Affiliation
- Politique
- J. P. Pagès
- Encyclopédie moderne
Affiliation. Dans le droit civil, c’est une espèce d’adoption anciennement en usage dans quelques provinces de France ; dans l’acception commune, c’est la réception d’un individu dans une société quelconque. Nous nous bornerons ici à l’affiliation proprement dite, celle par laquelle les ordres monastiques recevaient des séculiers à la participation de leurs prières.
Lorsque la religion est le but réel de la communauté, l’affiliation est avouée. C’était publiquement qu’on s’affiliait à ces quatre ordres qui regorgeaient de richesses, et qu’on appelait mendiants ; on portait même un emblème de cette adoption : les Augustins donnaient une ceinture de cuir, les Carmes un scapulaire, les Dominicains un rosaire, les Franciscains un cordon. Le gouvernement pouvait se plaindre de ce qu’il y avait d’impolitique dans ces affiliations ; la philosophie pouvait attaquer ce qu’elles cachaient de superstitieux et d’immoral ; toutefois leur publicité était la preuve de leur bonne foi.
Mais si la religion n’est que le moyen adroit, et si le pouvoir terrestre est le but véritable de la communauté, alors l’affiliation est mystérieuse et désavouée. On veut se faire des appuis, soit pour résister à la puissance, soit pour la diriger, soit pour l’envahir ; par conséquent on ne doit enrôler que des personnages qui, par leurs emplois et leur fortune, puissent servir d’instrument à l’ambitieuse communauté, ou la couvrir de leur protection. L’affiliation doit alors être cachée sous un voile impénétrable, afin que, toujours inconnus, les séides de la société puissent se montrer avec plus d’audace, tromper avec plus de fruit, ou frapper avec moins de crainte.
Les jésuites sont les seuls qui aient mis en pratique ces affiliations ; ils sont aussi les seuls qui aient tendu avec constance, sans relâche et par toutes les voies, à l’envahissement des pouvoirs politiques. De là leurs efforts pour s’emparer exclusivement de l’instruction de la jeunesse et de la direction des consciences ; ils décréditaient les modestes et pieux travaux du clergé, par la pompe de leurs fréquentes missions ; ils transigeaient avec la foi, et pliaient la morale évangélique au gré des gens du monde et selon la corruption des gens de cour. La conscience de leurs affiliés n’était que le point d’appui du levier de leur ambition : mais l’ombre ne put longtemps cacher leurs desseins, et la justice du monde civilisé mit enfin au grand jour ce noir mystère d’iniquité.
Leur système de prosélytisme parmi les gens du monde était connu depuis longtemps. Pasquier avait signalé leurs affiliés sous le titre de jésuites de la petite observance. Grotius, défenseur zélé du pouvoir royal, ne put voir sans effroi « cette puissance sacerdotale qui menaçait les trônes en admettant dans la religion jusqu’à des hommes mariés qui ne faisaient d’autre vœu que celui d’obéissance passive au général des jésuites. » La société repoussa cette accusation, et le philosophe Bayle ne la crut pas assez prouvée ; mais bientôt leur procès révéla qu’il existait des jésuites du tiers-ordre en Italie, de robe-courte en France. Le vertueux La Chalotais dénonça « ces jésuites inconnus, vivant dans leur famille ; » l’avocat général Castillon, « ces espions cachés au milieu du monde et s’ignorant les uns les autres ; » le sage Joly de Fleury, « ces hommes de toutes les conditions, papes, rois, princes, évêques, ministres et magistrats, pensant devoir leur état et leur puissance aux desseins occultes et coupables de la société. » Dans le nombre immense de leurs séides, on plaçait cet infâme chancelier Duprat, qui avait détruit les libertés de l’Église gallicane par le concordat, l’indépendance de la magistrature par la vénalité des charges, et dont le fils amena du concile de Trente et établit publiquement en France les premiers jésuites, pour lesquels il fonda le collège de Clermont. Burnet avait cité ce malheureux Jacques II, que l’ambition jésuitique égara dans le labyrinthe du pouvoir absolu, où il perdit sa gloire, son trône et sa dynastie. On connaît cet infortuné don Sébastien, qui disparut à la bataille d’Alcacer, et dont un prétendu ermite, conduit par un jésuite se disant évêque de Garde, vint bientôt réclamer la couronne.
La publicité de leur procès et l’évidence des preuves ne permirent plus aux jésuites de nier ces affiliations séculières, ils prétendirent que l’objet en était tout religieux. L’affilié s’obligeait à révéler son affiliation au chef des jésuites de sa résidence, et, s’il changeait de demeure, à se faire reconnaître au chef de son nouveau domicile ; à n’entreprendre aucune affaire d’intérêt ou de famille sans en prévenir les jésuites ; à favoriser l’ordre de tout son pouvoir ; à dénoncer tout ce qu’il pourrait découvrir dans la vie civile ; à ne jamais renoncer à son affiliation ; enfin, par un article secret, il s’engageait à faire servir toute sa puissance personnelle à l’agrandissement des intérêts temporels de la société.
Les ordres religieux ne portent dans le monde l’esprit de prosélytisme que par ambition. Celle des jésuites fut funeste ; elle coûta le trône à leurs affiliés Jacques II et don Sébastien ; elle causa l’assassinat de Henri IV et de Joseph Ier. Un pays assez malheureux pour posséder des cloîtres doit, s’il veut être en paix, forcer les moines à ne pas en franchir le seuil. La religion peut les retenir au dedans ; la politique seule les conduit au dehors.
Nous ne dirons rien de ces superstitieuses affiliations par lesquelles on s’engageait à mourir dans l’habit d’un ordre religieux. Un des mignons de Henri III s’affubla d’un froc de capucin, comme s’il voulait aller en masque en paradis, espérant qu’on lui en ouvrirait les portes parce qu’on ne le reconnaîtrait pas.
Pour les rites et les cérémonies de l’affiliation, voyez Mystères ; et Sociétés secrètes, pour les affiliations politiques, leur but apparent et leur tendance cachée.