Aérostiers

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Aérostiers. En l’an II de la république française, Monge conçut l’idée de se servir des aérostats pour observer l’ennemi du haut des airs. Sur l’avis favorable d’une commission d’examen, que Monge lui-même présida, et parmi les membres de laquelle figurèrent Bertholet, Fourcroy, Guyton-Morveau et la plupart des autres savants de l’époque, le comité de salol public goûta ce projet et permit que l’exécution en fût expérimentée. Il ne l’adopta toutefois qu’à cette condition que pour enfler les aérostats il ne serait point fait usage d’acide sulfurique, parce que la rareté du soufre, réservé alors pour la seule fabrication de la poudre, ne permettait pas de lui donner un autre emploi. Une compagnie d’aérostiers, c’est-à-dire d’ouvriers militaires qui devaient travailler à la confection des aérostats, les mettre au besoin en état de servir, et en diriger la manœuvre, fut immédiatement formée et s’exerça sur plusieurs points des environs de Paris, mais notamment dans le parc du château de Meudon. C’est là que fut construit le principal aérostat militaire, le seul, croyons-nous, qui ait été jamais mis en campagne. L’aérostat dont il est ici question, était en taffetas, mesurait trente mètres de circonférence, et pouvait, au moyen de deux longues cordes, prendre son essor jusqu’à cinq cent quarante mètres de hauteur.

Le premier essai de cette étrange machine de guerre eut lien, en 1794, au siège défensif de Maubeuge. Les Autrichiens qui assiégeaient la place, contrariés de l’espionnage que le capitaine Coutelle, qui montait la nacelle, exerçait sut leurs immenses travaux, avancèrent pendant la nuit une pièce de dix-sept, l’appuyèrent au fond d’un ravin, et tirèrent la machine au vol, mais tous leurs boulets la manquèrent. Dans le courant de la même année le même aérostat fut conduit au siège offensif de Charleroi, et, peu de jours après, figura à la bataille de Fleurus. Le capitaine Coutelle y resta neuf heures en observation pendant la bataille, et son ascension paraît avoir eu quelque influence sur le succès de la journée, moins peut-être à cause de l’utilité des renseignements qu’il put transmettre ainsi au général en chef, Jourdan, renseignements exacts sinon complets, qu’à cause de la confiance que la vue de la machine inspirait à nos soldats de l’armée de Sambre-et-Meuse, et de la frayeur qu’elle produisait sur les Autrichiens. L’aérostat fut ensuite mené an siège offensif de Mayence. Le capitaine Coutelle s’y éleva dans les airs à demi-portée de canon des remparts, domina la place de trois cents mètres, et découvrit toutes les dispositions de l’assiégé, ses réserves, ses batteries masquées, ses points de résistance. Le 14 brumaire de l’an IV, une deuxième compagnie d’aérostiers fut créée, et celle qui avait appartenu à l’armée de Sambre-et-Meuse fit plus tard partie de l’expédition d’Égypte ; mais nous ne sachions pas qu’elle y ait joué aucun rôle, et à dater du consulat l’usage de l’aérostat militaire fut tout à fait abandonné.

Ce mode d’exploration, plus ingénieux encore qu’utile, était d’un emploi malaisé. Mille embarras le contrariaient. D’abord le maintien de l’aérostat à un point fixe de l’espace était presque impossible ; la lutte du ballon contre les vents, et, par suite les continuelles oscillations de la nacelle, suscitaient de continuels obstacles ; à trois ou quatre reprises, au siège de Mayence, la machine fut si violemment rabattue jusqu’à terre, que les planches de la nacelle se brisèrent du choc. Soixante-quatre hommes, divisés en deux groupes qui tenaient chacun une des deux cordes, pouvaient à peine suffire à enchaîner le vol de ce gigantesque aérostat ; quelquefois, par l’effort des vents, ils étaient entraînés à cent ou deux cents pas de distance. Guyton-Morveau proposait qu’on essayât de captiver les ballons militaires en les attachant par de forts câbles à des pieux fichés dans le sol ; mais ce moyen eût échoué assurément, car il ne fallait pas moins que l’élasticité du bras humain pour prévenir la rupture des cordes. — Autre difficulté : comme on ne pouvait employer l’acide sulfurique pour enfler le globe, il fallait recourir à la décomposition de l’eau, et ce procédé non-seulement ne demandait pas moins de cinquante heures, mais encore exigeait un appareil considérable. — Puis, l’aérostat devait toujours rester plus ou moins gonflé, et c’était une cause d’innombrables embarras quand on voulait le transporter d’un point sur un autre. Aussi son départ de Maubeuge, d’où on ne put le faire sortir qu’en le dirigeant au-dessus des maisons, des fortifications, des portes, et son voyage pendant les douze lieues qui séparent cette ville de Charleroi, peuvent être regardés comme des tours de force. Enfin, la quantité d’outils, d’ouvriers, d’équipages, et de moyens de réparations que la machine traînait toujours avec elle, les soins minutieux et toujours renaissants qu’elle exigeait, n’ont pas permis de la conserver au nombre des instruments de guerre de l’armée française.

En 1812, les Russes, pendant la fameuse expédition que nous tentâmes contre eux, parurent songer un instant à recourir aux aérostats militaires, non comme moyen, d’examiner les mouvements de nos troupes mais pour tenter des mitraillades aériennes. On lit, dans l’ouvrage du général Philippe de Ségur, que, par ordre de l’empereur Alexandre, un artificier allemand construisit, près de Moscou, un ballon monstrueux, dont la première destination était de planer au-dessus de l’armée française, d’y choisir un chef, et de l’écraser par une pluie de fer et de feu ; qu’on en fit plusieurs essais, mais qu’ils échouèrent tous par suite de la rupture des ailes.

L’expédition d’Alger, en 1830, fit revivre le projet d’employer militairement les aérostats. On avait embarqué sur la flotte qui portait notre armée vers les côtes d’Afrique, tout le matériel nécessaire ; mais on ne s’en est point servi, on n’a point pensé à s’en servir.