Almohades

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Almohades. Les Almoravides étaient au faite de leur puissance ; ils avaient soumis à leur loi l’Espagne et le Maghreb, lorsqu’ils virent tout à coup leur empire menacé par de fanatiques sectaires qui venaient de lever l’étendard d’une foi nouvelle.

Mohammed-ben-Toumert, né dans les derniers rangs du peuple, puisque son père était chargé d’entretenir les lampes qui brûlaient dans la grande mosquée de Sous el-Aksa, réunissait les qualités les plus propres à lui donner auprès des Berbers une haute influence. Séduit, dès ses jeunes années, par l’exemple du prophète auquel est dû l’islamisme, il se prépara de longue main au rôle qu’il voulait jouer, et chercha, par des voyages en Orient, à acquérir les connaissances qui devaient lui assurer une action durable sur les superstitieuses populations de l’Atlas. A Baghdad, il devint le disciple du célèbre philosophe Algazeli, et se forma, par ses leçons, à cette mysticité raffinée à l’aide de laquelle il espérait exploiter en sa faveur les dogmes de la religion de Mahomet. De retour dans sa tribu, il attira tous les regards par les austérités de sa vie et par ses prédications exaltées contre les puissances du jour. Bientôt le bruit se répandit dans les tribus que le Mahdi, ce douzième imam, disparu miraculeusement dans son enfance, venait de nouveau se révéler aux hommes dans les montagnes du Maghreb. Dès lors de nombreux disciples s’attachèrent à ses pas, et le nouvel apôtre alla dans la cité de Maroc braver la puissance du prince almoravide Ali-ben-Youçouf.

Ce chef se croyait alors trop sûr du pouvoir pour ne pas être indulgent ; en vain ses ulémas furent unanimes pour condamner le nouveau sectaire ; il craignit à la fois de lui donner une importance nouvelle par la persécution et de paraître aux yeux de ses peuples redouter les rêves insensés d’un fanatique. Tout ce qu’on put obtenir de lui, à la suite des excès auxquels se livrait Mohammed, ce fut de le bannir de la ville ; mais il se réfugia dans les montagnes, fortifia la ville de Tinmal, et sa nouvelle retraite devint le rendez-vous d’une foule de sectateurs qui prirent le nom d’Al-Mou-ahhedi ou Almohades, c’est-à-dire unitaires, se croyant rappelés par la voie du Mahdi à la simplicité première de l’islamisme, dont ils accusaient les générations nouvelles de s’écarter chaque jour davantage. Séduites de proche en proche par la doctrine du nouvel imam, les tribus berbères ne se contentèrent pas d’être initiées par lui à la foi religieuse, elles le reconnurent pour leur chef politique, et vingt mille soldats demandèrent à marcher contre le prince almoravide. Ce fut alors qu’Ali se repentit d’avoir méprisé l’ennemi dont il n’avait pas su mesurer l’importance. Mais il était trop tard ; ses armées furent battues à chaque rencontre ; les Almoravides, frappés d’une inexplicable terreur, avaient oublié leurs succès passés, et fuyaient souvent avant le combat. Cependant quels que fussent les succès du Mahdi, l’immense empire des Almoravides ne pouvait être détruit en quelques jours ; et, après avoir fait en vain assiéger Maroc par ses généraux, Mohammed-ben-Toumert mourut sans avoir pu s’asseoir encore sur ce trône qu’il ambitionnait.

Le plus fidèle de ses disciples, Ab-del-Moumen, qui lui servait de lieutenant depuis qu’il prêchait le sabre à la main, lui succéda en l’an 524 de l’hégire (de J. C. 1130), et n’hésita pas à prendre le titre d’Émir-el-Moumenin, ou commandeur des croyants, titre qui n’avait appartenu jusque-là qu’aux khalifes de Baghdad ; car les Almoravides eux-mêmes n’avaient pas voulu qu’on leur donnât une qualification qui n’appartenait qu’aux successeurs directs de Mahomet, et se faisaient appeler Émir-el-Mouslemin, commandeur des musulmans. A peine reconnu, par la dernière volonté du Mahdi et le choix des troupes, souverain du Maghreb, Abd-el-Moumen voulut légitimer par le succès l’origine de son pouvoir. Il réunit autour de son étendard tous ceux de ses partisans qui étaient en état de porter les armes et ne cessa plus de combattre les Almoravides jusqu’à ce qu’en s’emparant de Maroc et mettant à mort le dernier héritier de cette race malheureuse, il eût appuyé sa puissance sur des bases inébranlables.

Dès l’époque où l’empire des Almoravides s’était ébranlé sous les attaques des Almohades, l’Espagne, plus éloignée du centre du pouvoir que les autres provinces, s’était divisée de nouveau, chaque émir cherchant à se rendre indépendant dans sa province. L’un des premiers soins d’Abd-el-Moumen fut de ranger sous sa loi toute la partie musulmane de la péninsule. Il n’y passa pas en personne, il est vrai ; d’autres expéditions le retenaient en Afrique: il étendait ses États jusqu’à Tunis, et ne voulait plus reconnaître de limites à sa puissance sur le continent africain, que les sables de la Libye et les flots de l’Atlantique ; mais il fit passer en Andalousie de nombreux soldats, commandés par des chefs habiles, et bientôt la prise de Cordoue, celle d’Almérie, et la mort d’Alonzo VII de Castille, l’implacable ennemi des musulmans, lui livrèrent toute la partie de l’Espagne qu’avaient possédée les Almoravides.

Partout vainqueur, maître de l’un des plus vastes empires du monde, Abdel-Moumen, qui joignait les qualités du législateur à celles du conquérant, ne songea plus qu’à protéger les arts et à embellir sa capitale de somptueux edificas. Des palais de marbre, d’élégantes mosquées, des collèges où se rendaient de toutes parts les plus habiles professeurs, firent de Maroc l’émule de Cordoue, alors que, sous les Ommiades, elle jetait un si vif éclat. On mesura géométriquement, par son ordre, toutes les provinces de son vaste empire, depuis Sous jusqu’à Mahadia, qu’il avait reconquise sur Roger, roi de Sicile. A l’aide de cette opération jusqu’alors négligée par les souverains de l’Afrique les levées d’hommes destinées au service militaire et la rentrée des contributions se faisaient avec la plus grande régularité. Des manufactures d’armes, pourvues d’excellents ouvriers, fournissaient aux besoins de son immense armée. Quatre cents vaisseaux avaient été construits dans ses ports, et la marine arabe, parcourant en tout sens la Méditerranée, avait pris, sous son règne, un développement jusqu’alors inconnu. C’est au moment où, mettant à profit toutes les ressources de sa puissance, Abd-el-Moumen se préparait à conquérir la partie de l’Espagne qui ne lui appartenait pas encore, qu’il mourut à Salé, au mois de Djoumada 538 (de J. C. 1162), après trente-trois ans d’un règne marqué par tant de prospérités.

Par une exception malheureusement trop rare, le fondateur de l’empire des Almohades se survivait, pour ainsi dire, à lui-même dans un fils digne de lui : Youçouf- ben-Abd-el-Moumen, à peine âgé de vingt-quatre ans, réunissait le courage, la prudence et cette beauté du corps si nécessaire à qui veut frapper l’imagination ardente des peuples du Midi. Après avoir apaisé quelques révoltes partielles dans les montagnes de l’Atlas, il passa en Espagne à la tête de l’élite des tribus du désert, et, tour à tour occupé défaire la guerre aux chrétiens ou d’embellir Séville, qu’il avait choisie pour sa résidence, il y amena, par un long aqueduc qui subsiste encore aujourd’hui, les eaux fraîches et pures des montagnes voisines. Après un séjour de quatre ans dans la péninsule, Youçouf fut rappelé en Afrique par de longues et sanglantes querelles qui s’élevaient sous le moindre prétexte entre les sauvages tribus des Berbers du Maghreb. En 1184, le prince des Almohades revint en Espagne, et, portant ses armes en Portugal, il mourut au siège de Santarem.

Celui de ses nombreux enfants qui fut appelé à lui succéder se nommait Yacoub-ben-Youçouf, connu sous le surnom d’Almançour-Billah. Il régna quinze ans avec gloire, mit, à la bataille d’Alarcos, l’Espagne chrétienne à deux doigts de sa perte, força les rois de Castille, d’Aragon, de Léon, de Navarre à acheter la paix par d’humiliantes concessions ; en un mot, porta à son apogée la gloire de sa dynastie, il était de retour au Maroc, où l’avaient forcé à revenir les insurrections des populations du Maghreb, qui s’agitaient toujours au moindre sou file comme les sables de leurs déserts, lorsqu’en 1199 il fut enlevé par une mort prématurée, à peine âgé de quarante ans.

Mohammed, fils d’Yacoub, avait été, du vivant même de son père, reconnu pour son successeur. Il triompha au commencement de son règne de quelques chefs almoravides qui, s’étant autrefois retirés dans les îles Baléares, étaient revenus débarquer en Afrique, espérant profiter des troubles inséparables de l’avènement d’un nouveau souverain. Mais, en Espagne, il vit, pour la première fois, pâlir l’étoile de sa famille. C’était cependant à la tête d’une des plus nombreuses armées rassemblées jamais par l’islamisme contre la chrétienté, que Mohammed était venu attaquer Alonzo VIII, roi de Castille : ce héros triompha de toutes les forces arabes, et la bataille de las Navas, près de Tolosa, vengea pleinement, à cent ans de distance, celle de Zalaca, qui avait livré l’Espagne chrétienne aux Almoravides. Les chevaliers d’Aragon, de Castille, et leurs alliés, firent un horrible massacre des musulmans, qui fuyaient devant eux comme un troupeau privé de ses défenseurs. Les riches armes, les chevaux, les vases d’or, les précieuses tentures du camp des Almohades tombèrent en leur pouvoir. A compter de ce jour le flot incessant des populations musulmanes perdit l’ardeur qui le portait à envahir la frontière chrétienne ; et l’on put prévoir le jour où, quittant la belle Grenade, les dernières tribus arabes repasseraient le détroit. Mohammed ne survécut pas longtemps à sa défaite ; il revint presque seul à Maroc, d’où il était parti à la tête d’innombrables bataillons. Il cacha à tous les yeux dans le fond de son palais la honte de sa défaite, et mourut, au mois d’octobre 1213, laissant la couronne à un fils âgé de onze ans.