Amphibie

  • Histoire naturelle
  • Bory de Saint-Vincent
  • Encyclopédie moderne

Amphibie. Ce mot, qui signifie proprement double vie, désigne ordinairement, dans le langage vulgaire, les animaux qui habitent indifféremment sur terre ou dans les eaux : il s’applique conséquemment à la grenouille, à la loutre, au castor, etc. Le naturaliste le prend dans une acception beaucoup plus restreinte. Linné l’imposa exclusivement à l’une des classes du règne animal qu’il forma d’abord des reptiles, des serpents chondroptérygiens, mais qu’il réduisit plus tard, en rapportant ces derniers à la classe des poissons, dont ils font véritablement partie. Plus récemment, G. Cuvier a transporté le nom d’amphibie chez les mammifères, et l’a réservé aux animaux à sang chaud, que la disposition de leurs organes moteurs rend citoyens des deux éléments. Les amphibies de Cuvier, placés après les chats, forment la troisième et dernière tribu de la classe des carnassiers ; leurs membres sont tellement courts et oblitérés, qu’ils ne leur peuvent servir pour marcher ; propres à la natation dans la mer, ils ne peuvent que favoriser une sorte de reptation sur ses rivages. Les amphibies dont il est question ici habitent l’Océan ; ils ne viennent à la côte que pour s’y réchauffer au soleil et allaiter leurs petits ; ils ont le corps allongé, le bassin très étroit et le poil fort ras : ce sont les phoques et les morses.

Les amphibies de Linné et de Cuvier, tout éloignés qu’ils sont les uns des autres dans l’ordre de la nature, ont cependant un caractère commun fort essentiel : leurs deux circulations se réunissent pour n’en faire qu’une ; leurs deux espèces de sang se mêlent et se confondent ; ils n’ont, en général, qu’une seule oreillette au cœur ; ou, quand il y en a deux, celles-ci communiquent à l’aide du trou de Botal, qui persiste après la naissance, et ne se ferme point comme il arrive dans l’homme, par exemple. On a conséquemment comparé les amphibies aux foetus des mammifères ; et le fœtus offre, en effet, quelques rapports avec les amphibies. Il vit au milieu des eaux de l’amnios, et le trou de Botal y réduisant le cœur à une sorte d’unité de ventricule, le fœtus a réellement une circulation de phoque ou de reptile. C’est de ce fait que Buffon avait conclu qu’on pouvait rendre amphibies les petits mammifères nouveau-nés, en les tenant immergés dans de l’eau ou dans du lait mis à la température de la mère. Il parait que nulle expérience n’a été faite à ce sujet. Malgré l’autorité du grand nom de Buffon, il est presque certain qu’un tel essai n’eût pas réussi ; et, sans entasser ici les preuves anatomiques d’où résultent nos doutes, il suffira de faire observer que le fœtus, suspendu dans les eaux de l’amnios, reçoit desamère un sang tout respiré, tandis qu’après la naissance, un mammifère, qui n’a plus cet élément de vie, doit respirer par lui-même, et meurt nécessairement pour peu qu’il y ait interruption dans la respiration une fois que celle faculté s’est exercée.

Buffon était parti d’un faux principe ; il imaginait que la conservation du trou de Botal donnait aux êtres sur lesquels on l’observe la précieuse faculté de respirer alternativement dans l’air et dans l’eau. Le trou de Botal n’a d’autre usage que de fournir au sang un moyen d’éviter les poumons, de soustraire la circulation à la compression des vaisseaux pulmonaires, et de rendre celle-ci, par cela même, indépendante des effets de cette compression.

Les reptiles qui, pour les naturalistes attachés à la méthode linnéenne, sont toujours de la classe des amphibies, sont aussi des amphibies plus réels, surtout pour le vulgaire, qui voit la tortue et la grenouille se tenir indifféremment au fond des froids marécages, ou se réchauffant sur les bords de ceux-ci aux rayons d’un soleil ardent. La grenouille et tous les batraciens sont même en quelque sorte plus qu’amphibies, passant de l’état de poisson à l’état de reptile par une métamorphose complète. On les verrait mourir si, dans leur premier état, on les tenait longtemps exposés à l’air, comme, après leur entier développement, ils sont asphyxiés, quand on les tient plongés exclusivement dans l’eau : c’est ici que la double vie existe d’une manière remarquable, mais elle n’est pas simultanée.

Le nom d’amphibie, rarement appliqué aux oiseaux, encore que diverses espèces de cette classe puissent plonger assez longtemps, a été adopté en botanique pour désigner quelques plantes qui vivent indifféremment sur la terre ou dans les flots. De ce nombre est entre autres le Polygonum amphibium, belle espèce de reuouée, qui croît assez fréquemment dans les environs de Paris, où ses épis de fleurs pourprées la rendent remarquable vers le commencement de l’automne.