Amortissement
- Encyclopédie de famille
Amortissement. On désigne par là un fonds destiné à éteindre, à amortir des actions, des rentes, des obligations. C’est ainsi que lorsqu’un État emprunte, ou lorsqu’une grande administration s’établit pour exploiter une branche de revenus dont elle n’a la propriété que pour uu temps, il est d’usage, à côté des intérêts, de stipuler la création d’un fonds spécial, destiné, au moyen de sa capitalisation, à reconstituer le capital primitif. Ainsi, lorsqu’on cherche à établir la durée de concession qu’il est juste d’accorder à une compagnie de chemin de fer, on compte d’abord les intérêts du capital à avancer par elle ; puis, d’après la somme qui reste sur les bénéfices probables, ou voit combien il faudra de temps pour reconstituer le capital entier ; cet excédant de bénéfices, les intérêts payés, forme le fonds d’amortissement.
Pour éteindre les emprunts publics, on a généralement recours à un système d’annuités qui peut subir différentes modifications. Le mode le plus simple serait d’ajouter quelque chose à l’intérêt, comme 1 pour 100, par exemple, et de déclarer qu’au bout d’un certain temps l’action serait amortie, c’est-à-dire annulée ; cela ne serait que juste, en effet, puisque si le créancier avait placé chaque année ce 1 pour 100 à intérêt composé, il se retrouverait à la fin avoir reconstitué sou capital ; mais ces placements continuels ne conviennent pas en général aux rentiers, et on ne se sert guère de ce mode d’amortissement.
On a aussi imaginé de rembourser tous les ans un certain nombre de billets, et alors on ne donne annuellement à chaque billet non racheté que le simple intérêt de l’argent représenté par lui. En général, le sort désigne chaque année les numéros des actions ou obligations à amortir, c’est-à-dire à rembourser cette année-là. Tantôt l’obligation amortie est annulée et ne rapporte, plus rien, tantôt l’action remboursée reste représentée par une action de jouissance qui continue à recevoir les intérêts de la somme primitivement versée. D’autres fois on ne sert aux billets non rachetés qu’un intérêt inférieur au taux du crédit (soit 3 pour 100 au lieu de 4 pour cent), et on emploie l’excédant à former des lots ou primes à gagner chaque année, soit entre les billets rachetés cette année-là, soit indistinctement entre tous les billets existant encore dans les mains des prêteurs. C’est ainsi que la ville de Paris paye tous les ans des rentes ou obligations pour emprunts contractés antérieurement ; et elle affecte des primes particulières à un certain nombre de ces obligations que le sort désigne.
Quelques États employèrent un autre système d’amortissement, lequel consistait à prendre chaque minée sur les impôts une somme de un pour cent du capital emprunté, qu’on appelait dotation, avec laquelle on achetait des rentes à la Bourse, et à joindre chaque année à la dotation les arrérages de ces renies rachetées pour de nouveaux achats de rentes au cours du jour. On devait de cette façon racheter au pair, en trente-six ans et demi, une rente émise au taux de 5 pour 100. Autrement, et si la caisse n’agissait qu’avec sa dotation fixe, elle ne rachèterait la rente qu’en cent ans. Une loi du 11 juillet 1866 a changé ce système en France. Après avoir affecté à la caisse d’amortissement les bois de l’État et la nue propriété des chemins de fer, elle a constitué la dotation annuelle de celte caisse du produit net des coupes de bois ordinaires ou extraordinaires, du produit de l’impôt du dixième sur le transport des chemins de fer et des bénéfices à partager avec les compagnies, des bénéfices réalisés par la caisse des dépôts et consignations, des arrérages des rentes rachetées par la caisse d’amortissement, enfin des excédants de recettes du budget de l’État. En retour, la caisse d’amortissement est chargée du payement annuel des intérêts, primes et amortissement des emprunts pour canaux, des annuités pour rachats de canaux et de ponts, des arrérages et amortissement des obligations trentenaires du trésor ; des sommes promises et des garanties ducs par l’État aux compagnies de chemins de fer. Le recouvrement de ces avances devront un jour appartenir à la caisse d’amortissement. Cette caisse doit, chaque année, avec les excédants de ses ressources, acheter au moins pour 20 millions de rentes, d’un cours au-dessous du pair, avec publicité et concurrence. En cas d’insuffisance le budget de l’État doit venir à son secours. Ces rentes ne pourront être aliénées ni distraites de leur affectation ; après le 1er janvier 1877, une loi spéciale pourra les annuler. Les sommes versées à la caisse des retraites figurent au budget de la caisse d’amortissement.
Employé pour la première fois, en 1665, par les États de Hollande, l’amortissement fut bientôt introduit à Rome, en Espagne, puis en Angleterre en 1716. En France, un édit de 1749 créa aussi une caisse d’amortissement, qu’on essaya vainement de renouveler en 1765 et en 1784 ; mais nulle part ces essais ne réussirent. Telle qu’elle a été comprise depuis, cette institution est l’ouvrage du docteur Price : cet Anglais démontra qu’en employant 1 pour 100 du capital de la dette à son rachat au cours de la place, et en cumulant successivement l’intérêt de la portion de. dette rachetée, la dette entière se trouverait liquidée en trente-cinq ans. De là une illusion dont profitèrent le célèbre Pitt et ses successeurs pour tenir tète à la France, tourner le grand obstacle du blocus continental, et en faire sortir même une activité et une prospérité industrielle toute nouvelle. On eut dû remarquer cependant que ce sont toujours les contributions publiques qui fournissent ces fonds que la caisse d’amortissement accumule.
Pour prouver l’inutilité de l’amortissement, des économistes prétendirent que l’achat de deux ou trois cent mille fr. de rentes chaque jour par la caisse d’amortissement ne pouvait avoir une grande influence sur des opérations de 80 millions qui s’effectuent journellement sur lès mêmes valeurs, rien qu’à la bourse de Paris. On a également démontré que dans l’intervalle de 1816 à 1831, sur une émission de 136 millions de rentes, il n’en avait été racheté que 58 ; qu’à peu près dans le même espace de temps la caisse avait constitué le trésor en perte de 106 millions par ses opérations de rachat ; et que les deux tiers des sommes perçues par cette caisse avaient été entièrement absorbés par les frais de perception et par les bénéfices de l’agiotage. Quelques-uns considéraient l’amortissement comme un leurre, dont le premier effet a été de rendre les gouvernements moins circonspects en fait d’emprunts et les particuliers plus confiants dans leurs prêts par la promesse de bénéfices plus grands en raison d’une liquidation certaine. En tout cas, cette institution a porté le crédit public à sa plus haute expression en favorisant la substitution des emprunts perpétuels aux emprunts temporaires. D’autres ont pensé que l’État, employant avec sagesse les fonds empruntés à des taux raisonnables, n’aurait jamais trop de dettes, dès lors productives, et que leur amortissement serait une véritable perte de capital. Quoi qu’il en soit, l’Angleterre a aboli l’amortissement forcé en 1829. Elle n’amortit plus chaque année que pour une somme équivalente au quart de l’excédant de recettes constaté. Tous les ans les lords commissaires de la Trésorerie annoncent donc que telle somme sera consacrée à l’amortissement de la dette nationale, ou qu’aucun excédant de recettes n’existant, aucune somme n’est consacrée à cet amortissement. L’Espagne emploie un procédé nouveau, elle met à l’enchère la somme de rentes qu’elle veut amortir et rachète ses titres à celui qui les lui offre au meilleur marché. La ville de SanFrancisco rachète ses dettes de la même manière. En Autriche on a pris un autre moyen, on a divisé des titres en plusieurs parties qui peuvent servir annuellement à payer les impôts, et des coupons de valeurs différentes sont joints aux parties qui restent.
En France, déjà le Consulat, à la vue des prétendus bienfaits de celte institution, avait affecté des fonds à l’amortissement de sa dette ; mais ces fonds avaient été détournés bientôt de leur destination spéciale, et ce ne fut qu’en 1816 et 1817 que la caisse d’amortissement reçut une organisation complète et régulière. La charte de 1814 avait dit ; Toute espèce d’engagement pris par l’État avec ses créanciers est inviolable. La loi de finances du 23 septembre 1814 prescrivit la liquidation, et promit le payement de tout l’arriéré des dépenses des gouvernements antérieurs. Les traités de paix imposèrent aux jours de nos revers la dette de nos années de succès. L’impôt ne pouvait suffire à de telles charges : il fallut recourir au crédit, tout ébranlé qu’il était par la pesanteur de si grands désastres. La dette reconnue et inscrite au grand-livre en rentes 5 pour 100 s’éleva à la somme de 194,824,670 francs.
Pour donner toute garantie à l’extinction de ces engagements, la caisse d’amortissement fut fondée par une loi du 28 avril 1816. Placée sous la surveillance d’une commission choisie entre des candidats présentés par les deux chambres législatives, et confiée à la direction d’un fonctionnaire indépendant, choisi par le roi, et personnellement responsable de sa gestion, elle fut dotée d’un revenu annuel de 20 millions de francs, qui devaient être, ainsi que les arrérages des rentes ultérieurement rachetées, employés en achats de rentes. Ces rentes ne pouvaient, flans aucun cas, rentrer dans la circulation ; elles ne pouvaient être annulées qu’aux époques et pour les quantités qui seraient déterminées par une loi. Enfin, l’article 115 portait : Il ne pourra dans aucun cas, et sous aucun prétexte, être porté atteinte à la dotation de la caisse d’amortissement. La loi de finances du 25 mars 1817 compléta l’organisation de notre système de crédit, et porta à 40 millions le montant de cette dotation annuelle. Les bois de l’État furent, en outre, affectés à la caisse d’amortissement. Le crédit, ainsi restauré en France, se développa rapidement d’année en année. En 1824 le cours du 5 pour 100 avait dépassé le pair. Le ministre des finances prépara une loi pour la réduction de l’intérêt de la dette publique.
La loi du 1er mai 1825 ordonna que les sommes affectées à l’amortissement ne pourraient plus être employées au rachat des rentes dont le cours serait supérieur au pair ; que les propriétaires d’inscriptions de rentes 5 pour 100 auraient, dans des délais fixés, la faculté de les convertir en inscriptions de rentes 3 pour 100 au taux de 75 francs ou de 4 1/2 pour 100 au pair ; que toutes les rentes qui seraient acquises par la caisse, du 22 juin 1825 au 22 juin 1830, seraient rayées du grandlivre et annulées au profit de l’État. Malgré l’emprunt pour la guerre d’Espagne, l’indemnité accordée aux anciens émigrés, et un nouvel emprunt négocié au commencement de 1830, par suite de l’annulation de rentes rachetées, la dette exigible et négociable à la fin de juillet 1830 n’était plus que de 164,984,378 francs.
Pendant les années 1831 et 1832, trois nouveaux emprunts contractés ajoutèrent, en rentes 5 pour 100, 15,779,016 francs à la dette inscrite ; mais dans le cours de ces trois années, depuis le 1er août 1830 jusqu’à la fin de 1833, la caisse d’amortissement avait racheté 12,548,650 francs de rentes de diverses natures. La rente 5 pour 100 ayant été ramenée au pair en 1833, et l’amortissement ne pouvant plus agir sur cette valeur, il parut nécessaire de déterminer le partage et l’application des ressources de l’amortissement entre les différents fonds publics. C’est ce que fit la loi du 10 juin 1833. Cette loi fixa, conformément aux lois antérieures, la dotation annuelle de la caisse d’amortissement à la somme de 44,616,463 francs, et ordonna que cette dotation serait, ainsi que les rentes amorties, répartie au marc le franc et proportionnellement au capital nominal de chaque espèce de dette, entre les rentes 5, 4 1/2, 4 et 3 pour 100, restant à racheter. Elle ajoutait que les divers fonds d’amortissement ainsi répartis seraient employés au rachat des rentes dont le cours ne serait pas supérieur au pair ; qu’à l’avenir tout emprunt serait doté d’un fonds d’amortissement qui ne pourrait être au dessous de 1 pour 100 du capital nominal des rentes créées ; qu’enfin les fonds d’amortissement appartenant à des rentes dont le cours dépasserait le pair seraient mis en réserve et ne seraient payables chaque jour à la caisse d’amortissement qu’en un bon du Trésor portant intérêt. Les lois des 27 et 28 juin 1833 prescrivirent l’annulation et la radiation sur le grandlivre de 32 millions des rentes 5 pour 100 possédées alors par la caisse d’amortissement.
Sous l’empire de cette loi, et jusqu’au 31 décembre 1848, la caisse d’amortissement, dont la dotation se trouva presque constamment réduite, par suite de l’élé— vation des cours du 5 et du 4 1/2 pour 100, à des versements en numéraire pour les seuls fonds affectés au rachat des rentes 4 et 3 pour 100, acquit, au cours de ta Bourse, avec publicité et concurrence, 14,588,876 francs de rentes. Le trésor, en vertu des lois de finances,disposa des fonds de la réserve de l’amortissement, soit pour pourvoir pendant certaines années aux dépenses du budget, soit pour payer des travaux extraordinaires, soit enfin pour éteindre ses anciens découverts. Les bons remis à la caisse d’amortissement, qui représentaient les fonds réservés, furent à diverses époques consolidés en rentes 3 et 4 pour 100. Du 1er juillet 1833 au 23 février 1848 il avait été inscrit au grand-livre de la dette publique, par suite d’emprunts faits aux caisses d’épargne et de trois emprunts négociés en 1841, 1844 et 1847, une somme de rentes 4 et 3 pour 100 de 21,618,011 francs, déduction faite des rentes acquises par la caisse d’amortissement. La somme totale des rentes dues fut donc augmentée, depuis le 1er juillet 1833, de 7,462,261 francs, et s’élevait ainsi au moment de la révolution de Février à 175,224,788 francs.
Les opérations de la caisse d’amortissement cessèrent entièrement au 14 juillet 1848. Pendant les trente-deux années de son activité, depuis le 1er juin 1816, cette caisse avait reçu de l’État, par le montant intégral de ses dotations annuelles, 1,412,592,404 francs 60 centimes, et par le produit des ventes de bois, en vertu de la loi du 25 mars 1817, déduction faite des primes et frais, 83,565,338 francs 98 centimes ; somme totale, 1,496,157,743 francs 58 centimes. Dans l’emploi de ces subsides et par l’accumulation des arrérages des rentes rachetées, malgré l’annulation de 48 millions de ces rentes, la caisse d’amortissement avait racheté 80,950,700 francs de rentes, qui, au prix de rachat, ont libéré la France de 1,633,474,090 francs 06 centimes. La caisse avait de plus mis à la disposition du trésor, de 1833 à 1848, sur les fonds réservés, 1,016,693,856 francs 27 centimes.
Depuis 1848 des fonds étaient à chaque budget portés nominalement en capital et intérêts au compte de la caisse d’amortissement ; mais c’était seulement pour ordre et pour une somme égale en recette et en dépense. L’État délivrait à la caisse d’amortissement des bons du trésor pour une somme égale à sa dotation, et lui servait, aussi en bons du trésor, l’intérêt des rentes qu’elle possédait. À la fin de chaque semestre on capitalisait ces bons du trésor en nouvelles rentes, dont les intérêts étaien t de nouveau payés de la même manière. Ces fonds fictivement accrus montèrent en dix années, de 1848 à 1858, à 123,686,262 francs. Une partie de la dotation de la caisse d’amortissement (40 millions) fut portée en argent aux budgets de 1859 et 1860 ; mais la guerre d’Italie, les réductions d’impôts sur quelques produits et les réformes douanières firent encore renoncer à l’amortissement dès le second semestre de 1860. Le montant des rentes rachetées pendant cette courte période s’éleva à 2,467,363 francs, et un capital de 53,979,458 francs 10 centimes y fut consacré. De nouvelles expéditions ramenèrent des déficits, et au lieu d’amortir la dette il fallut songer à de nouveaux impôts. Néanmoins, dans tous les emprunts, une somme d’un centième était toujours stipulée pour fonds d’amortissement .
Une loi du 4 décembre 1849 annula toutes les rentes appartenant à la caisse d’amortissement et qui s’élevaient à 75,063,693 francs, déduction feïte d’une .rente de 4,308,000 francs 5 pour 100 qui avait été inscrite comme garantie du prêt de 75 millions consenti à l’État par la Banque de France. Un décret du 17 mars 1852 annula aussi cette rente. En 1857 une rente 3 pour 100 de 4 millions ayant été remise à la Banque en échange d’un versement de 100 millions fait par cet établissement, une somme égale de rentes provenant de la consolidation des réserves de l’amortissement fut annulée. Enfin l’inscription des rentes leprésentant les fonds disponibles de la caisse de la dotation de l’armée et celle des rentes viagères inscrites pour le compte de la caisse des retraites de la vieillesse donna lieu à des annulations correspondantes et successives de rentes appartenant à l’amortissement. Malgré ces diverses mesures, par suite de l’accroissement de la dotation résultant de cinq emprunts successifs et de la conversion facultative des rentes en 3 pour 100, au 1er janvier 1865 le fonds total de l’amortissement s’élevait à 188,595,264 francs, savoir : pour la dotation proprement dite, 122,773,876 francs ; pour les rentes rachetées ou réserve, 65,821,388 francs ; à la même époque, la dette consolidée atteignait en rentes actives la somme de 341,022,609 francs. Une loi votée en juin 1865 annula les rentes rachetées par la caisse d’amortissement, dont les fonds se trouvèrent réduits à sa dotation. La loi du 11 juillet 1866, que nous avons analysée plus haut, raya du grand-livre de la dette publique les rentes appartenant à la caisse d’amortissement et annula les derniers bons du trésor qui lui avaient été délivrés.