Amateur
- Beaux-arts
- Evariste Dumoulin
- Encyclopédie moderne
Amateur. On comprend génériquement, sous la dénomination d’amateurs, tous ceux qui, dominés par une inclination, un goût particulier, fixent leur prédilection sur un art, une science, qui deviennent le point central de leurs idées, le but de leurs recherches, et l’objet presque exclusif de leur culte et de leur admiration.
Quelques écrivains éprouvent pour la grammaire, ou plutôt pour ce qu’ils appellent les convenances, de telles susceptibilités, qu’ils n’osent pas employer le féminin du mot amateur, qui pourtant se trouve dans presque tous les dictionnaires nouvellement publiés, et qui a pour lui l’autorité de l’un de nos plus grands écrivains. J.-J. Rousseau a dit, en parlant de Paris : « Cette capitale est pleine d’amateurs et surtout d’amatrices, qui font leurs ouvrages comme M, Guillaume inventait ses couleurs. » N’est-il pas étrange qu’on craigne aujourd’hui d’user d’une expression dont l’auteur d’Émile s’est servi sans scrupule ? Ce rigorisme excessif tend à appauvrir la langue française, qui a déjà, depuis Corneille et Molière, a perdu une foule de mots dont elle a besoin, et qui pourtant ont été consacrés par l’usage qu’en ont fait ces deux grands poètes.
On applique plus particulièrement la désignation d’amateurs à ceux qui aiment et qui cultivent les beaux-arts et les artistes. Quand ils sont riches et instruits, ils deviennent à la fois des amateurs et des protecteurs. On peut être amateur de peinture, de poésie, et n’avoir pas les moyens de protéger les peintres et les poètes ; il ne serait pas impossible non plus de citer des hommes opulents, des princes, qui ont affecté d’accorder leur protection aux beaux-arts sans les aimer réellement, c’est-à-dire sans être amateurs. Combien de grands seigneurs qui, par ton, et non par goût, possèdent de riches galeries de peinture et de sculpture, sans en connaître le prix, sans pouvoir en apprécier les beautés, et combien de Turcarets qui, pour se donner les airs et les manières du grand monde, payent au poids de l’or des livres qu’ils n’ont jamais ouverts, et des tableaux qu’ils ont à peine entrevus ?
Pour être amateur, il faut être connaisseur ; et pour être protecteur, il suffit d’avoir de l’argent et du crédit, Périclès et Mécène étaient à la fois amateurs et protecteurs des beaux-arts : il y a pourtant cette différence entre eux, que Périclès ne suivait que ses penchants et ses goûts, tandis que Mécène, également porté par inclination à favoriser les artistes et les poètes, les protégeait encore par calcul et par politique. Il voulait que les poètes célébrassent sans restriction les vertus et les grandeurs d’Auguste ; il fallait tromper la postérité en gardant un silence absolu sur les crimes et les cruautés de celui qui devint à Rome le bienfaiteur de l’humanité, après en avoir été le fléau. Périclès se servit aussi de l’attrait des beaux-arts pour subjuguer le peuple d’Athènes ; mais, comme il n’avait pas le même intérêt qu’Auguste à guider le pinceau des artistes ou à présider aux inspirations des poètes, le siècle auquel il a donné son nom rappelle, pour les beaux-arts, l’époque la plus glorieuse et les temps les plus illustres.
En établissant la comparaison entre le siècle d’Auguste et le siècle de Périclès, il ne serait pas impossible peut-être d’expliquer l’infériorité de Rome et la supériorité d’Athènes. Virgile, au lieu de célébrer dans ses vers les belles époques de la république romaine, dont il n’était pas permis de se souvenir sous le règne d’Auguste, se vit réduit à chanter les pieux exploits du dernier descendant des Troyens. Sophocle, au contraire, ne fut pas contraint d’aller chercher chez les Égyptiens le sujet de ses poèmes dramatiques. Il put les trouver dans sa propre patrie ; il eut toute liberté d’explorer les anciens temps de la Grèce, dont Périclès n’avait point à rougir. De là cette nationalité qu’on retrouve partout dans les poèmes de Sophocle, et qui ne se fait apercevoir qu’indirectement dans les épopées de Virgile. Les plus belles, les plus nobles inspirations sont celles du patriotisme ; les beaux arts veulent être libres, et la poésie, la peinture, n’ont besoin, pour être secondées, que d’amateurs indépendants, et de protecteurs qui puissent sans honte considérer le présent et voir invoquer les souvenirs du passé.