Alides
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Alides. Lorsque des soldats révoltés se furent souillés du meurtre d’Othman, troisième khalife des Arabes, les musulmans, effrayés des conséquences d’un tel crime, se montrèrent pour la première fois unanimes dans leur volonté, et appelèrent au trône Ali, fils d’Abou-Taleb.
Ali, neveu de Mahomet, élevé par lui, devenu son gendre et le compagnon de toute sa vie, semblait destiné, de préférence à tout autre, à lui succéder comme chef de cette religion nouvelle à laquelle il avait soumis le premier sa raison et sa foi. La haine d’une femme l’empêcha trois fois de recueillir l’héritage glorieux du prophète. Aïescha, la fille d’Abou-Bekr, l’épouse favorite du législateur de la Mecque, n’avait jamais pardonné à Ali d’avoir cherché à confirmer de sa voix puissante les soupçons conçus par quelques Arabes sur la fidélité quelle devait à son époux, et depuis ce jour elle fut pour lui une ennemie irréconciliable. La préférence marquée que lui avait toujours accordée Mahomet, l’heureuse mémoire dont elle était douée et qui lui avait permis de retenir jusqu’aux moindres discours du prophète de Dieu, expliquent l’autorité dont elle jouissait auprès des musulmans. Cette autorité suffit pour éloigner Ali pendant vingt-cinq ans du trône auquel l’appelaient des droits réels et de brillantes qualités. Lorsqu’il eut enfin triomphé de cette opposition entretenue par d’adroites manœuvres, Aïescha qui, entourée de tous ses partisans, essaya d’abord de lui résister par la force, sut, bien que vaincue, lui susciter de nouveaux ennemis. Il est vrai qu’Ali, aigri par les nombreuses injustices dont il se croyait depuis longtemps la victime, se laissa emporter vers des réactions qui nuisirent à sa cause.
L’un des premiers actes de son règne fut de déposer tous les gouverneurs de province : le plus puissant de tous, Moawia, fils d’Abou-Sofian, nourrissait une ambition sans bornes ; car il descendait du chef de ces Koréischites qui commandaient à la Mecque et dans le Hedjaz bien avant le jour où Mahomet, élevant autel contre autel, leur avait enlevé le pouvoir. Élevé par Omar au gouvernement de la Syrie, Moawia se garda d’obéir à l’ordre qui le privait de sa puissance. Il arma les Syriens, dont il avait su conquérir l’affection, prit le titre de khalife, et marcha contre Ali, qu’il accusait hautement du meurtre d’Othman son prédécesseur. Les deux armées se rencontrèrent dans les plaines de Safféin, non loin de la ville de Raccah près des rives de l’Euphrate. Du côté de Moawia on comptait de nombreux et braves capitaines, parmi lesquels brillait Amrou, le conquérant de l’Égypte ; mais Ali, par sa valeur personnelle, sa force, son habileté dans le maniement des armes, laissait loin de lui tous les autres héros de l’islamisme. Il combattit avec tant découragé que Moawia se vit bientôt privé de ses plus intrépides défenseurs, et proposa une trêve qu’Ali, entraîné par de perfides conseils, eut la faiblesse d’accepter. Les musulmans, du reste, étaient las de carnage : de part et d’autre, on nomma des arbitres chargés d’examiner les prétentions des khalifes rivaux. L’adresse d’Amrou, politique aussi habile que vaillant soldat, fit triompher la cause de Moawia. Le mandataire chargé des intérêts d’Ali ayant consenti à prononcer en vue des deux armées la déchéance des deux compétiteurs, dans l’espoir faussement donné d’assurer la couronne à un nouveau khalife qui réunirait tous les suffrages, Amrou, mandataire du fils d’Abou-Sofian, s’écria que, puisque maintenant les deux khalifes étaient déposés par son collègue, il reprenait la couronne pour la placer de nouveau sur le front de Moawia, désormais seul maître de l’empire.
Un long tumulte suivit cet étrange jugement : les partisans d’Ali réclamèrent ; mais il en avait beaucoup perdu par la faiblesse dont il avait fait preuve en ne donnant pas suite à ses premiers succès. On ne reconnaissait plus en lui le fils adoptif, l’élève du prophète ; l’esprit du législateur arabe semblait l’avoir abandonné, et tandis que la Syrie, l’Arabie, l’Égypte, l’Afrique, obéissaient aux lois de son heureux rival, il eut beaucoup de peine à conserver son autorité sur la Mésopotamie et une partie de la Perse. Quatre ans après son avènement, il tomba sous le fer d’un assassin dans la mosquée de Coufa, ne laissant à Haçan, l’aîné de tous ses enfants, et le plus âgé des deux fils qu’il avait eus de Fatima, la fille chérie du prophète, qu’un héritage de gloire dont ce jeune prince n’était pas assez fort pour supporter le poids.
Moawia s’était hâté, à la mort d’Ali, de marcher à la tête de son armée contre la Mésopotamie ; mais Haçan ne voulut pas tenter le sort des armes. Son père, le brave des braves, l’élu de Mahomet, n’avait pu résister à l’ascendant du fils d’Abou-Sofian ; qu’aurait-il pu faire, lui qui ne se sentait ni force ni courage ! Il accepta de son rival un riche traitement, abdiqua pour de l’or les droits qu’il tenait de sa naissance, et bientôt mourut à Médine, laissant après lui son frère Hoçaïn, plus digne héritier des vertus d’Ali.
Ce dernier rejeton de la famille du législateur des Arabes résolut, à la mort de Moawia, de réclamer, le sabre à la main, ses droits contre le khalife Iézid. C’est un drame touchant que l’histoire de cette lutte sanglante où les Alides, au nombre d’environ soixante-douze-personnes, presque toutes unies par les liens du sang, entreprirent de résister aux forces d’un prince dont les États s’étendaient sur la moitié du monde connu. Attiré par la trahison dans les plaines arides de Kerbelah près de l’Euphrate, Hoçaïn avait espéré réveiller en sa faveur les partisans de sa maison, mais son dessein avait été connu, épié, ses partisans mis à mort, et les Alides se trouvèrent cernés de tous côtés, tans autre espoir que celui de vendre chèrement leur vie. Jamais cause plus désespérée ne fut défendue avec plus d’enthousiasme. Tous ces fidèles amis d’un nom si cher à l’islamisme succombèrent l’un après l’autre, immolant chacun des bandes d’ennemis. Bientôt Hoçaïn se trouva presque seul ; un de ses fils, six de ses frères, plusieurs de ses neveux lui faisaient un rempart de leurs cadavres. A ce moment suprême, ses ennemis n’osaient encore le frapper. Un d’eux cependant, moins louché que les autres de la crainte de répandre le sang d’un petit-fils d’un prophète, lui porta sur la tête un coup de son épée. Hoçaïn blessé se retira vers la porte de sa tente, s’y assit et, prenant dans ses bras son plus jeune fils, attendit la mort. Ce fut l’enfant que vint percer une des flèches dirigées contre le héros, qui lança au ciel le sang de l’innocente victime en s’écriant : O Dieu, si vous nous avez refusé votre aide, accordez-la du moins à ceux qui ne vous ont pas encore offensé et punissez les méchants. Le soleil s’avançait vers l’occident, et le combat avait duré depuis le matin. Accablé par le poids du jour, par le chagrin, par la souffrance, Hoçaïn se leva pour aller puiser quelques gouttes d’eau dans l’Euphrate ; il fut tué sur les bords de ce fleuve et sa tête fut portée à Coufa, tandis que son corps, foulé aux pieds des chevaux, couvert de blessures et d’outrages, restait sans sépulture.
Les droits d’Ali et de ses descendants ont paru si incontestables à un grand nombre de musulmans qu’ils n’ont pas voulu reconnaître les trois premiers khalifes, Abou-Bekr, Omar et Othman, comme les légitimes successeurs du prophète, et qu’ils les considèrent comme de vrais usurpateurs. Cette divergence d’opinion a établi un schisme dans l’islamisme, et les sectateurs d’Ali, que l’on nomme Schiites, forment une église séparée. Hoçaïn est considéré par eux comme un martyr, et le 10 du mois de moharrem, anniversaire du massacre de Kerbelah, est pour eux une fête d’expiation où ils cherchent à racheter par le jeûne et le deuil le crime dont s’est alors souillé l’islamisme. Quant aux sunnites ou musulmans orthodoxes, bien qu’ils reconnaissent la validité de l’élection des trois premiers khalifes et les aient en grande vénération, ils déplorent les injustices dont Ali fut victime et la triste fin d’Hoçaïn.