Amour de soi

  • Psychologie morale
  • Th. Jouffroy
  • Encyclopédie moderne

Amour de soi. On peut voir, à l’article Sensation, comment le phénomène de la sensation, dans sa simplicité, est tout à la fois une affection agréable ou désagréable pour la sensibilité qui l’éprouve, et un signe déterminé pour l’intelligence qui l’aperçoit, et comment, parce double caractère, il donne naissance à deux séries de phénomènes psychologiques, dont l’une se développe dans la sensibilité même, et dont l’autre se produit dans l’intelligence. Nous allons suivre dans cet article les effets de la sensation dans là sensibilité ; car il paraîtra bientôt que les mouvements variés qu’elle y excite émanent d’un même principe, et que ce principe est l’amour de soi.

C’est comme affection que la sensation devient pour la sensibilité une cause de développement : comme signe, elle n’excite que des faits intellectuels. Or, comme affection, elle ne revêt que deux formes essentiellement distinctes : elle est agréable ou désagréable. Une affection qui ne serait ni agréable ni pénible à quelque degré ne serait pas ; car, dans cette hypothèse, nous ne serions pas affectés. Il n’y a donc point de sensation indifférente, bien que nous puissions être indifférents à certaines sensations, soit que l’habitude de les éprouver nous ait familiarisés avec elles, soit que notre attention, détournée ailleurs, ne les remarque pas.

Puisque la sensation n’affecte la sensibilité que de deux manières vraiment distinctes, tous les phénomènes qu’elle y développe doivent se manifester à la suite de l’affection agréable ou de l’affection désagréable ; les chercher ailleurs serait inutile. Ce sont donc les résultats de ce double mode de la sensation que nous allons observer et décrire.

Dans la sensation agréable et dans la sensation pénible, ce qui sent en nous est purement passif : il éprouve, dans les deux cas, l’action d’une force étrangère ; mais à peine a-t-il commencé à la subir, qu’excité par l’impression il réagit vers la cause de cette impression, et développe un mouvement qui, sortant de lui et allant à elle, se distingue nettement du mouvement de cette cause, qui partait d’elle et aboutissait à lui.

Or, ce mouvement réactif, qu’enfante évidemment ce qui sent en nous, varie avec la sensation qui le détermine. A la suite de la sensation agréable, il est essentiellement expansif ; à la suite de la sensation désagréable, au contraire, son caractère est la concentration ; la sensibilité s’épanche hors d’elle dans le premier cas ; elle se resserre en elle dans le second. Le développement de ces deux mouvements opposés se compose de mouvements successifs qui en sont comme les degrés, et que nous allons décrire tels que l’observation nous les a montrés.

La sensibilité étant agréablement affectée, commence par s’épanouir, pour ainsi dire, sous la sensation ; elle se dilate et se met au large, comme pour absorber plus aisément et plus complètement l’action bienfaisante qu’elle éprouve : c’est là le premier degré de son développement. Bientôt ce premier mouvement se détermine davantage, et prend une direction ; la sensibilité se porte hors d’elle, et se répand vers la cause qui l’affecte agréablement : c’est le second degré. Enfin, à ce mouvement expansif finit tôt ou Lard par en succéder un troisième, qui en est comme la suite et le complément : non-seulement la sensibilité se porte vers l’objet, mais elle l’aspire à elle ; elle tend à le ramener à elle, à se l’assimiler, pour ainsi dire. Le mouvement précédent était purement expansif ; celui-ci est attractif : par le premier la sensibilité allait à l’objet agréable ; par le second elle y va encore, mais pour l’attirer et le rapporter à elle : c’est le troisième et dernier degré de son développement.