Amoureux

  • Art dramatique
  • S. A. Choler
  • Encyclopédie moderne

Amoureux, Amoureuse. On appelle ainsi, en style de théâtre, les personnages d’une œuvre dramatique, chargés plus spécialement des intéressantes fonctions qui consistent à aimer, à être aimé, et à déclamer en vers, à réciter en prose, à fredonner en couplet, à roucouler en romance et en cavaline les joies et les douleurs inhérentes à ce double état. — Si nous nous permettons ainsi de parler un peu irrévérencieusement de l’emploi des amoureux, c’est que généralement cet emploi est sacrifié à d’autres, Voyez dans la comédie : que sont Valère, Éraste, Cléante, Zélie, auprès de Mascarille, de Scapin, d’Argante, d’Harpagon ? Et dans la tragédie, Britannicus, Bajazet et tant d’autres ne sont-ils pas bien pâles el bien petits à côté des hommes forts qui occupent le premier plan dans l’ouvrage ? Achille lui-même, avec sa tendresse inutilement fougueuse, n’est-il pas un peu effacé au milieu de ce drame terrible qui s’agite autour de lui, et ses fanfaronnades menaçantes sont-elles faites pour émouvoir, comparées aux emportements maternels de Clytemnestre ? Moins on parlera de l’amoureux Philoctète, si mal à propos introduit dans l’Œdipe de Voltaire, et mieux cela vaudra pour l’auteur. Le théâtre antique se passait parfaitement de ces inutiles affections, et laissait de côté cette corde que l’argot littéraire d’à présent qualifierait du nom un peu vulgaire de ficelle. Dans notre théâtre, l’amour, si utile ou même si nécessaire que l’aient fait l’usage et la disposition des esprits, n’est qu’un accessoire, du moins l’amour tel que sont chargés de le représenter les personnages qui lui ont emprunté son nom. Car il est bon d’observer que cette passion n’appartient pas exclusivement aux rôles d’amoureux. Oreste pousse la tendresse jusqu’au dévouement le plus absolu, jusqu’à la folie, jusqu’au crime ; Alceste adore une coquette qui se moque de lui, et cet amour, à lui tout seul, combat contre la haine qu’il a vouée au genre humain ; don Juan aime et est aimé plus qu’homme au monde, et pourtant ce ne sont pas là des amoureux, mais bien des premiers rôles. A eux les grands mouvements de l’âme ; à eux les jalousies terribles, les dévouements sublimes, les ardeurs folles et emportées ; à eux la mer orageuse de l’amour, avec ses grandes tempêtes, son tumulte et son agitation : aux amoureux le pays de Tendre, avec ses petites joies, ses petits chagrins, ses petits obstacles. Aux premiers la passion : aux seconds tout au plus le sentiment.

Les artistes qui tiennent l’emploi dont nous parlons, prennent eux-mêmes le nom d’amoureux. De tous les genres de rôles, c’est peut-être celui qui demande le plus de qualités réunies. Tous les autres admettent certains défauts, et permettent même à un comédien habile de faire tourner ses défauts à son avantage. Un organe défectueux, rauque ou nasillard, un visage grotesque, une tournure commune ne sont pas incompatibles avec la théâtre, et certains acteurs ont su tirer si bon parti de ce qui semblait devoir leur nuire, qu’ils ont fini ou par faire oublier ces défectuosités, on par faire douter si elles n’étaient pas plutôt acquises par le travail qu’infligées par la nature. Mais, pour les amoureux, c’est autre chose ; tout ce qui n’est pas pour eux en eux-mêmes, est contre eux. Une figure agréable, un organe flatteur, de la jeunesse, un débit animé non par une chaleur factice, mais par cette ardeur juvénile si communicative, et par-dessus tout, un maintien noble, une démarche aisée, une distinction naturelle ; telles sont les conditions si rarement réunies, qu’exige cette spécialité, et qui font un des emplois les plus difficiles, d’un emploi que nous avons présenté comme un des plus insignifiants.