Âme
- C.-M. Paffe
- Encyclopédie de famille
Âme. L’âme est en nous ce qui sent, pense et veut ; c’est le sujet commun de toutes les modifications affectives, intellectuelles et volontaires que la conscience nous révèle, et qu’elle nous montre réunies dans un principe un, identique, et dont tous ces phénomènes ne sont que les modes divers, les développements, les manifestations. Depuis Descartes, l’autorité de la conscience est devenue si imposante, et comme méthode philosophique, et comme motif de certitude que maintenant on ne fait qu’énoncer une vérité triviale en disant que l’être qui souffre ou jouit est le même que celui qui connaît ou qui veut. On est donc d’accord pour attribuer tous les phénomènes de la conscience à un même principe, et ce principe, c’est le moi, c’est l’âme. On n’élève pas non plus de dispute sur le nom, qui du reste est plus ancien que la philosophie, et qui depuis que les hommes parlent sert à désigner le sujet commun des phénomènes affectifs, intellectuels et volontaires.
La force qui pense ne présente pas seulement le caractère de simplicité, d’unité, qui la distingue de la matière ; elle présente aussi celui d’identité, et s’en sépare à ce nouveau titre. La force qui pense se connaît. L’un de ses attributs essentiels, c’est d’avoir conscience d’elle-même. Il existe une relation si intime entre les phénomènes de l’âme et la conscience qu’elle en a, qu’il n’y a pas de hardiesse à avancer qu’une modification dont elle n’a pas conscience ne saurait lui appartenir. L’âme ignore complètement tous les phénomènes de la vie organique ; ils s’accomplissent tous sans elle, malgré elle et à son insu. Comment l’âme, dont l’essence est de se connaître, serait-elle aussi complètement étrangère, au point de vue de la conscience, à toutes les modifications de l’organisme, si elle était, comme les matérialistes le prétendent, cette même force en vertu de laquelle l’organisme est modifié ?
Nous ne rappellerons pas les doctrines des matérialistes modernes qui placent l’âme dans le jeu des organes, ni des phrénologues qui la trouvent dans les plis du cerveau. L’âme, qui a conscience d’elle-même, n’a rien de commun ni avec l’étendue, ni avec la matière, et de ce qu’elle se sert d’organes pour se manifester, il ne s’ensuit pas qu’elle ne fasse qu’un avec ces organes ; tout prouve au contraire qu’elle en est distincte. L’éclectisme a tenté un compromis. « La physiologie sera contrainte d’avouer, a dit Bordas-Demoulin, que la pensée revient à une substance différente au corps ; et la philosophie, que la nutrition et la sensation reviennent à une substance différente de l’esprit. Connaître, raisonner, se résoudre librement, est aussi étranger à l’organisme, que digérer, sécréter, imaginer l’est au moi ; » et plus loin : « Descartes croit que sentir et imaginer appartiennent à l’âme, parce qu’ils se rencontrent en effet, en tant qu’elle en prend connaissance ; mais la preuve qu’ils n’ont point leur siège dans l’âme, c’est qu’ils se montrent hors d’elle dans les songes, pendant que sa puissance de comprendre et de vouloir est suspendue. » Mais comment savoir que le corps sent et imagine ? Aucun fait ne peut autoriser cette induction, et il serait tout aussi difficile d’expliquer comment, à la suite des faits de relation» des sensations ou des perceptions, quelque confuses qu’elles soient, se produisent dans le cerveau, qu’il est difficile de l’expliquer pour l’âme. Les données les plus simples de l’observation interne détruisent cette hypothèse. C’est évidemment le moi qui souffre et qui jouit ; il ne fait pas que prendre connaissance de la douleur ou de la jouissance. Autrement, quand mon corps est malade, je saurais qu’il souffre, je ne souffrirais pas moi-même. En outre, de ce que je souffre à l’occasion du désordre qui trouble mon organisme, il ne s’ensuit pas que l’organisme en souffre à ma manière ; ses fonctions sont troublées, voilà tout ce que j’en sais et ce que j’en puis savoir : il y a mieux, de graves désordres peuvent exister dans tel ou tel organe, sans que l’âme en soit avertie par la douleur ; et quand celle-ci vient enfin annoncer le mal, il n’est, quelquefois plus temps d’y porter remède. Ainsi, non-seulement c’est l’âme seule qui sent, en tant que par sentir on entend éprouver du plaisir ou de la douleur ; mais l’âme ne sait même pas ce qu’éprouve le corps, ce qui se passe dans l’organisme, à plus forte raison sila force organique souffre ou jouit comme elle. Ne serait-il pas étrange d’attribuer les passions à un autre sujet qu’à l’âme ? Si ce n’était pas l’âme qui sentît leurs aiguillons, qui espérât jouir de l’objet désiré, d’où lui viendrait cette ardeur à se porter vers cet objet ? Mettrait-elle un pareil empressement à faire seulement les affaires du corps ? Puis, si vous vouliez retirer à l’âme le pouvoir de sentir à l’occasion des modifications organiques, il faudrait lui retirer aussi toute autre espèce de sentiments : car le sentir est un ; il ne varie que d’intensité ou de durée, selon la cause qui l’excite. Pourquoi donc accorderait-on à l’âme tel sentiment, et lui refuserait-on tel autre, quand la conscience nous atteste que c’est l’âme qui les éprouve tous et que tous ces sentiments sont en outre réunis par une évidente homogénéité ? Quant au pouvoir d’imaginer, c’est-à-dire de se représenter, de concevoir quelque chose, n’est-ce pas également à l’âme qu’il appartient ? On a parlé des songes. Mais est-ce donc au corps qu’il faut attribuer les songes, quand ils ne sont qu’une reproduction confuse des perceptions de la veille ? Et comment l’âme se rappellerait-elle les songes, si ce n’était pas dans son sein qu’ils se passent ? Les facultés les plus importantes, il est vrai, sont comme engourdies pendant le sommeil, mais il est feux de dire qu’elles ne s’exercent plus. Reconnaissons donc comme appartenant à l’âme tout ce que la conscience saisit, tout ce qu’elle embrasse dans sa puissante et incontestable unité. Croyons aux dépositions de ce témoin infaillible, et dans toutes les questions de son ressort ne rejetons pas les décisions souveraines de cet arbitre, sous peine d’être en désaccord avec l’évidence et le genre humain.
Dans le langage ordinaire, âme se dit du sentiment, de la pensée intime, de la conscience. Devant les malheureux, il y a des gens qui n’ont point d’âme, qui sont sans âme, qui ne sentent rien. Avoir de l’âme, c’est être ému par ce qui est généreux, juste ou digne d’intérêt. Il y a des âmes justes, nobles, grandes, élevées. Il y a des âmes basses, faibles, lâches, intéressées, vénales, mercenaires, viles. Selon La Bruyère, « il y a des âmes sales, pétries de boue et d’orgueil, éprises de gain et d’intérêt, comme les belles âmes le sont de la gloire et de la vertu. » J.-B. Rousseau appelle les hommes attachés aux choses de la terre, des âmes de chair. D’après J.-J. Rousseau, « les âmes aimantes ont une double part de souffrances, celles qui leur sont personnelles, et celles que leur apporte la douleur d’autrui. » Une bonne âme s’entend d’une personne sans malice, d’un bon caractère. « La science, dit Bacon, est l’aliment de l’âme. » D’après La Bruyère, « le peuple n’a guère d’esprit, et les grands n’ont pas d’âme. »*
La religion suit l’âme après sa séparation du corps. On prie pour l’âme des trépassés, pour les âmes du purgatoire. Les âmes des bienheureux jouissent du bonheur éternel. Nous avons une âme à sauver. Notre âme a été régénérée par le baptême ; elle a été rachetée par le sang dé Jésus-Christ. La grâce sanctifie, illumine notre âme. L’âme des damnés doit souffrir éternellement. Figurément, on dit d’un homme dévoué aveuglément à un autre qu’il est son âme damnée. Rendre l’âme, exhaler son âme, c’est mourir. Avoir l’âme sur les lèvres, c’est être près d’expirer. Âme se dit aussi d’une personne vivante, homme, femme ou enfant. On compte quelquefois les populations par le nombre d’âmes. Par forme de serment on affirme sur son âme, c’est-à-dire sur sa vie, son honneur.
Dans les arts, on dit, au figuré, donner de l’âme, pour animer, donner l’apparence de la vie. La sculpture donne de l’âme au marbre, la peinture donne de l’âme à la toile. Dans le même sens, prendre une âme, c’est s’animer, vivre.
En musique, âme est le nom d’un petit cylindre de bois placé entre la table et le fond d’un instrument à cordes pour faire communiquer les vibrations de ces parties et les maintenir toujours à la même élévation. La beauté des sons dépend en grande partie de la manière dont l’âme est placée.