Apelle
- Encyclopédie de famille
Apelle, célébré peintre de l’antiquité, était fils de Pythias ; né selon les uns à Cos, et selon d’autres à Colophon, il reçut le droit de cité à Éphèse : c’est pour cela qu’on le surnomme quelquefois l’Éphésien. Éphorus d’Éphèse fat sou premier maître, mais la réputation de l’école de Sicyone le détermina plus tard à prendre des leçons chez Pamphile, et il composa plusieurs chefs-d’œuvre avec les élèves de ce maître. Sous le règne de Philippe, Apelle se rendit en Macédoine ; là s’établit entre lui et ce prince cette intimité qui a donné lieu à beaucoup d’anecdotes. On raconte que pendant son séjour à Rhodes Apelle alla visiter l’atelier de Protogène ; celui-ci étant absent, il traça sur une planche un cercle avec le pinceau. À son retour, Protogène reconnut la main d’Apelle ; il s’appliqua à le surpasser par un cercle plus beau et plus exact trace dans le premier. Apelle revint, et en fit passer un plus exact encore et plus délié au milieu des deux premiers. Le peintre de Rhodes s’avoua vaincu. Pline assure qu’Apelle n’employait dans la peinture que quatre couleurs, qu’il combinait et harmoniait admirablement, au moyen d’un vernis que lui-même avait composé et dont le secret a été perdu. Il se livrait avec tant de zèle à son art qu’il ne passait pas un jour sans toucher son pinceau. Pour atteindre la perfection, il exposait ses ouvrages aux yeux des passants, et, caché derrière un rideau, il recueillait leurs critiques pour en faire son profit. Un jour, un cordonnier ayant trouvé qu’il manquait quelque chose à une sandale, le peintre profita de son observation, et le lendemain le tableau reparut avec la correction indiquée ; mais celui-ci ayant voulu faire de nouvelles critiques, Apelle, se montrant aussitôt, lui adressa ces mots, que les fables de Phèdre ont rendus proverbe : « Cordonnier, ne juge pas au delà de la chaussure. »
Seul admis, dit-on, à peindre Alexandre, qu’il suivit dans une grande partie de ses campagnes, il fit de lui plusieurs portraits. Le plus célèbre, dans lequel le conquérant de l’Asie était représenté en Jupiter Tonnant, était encore conservé, au temps de Plutarque, dans le. temple de Diane à Éphèse. D’après cet écrivain l’illusion y était portée à tel point que la foudre et le bras qui la tenait semblaient sortir du tableau, et le visage du héros n’était éclairé que par la lueur projetée des éclairs. Un jour qu’Alexandre se mêlait de parler de peinture, on prétend qu’Apelle lui dit avec beaucoup de liberté : « Prenez garde que ceux qui broient mes couleurs ne vous entendent ! » Selon une version plus vraisemblable ce propos aurait été tenu seulement à un riche citoyen d’Éphèse.
« On cite encore, ajoute le baron Ernouf, deux autres portraits d’Alexandre qui avaient été, en dernier lieu, transportés à Rome et placés sous les galeries du Forum. Dans l’un il était représenté entre les célestes jumeaux Castor et Pollux ; dans l’autre, il figurait sur un char triomphal conduit par la Victoire. L’empereur Claude avait maladroitement fait effacer le nom d’Alexandre, inscrit sur ce tableau, pour y substituer celui d’Auguste. On prétend que des chevaux de grandeur naturelle, attelés au char, étaient d’une vérité si frappante de couleur et d’allures, qu’en les apercevant de véritables chevaux se mettaient à hennir. Apelle peignit aussi plusieurs compagnons d’armes d’Alexandre, notamment Clitus revêtant son armure. On cite en outre de lui une Grâce drapée qui existait encore à Smyrne du temps de Pausanias ; un Hercule vu de dos, placé finalement dans le temple d’Antonia à Rome. Pline nous a conservé la liste des ouvrages qui existaient encore de son temps ou dont la mémoire s’était conservée et qu’une tradition constante attribuait à Apelle. Il nous apprend aussi que trois tableaux seulement portaient la signature du maître : l’Alexandre Ju piter, une Vénus endormie, et la Vénus Anadyomène, qui a été considérée de tout temps comme le chef-d’œuvre d’Apelle et de la peinture antique. Ce tableau avait été offert par Apelle au temple d’Esculape, à Cos. Il y resta jusqu’au temps d’Auguste, qui le prit en payement d’une contribution de guerre de cent talents. Cet admirable tableau avait beaucoup souffert dans le trajet de Cos à Rome, et il se trouvait dans un tel état de dégradation du temps de Néron, que celui-ci jugea à propos de le faire remplacer par une copie, œuvre d’un peintre nommé Dorothée. Il est vraisemblable que cette copie fut détruite, ainsi que. l’original et les deux portraits d’Alexandre qu’on admirait au forum, dans l’effroyable incendie de l’an 65 dont Néron accusa les chrétiens et qu’il avait, dit-on, allumé lui-même. Après la mort d’Alexandre, Apelle dut retourner à Éphèse, qui se trouvait placée sous la juridiction d’Antigone, dit le Borgne ou le Cyclope. Apelle fit de ce prince un portrait équestre, dans lequel il le représenta de profil pour dissimuler son infirmité. On a cru longtemps que le grand artiste avait voyagé en Egypte, et qu’il y avait éprouvé auprès de Ptolémée Soter une disgrâce momentanée dont il s’était vengé depuis en peignant une scène d’allégorie satirique célèbre dans l’antiquité sous le nom de ta» bleau de la Calomnie. Ce tableau subsistait encore du temps de Pline ; mais -une savante dissertation allemande a prouvé que cette histoire est postérieure d’environ deux siècles au temps d’Apelle, et qu’elle concerne un peintre du même nom, peut-être un de ses descendants, et un autre roi de la dynastie des Ptolémées. Pline dit formellement que les tableaux d’Apelle n’étaient pas peints à fresque, mais en détrempe. Il se servait, selon toute apparence, de panneaux de chêne ou de cèdre, qu’on encastrait ensuite dans les parois des temples ou des palais. Malgré son incontestable supériorité, Apelle se plaisait à parler de ses rivaux avec éloge et savait s’en faire aimer. On prétend même qu’il se laissa attribuer des ouvrages de Protogène, afin qu’ils se vendissent plus avantageusement. On dit enfin qu’il mourut subitement dans toute la force de l’âge et du talent, tandis qu’il était occupé à peindre une nouvelle Vénus, supérieure, encore à la première, et que personne n’osa achever. »