Annam
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Annam. Empire de l’Asie, situé dans l’est de la presqu’île au delà du Gange, comprend les pays que nous appelons Tonkin et Cochinchine, le Laos, le Camboge et le Tsiampa. Il s’étend de 8° 45’ à 23° 1’ de latitude septentrionale, et de 97° 45’ à 106° 58’ de longitude orientale. Sa longueur est de 370 lieues et sa largeur de 150 ; sa surface est de 39,374 lieues carrées. Il est borné au nord par la Chine, dont un vaste désert sablonneux le sépare ; à l’est et au sud, par la mer de Chine ; au sud-ouest, par le golfe de Siam ; à l’ouest, par le royaume de Siam. Une chaîne de montagnes qui traverse l’Annam du nord au sud offre des cimes très hautes ; ses branches divisent les différentes parties de l’empire. Les côtes sont partout profondément échancrées ; la mer forme au nord le golfe de Tonkin ; il y a cependant peu de bons ports, à cause des bancs de sable et du peu de profondeur des fleuves à leur embouchure : on en compte plus de cinquante. Les principaux sont le May-Kong ou Cambodge, qui vient des frontières de la Chine, et dans le Tonkin le Sang-Koï.
Le climat du Tonkin est rafraîchi, de septembre en mars, par les vents du nord et du sud ; les pluies y tombent depuis avril jusqu’en juin, et sont suivies de la plus abondante végétation. La chaleur est insupportable en juillet et août ; le froid est assez vif en janvier et février ; des digues nombreuses défendent contre les flots de la mer les terres basses, très fertiles en riz. La partie haute du pays est couverte de forêts.
En Cochinchine, la saison pluvieuse a lieu de septembre en novembre ; les trois mois suivants sont assez frais ; la température de mars, avril et mai, est délicieuse ; mais la chaleur est excessive en juin, juillet et août. Le golfe du Tonkin et les mers voisines sont exposés aux ravages des typhons, ouragans affreux qui durent plusieurs heures.
Les forêts de ces contrées sont remplies d’arbres précieux, tels que le tek, le bois de fer, l’arbre à suif, les arbres qui donnent le bois d’aigle, le calambac, le bois de rose, le sandal, la laque. Les oranges y sont exquises. Les principales productions de l’agriculture sont le riz, la canne à sucre, le bétel, l’indigo, le colon, les patates, le melon, la banane et le tabac. Une récolte de riz a lieu en avril, l’autre en octobre. La charrue est extrêmement simple et traînée par des bœufs ou des buffles. L’arbrisseau à thé est commun, on ne le soigne pas ; l’ananas, le cocotier, croissent sans culture.
Les deux pays ont des éléphants énormes ; on y chasse le tigre et le buffle dans les forêts, où l’on rencontre aussi des rhinocéros, des sangliers, des cerfs, des écureuils, et un grand nombre de singes. On élève des petits chevaux, des bœufs, des ânes, et surtout beaucoup de chèvres et de volailles ; ou n’y voit pas de moutons. La mer abonde en poissons, qui font la nourriture principale des habitants ; ils mangent aussi beaucoup de mollusques.
C’est particulièrement sur les côtes de la Cochinchine, et sur les îlots et les écueils qui en sont voisins, que la salangane, espèce d’hirondelle, construit ces nids si recherchés des gourmands chinois.
On récolte beaucoup de soie dans ces contrées, on en fabrique des étoffes ; on y fait aussi des toiles de coton et des tissus d’écorce d’arbre, du papier, de la poterie. On façonne le fer, qui est très commun ; il y a aussi des mines d’argent, de cuivre et d’étain, et un peu d’or. Le commerce extérieur est presque entièrement entre les mains des Chinois ; ils exportent les productions que nous avons citées, ainsi que du poivre, de l’ivoire, du miel, de la cire et de la cannelle. Depuis quelques années, les Européens ont essayé de prendre part à ce trafic, qui est très avantageux.
On estime la population de l’empire à 23 millions d’habitants. Les Annamitains sont de taille médiocre, ont le visage large, et cependant pas aussi aplati que celui des Chinois, auxquels d’ailleurs ils ressemblent beaucoup. Leur teint est plus olivâtre dans le sud que dans le nord ; ils ont les yeux et le nez petits, les cheveux noirs et lisses. Quelques auteurs disent que les femmes sont assez belles. Une longue robe, avec de larges manches, une tunique, des caleçons, composent l’habillement ; d’ailleurs on va les jambes et les pieds nus. Les vêtements sont en soie ou en coton ; et pour les gens de qualité, de couleur noire. On se couvre la tête d’une étoffe roulée en forme de turban ; on attache les cheveux en touffe derrière la tête. Une singulière mode est celle d’avoir les dents noircies et les lèvres d’un rouge sanguin ; ce qui est dû à l’usage de mâcher du bétel. Les femmes, de même que dans d’autres contrées de l’Orient, teignent leurs ongles en rouge ; il est de même du bon ton d’avoir les mains et les pieds colorés de la même manière.
Les maisons sont construites en bambous, couvertes en roseaux et en paille de riz, ordinairement situées au milieu de bosquets d’orangers, de citronniers, de cocotiers, et d’autres arbres à fruit. Les femmes ne sont pas enfermées ; c’est sur elles que tombent en partie les travaux des champs et les soins les plus pénibles du ménage.
La langue annamitique fait usage des caractères chinois ; elle a un grand nombre de mots chinois, et au moins autant dont les racines diffèrent entièrement de cet idiome. Dans le Cambodge, on parle un dialecte particulier ; les gens lettrés étudient le chinois.
La religion est le bouddhisme. Chaque ville ou village se choisit un génie tutélaire ou patron qui, de même que dans l’ancienne Égypte, est quelquefois un vil animal ; plus souvent, et avec plus de raison, c’est un homme qui a bien servi la patrie. On célèbre avec beaucoup de pompe le premier jour de l’année lunaire, et le monarque honore, comme à la Chine, l’agriculture, en labourant un champ. Ainsi que dans cet empire, il y a des fêtes en l’honneur des morts ; les enterrements, excepté celui du roi, se font avec beaucoup de faste ; les cercueils sont magnifiques, et il entre de la superstition dans le choix de certaines positions pour le lieu de sépulture. Le monarque est enterré sans bruit, afin de ne pas avertir de son décès les génies ennemis de l’empire, qui pourraient saisir ce moment pour causer de nouveaux désastres. On a une grande foi à la magie et à l’astrologie.
La polygamie est en vigueur ; nulle femme ne s’arroge la qualité d’épouse ; les hommes répudient les femmes, suivant leur caprice : le seul consentement des parents est nécessaire pour le mariage, qui n’est point béni par un ministre de la religion. La stérilité est déshonorante pour un ménage, tandis que le mélange de nombreux enfants de plusieurs femmes n’y apporte aucun trouble.
Quoique les Annamitains ressemblent beaucoup aux Chinois, ils sont plus gais, et parlent plus volontiers, mais ils sont généralement moins polis ; ils ont le cœur et l’esprit droits, sont généreux, humains, sociables, courageux, intrépides ; on les accuse d’être vains, dissimulés, inconstants et vindicatifs ; ils détestent les Chinois. Ils aiment le jeu, le luxe et la dépense ; ils ont beaucoup de souplesse et d’agilité dans leurs mouvements. Un de leurs divertissements est de se lancer les uns aux autres un ballon, uniquement avec la plante des pieds. Un matelot anglais s’étant pris de dispute avec un Cochinchinois, voulut boxer avec lui ; tandis qu’il manœuvrait pour marquer juste l’endroit où il frapperait son adversaire, le Cochinchinois lui rit au nez, fit une pirouette, et lui appliqua lestement son talon sur la mâchoire, puis s’en alla froidement.
Il y a parmi les Annamitains de très habiles escamoteurs, des sauteurs, des diseurs de bonne aventure qui divertissent la multitude. Ce peuple a aussi des spectacles d’un genre plus relevé ; on y représente des pièces de théâtre, mêlées de chants et de chœurs de musique. Des improvisateurs composent non seulement des pièces de vers, mais aussi des drames sur un sujet donné.
Les Annamitains sont loin des Chinois et des Japonais, sous le rapport des sciences ; ils se distinguent plus par une mémoire heureuse et par une imagination brillante que par la profondeur du raisonnement. Ils ont plusieurs ouvrages écrits avec éloquence ; ils s’attachent à acquérir ce mérite qui fait parvenir aux emplois. Depuis le onzième siècle de Jésus-Christ, ils ont consigné par écrit l’histoire de leur pays. En plusieurs points, ils ne sont que les copistes des Chinois ; ils entendent assez bien le traitement des maladies par l’emploi des plantes de leur patrie.
Il y a des écoles publiques, où l’on donne des leçons de morale, d’économie politique et rurale, d’art militaire, d’éloquence et de poésie. La base principale des études est la connaissance des livres de Confucius. Les lettrés sont très considérés. Dans tout l’empire il n’y a qu’une imprimerie, à Bac-Kinh ; on y suit le même procédé qu’à la Chine. Les beaux-arts sont dans l’enfance ; les peintres n’ont aucune idée de la perspective, ni de la distribution des ombres, et entendent peu le dessin. La musique est bruyante ; la danse manque d’agrément et de grâce.
Le commerce des provinces de l’intérieur entre elles est très actif et a lieu par les rivières et les canaux ; une seule grande route, qui mène de la capitale du Tonkin à celle de la Cochinchine, est praticable pour les voitures : les chevaux ne pourraient guère passer par les autres, que les grandes pluies dégradent aisément ; elles enflent brusquement les innombrables rivières dont le pays est entrecoupé. Dans un instant la plaine est inondée ; les maisons, les villages forment autant d’îles. On navigue en bateau à travers les champs et les haies ; c’est la saison des communications intérieures, des foires et des fêtes populaires. Du reste, la navigation maritime ne s’étend que le long des côtes ; les Annamitains ne s’en éloignent que pour visiter, pendant la saison de la pêche, les îlots de l’archipel des Paracels ; ils ne dépassent pas au nord les frontières de la Chine, et au sud le golfe de Siam, Leurs plus grands navires ne portent pas plus de soixante tonneaux. Ils ont des formes très élégantes ; celle des voiles, qui s’ouvrent et se ferment comme un éventail, est excellente pour prendre le vent au plus près.