peut être troublé par les sociétés municipales ; elles unissent les citoyens entre eux sans les séparer de l’État ; elles distribuent avec justice et allègent par conséquent la rigueur des lois, le fardeau des impôts et le poids de l’obéissance. Mais l’administration publique doit, tant qu’elle est juste, trouver dans les administrations locales toujours un appui et jamais un obstacle. Aussi le gouvernement est-il sans cesse intervenu dans les gestions municipales ; et sa présence y était nécessaire, soit comme protectrice des citoyens que des magistrats poursuivaient injustement, soit comme protectrice de la société à qui les communes refusaient les redevances ou l’appui indispensables à son existence : les préfets dans les provinces romaines ; les missi dominici, sous la dynastie carlovingienne, et plus tard, les procureurs du roi dans l’ordre judiciaire, les intendants dans l’ordre civil, et les gouverneurs dans l’ordre militaire, avaient cette unique et salutaire mission.
Mais les meilleures institutions se dénaturent. Le pouvoir exécutif, permanent en tous lieux et presque toujours héréditaire, finit partout par usurper la puissance législative, et alors il devient le despotisme ; il usurpe ensuite l’administration des localités, et n’est plus alors qu’arbitraire et tyrannie. Du moment où le citoyen n’est plus protégé au sein de sa famille et dans le foyer domestique par des magistrats de son choix ; du moment où il se trouve isolé, sans appui, sans garantie, face à face avec les mandataires du pouvoir suprême, qui, sous prétexte de la sûreté publique, peuvent nuire à sa sûreté privée, qui, sous prétexte des intérêts publics peuvent attenter à ses intérêts particuliers, le pays cesse d’être régi pour le bien commun ; il est gouverné, mais il n’est plus administré : l’administration a disparu sous les envahissements du gouvernement.