Atticisme

  • Littérature
  • P. F. Tissot
  • Encyclopédie moderne

Atticisme. Les modernes ne sauraient fixer d’une manière précise le sens que les anciens attachaient à ce mot. Suivant les autorités, il signifierait au premier abord une façon de parler concise et serrée, mais cependant pleine d’élégance, qui, froide comme la raison, était en grande estime parmi les Athéniens au temps de leur gloire et de leur vertu. Ce genre sévère avait subi des altérations avec les mœurs ; mais il avait retenu quelque chose de sa simplicité première, et conservé, beaucoup de partisans, avant et après les succès de Périclès dans tout ce qui peut donner de l’éclat à un peuple. Lorsque les Grecs, vaincus les armes à la main, régnaient par la supériorité de l’esprit sur leurs vainqueurs, l’atticisme comptait à Rome un grand nombre de sectateurs, qui, dans l’ardeur de leur fanatisme littéraire, traitaient Cicéron à peu près comme les séides du romantisme traitent aujourd’hui les amis du genre classique, avec cette différence que les attiques reprochaient à Torateur romain le luxe et l’abondance, tandis que les romantiques accusent leurs adversaires de froideur et de stérilité.

Suivant Quintilien, qui nous retrace l’étrange folie des détracteurs de Cicéron, il existait une très ancienne discussion entre deux sortes de style, l’asiatique et l’attique ; celui-ci serré, pur et plein ; celui-là, au contraire, vide et gonflé ; l’un n’ayant rien de superflu, l’autre manquant de justesse et de raison. L’aristarque romain attribue ces vices aux villes de l’Asie, qui, avides d’étudier le grec, et ne s’étant pas donné le temps de le connaître avant d’aspirer aux succès de la tribune, avaient altéré cette belle langue. Les Athéniens, doués de finesse, d’esprit et de jugement, dit encore l’auteur de l’Institution de l’orateur, ne souffraient rien d’inutile, rien de surabondant ; les Asiatiques, au contraire, peuples gonflés d’orgueil, et enclins à une certaine jactance, donnèrent, même à l’éloquence, leur caractère de vaine gloire: Cicéron exprime les mêmes pensées avec cette élégance de style qui rapproche quelquefois sa prose de la poésie. « Aussitôt, dit-il, que l’éloquence eut quitté la Grèce, elle parcourut toutes les îles, et même l’Asie entière. Cette excursion hors du pays natal lui fit prendre la teinture des mœurs étrangères, et perdre la pureté, le bon goût du style attique à un tel point qu’elle désapprit presque à parler. De là tous ces orateurs asiatiques que leur abondance et leur facilité ne laissent pas sans mérite, mais qui sont peu concis et trop redondants. »

Quintilien, en ajoutant le style rhodien aux deux genres dont nous avons parlé, accorde une supériorité incontestable au style attique ; mais il paraît enoore que les modernes partisans de ce style dans Athènes poussaient leur prédilection pour l’élégance et la politesse au point de faire grâce, en leur faveur, à une simplicité aride et stérile d’idées. On conçoit combien une telle partialité déplaît à Cicéron, d’abord comme ami de l’éloquence, et ensuite comme défenseur naturel de la richesse, de l’éclat et de la magnificence oratoires. Également opposé aux sectateurs de l’ancien rigorisme et à ceux de la mollesse moderne, Cicéron, que Quintilien suit pas à pas comme un guide sûr, distingue différents degrés ainsi que différents modèles dans le style attique ; et alors il se demande à quels caractères particuliers il faut le reconnaître. Si l’on trouve également l’atticisme dans Lysias et Isocrate, dans Eschine et Démosthène, qui se ressemblent si peu, il se plie donc à toutes les inspirations, à toutes les volontés du génie ; mais, s’il en est ainsi, comment saisir ce Protée sous une forme positive qui soit sa forme première et naturelle ? Ces arguments sont pressants, et nous rappellent cette singulière puissance des idées vagues, des opinions mal définies, des préférences irréfléchies qui dominent dans la littérature à de certaines époques.

Balzac a dit : « J’aime bien plus ces armes courtes et tranchantes , cet atticisme de raisons, que ce long équipage de figures, que ces ornements qui traînent par terre, que cette pompe ennuyeuse de l’éloquence d’Athènes. » Il est évident que dans cette phrase, à la manière de Montaigne, Balzac a voulu donner la palme au style attique, et qu’il fait la guerre à celui qui lui est opposé ; Fénelon aurait sans doute penché pour le même avis, pusqu’il préfère Démosthène à Cicéron. C’est là sans doute une grande autorité ; cependant, on voit assez clairement que les attiques modernes, comme Cicéron les appelle dans son dialogue de Brutus, préféraient une diction à la fois vive, pure et solide, mais froide et desséchée, une certaine frugalité d’éloquence, aux prodiges de Périclès, ou du rival d’Eschine, qui disposèrent des cœurs à la tribune comme Roscius sur la scène ; assurément nous ne pouvons pas adopter une pareille injustice.

Pour accorder ces contradictions apparentes, il faut se rappeler que les anciennes lois d’Athènes proscrivaient en quelque sorte l’éloquence ; que par conséquent la parole des orateurs avait été longtemps austère et simple, quoique toujours marquée au cachet de cette élégance qui suivait partout le peuple de Minerve, comme les Grâces accompagnent toujours Vénus dans la mythologie d’Homère. Si nous devons ajouter foi aux récits de Plutarque, le vertueux Phocion, que Démosthène appelait la cognée de ses discours, n’était pas moins le représentant de l’atticisme dans son élégante sévérité que le modèle vivant des anciennes mœurs.

D’après Cicéron et Quintilien, Lysias avait affaibli le style attique à force de le polir ; Hypérides lui avait donné un agrément et une douceur qu’il n’avait pas. Avec Démétrius de Phalère, il était devenu plus fleuri ; sous Hégézias, on l’avait vu tomber dans une frivolité, dans une recherche de paroles non moins contraire au goût qu’à la raison.

On accusait aussi le célèbre Isocrate d’avoir entièrement énervé l’atticisme ; cependant son école, ainsi que celle de Lysias, produisit les plus célèbres orateurs. Comment expliquer de tels succès avec de tels défauts ? Comment les corrupteurs du style attique, loués par Cicéron, auraient-ils produit les modèles de l’éloquence par leur science et même par leur exemple ? A la vérité ; quelques-uns de ces maîtres si fameux n’obtiendraient pas notre admiration ; et Fénelon, par exemple, faisait peu de cas de la vaine pompe d’Isocrate. Il est donc évident que nous serions fort embarrassés d’avoir une opinion positive sur la véritable signification du mot atticisme.

Démosthène, quoique simple, précis, plein de feu et de nerf, et cependant riche, majestueux, sublime, Démosthène, ce souverain des âmes à la tribune, devait avoir pour adversaires les deux sections du parti des enthousiastes du style attique ; les uns préféraient sans doute le grave Phocioa ; les autres auraient donné la palme à Isocrate ou à tel autre orateur poli et châtié. Cependant Démosthène offrait, à beaucoup d’égards, les caractères de l’atticisme, que Cicéron, au contraire, ne rappelle presque jamais, parce que, dans ses plus sublimes créations, il y a en lui une abondance de paroles tout à fait opposée à la sobriété de l’atticisme. Démosthène n’épargne rien de ce qui est nécessaire, Cicéron a presque toujours du luxe ; le premier montre à propos ses richesses, le second les répand avec une sorte de prodigalité ; la pensée de Démosthène gouverne ses paroles, la pensée de Cicéron obéit aux siennes ; quand Démosthène a tout dit, Cicéron a beaucoup à dire encore, non-seulement parce qu’il a plus de fécondité, mais encore parce qu’il prend un vrai plaisir à s’écouter lui-même.

Suivant Moreri, atticisme se dit d’une certaine raillerie agréable et polie, d’une certaine politesse fine et galante, qui était en usage parmi les Athéniens, lepidus jocus, liberalis urbanitas. On lit dans la Bruyère : « Ce sont des princes qui ont su joindre aux plus belles et aux plus hautes connaissances, et l’atticisme des Grecs, et l’urbanité des Romains ; » cette phrase indique ce que nous entendons maintenant par atticisme. Il a perdu sa signification primitive, pour en prendre une toute différente. Assurément l’auteur des Caractères ne fait point allusion à la manière grave et simple des anciens orateurs d’Athènes ; il ne veut pas non plus parler de cette éloquence cherchée à laquelle les attiques modernes attachaient tant de prix. Dans la phrase du philosophe, et dans notre esprit, atticisme signifie un à-propos dans les pensées, une convenance dans les expressions, une familiarité, une fleur d’esprit et un certain talent de plaire qui semblent particuliers aux princes et aux grands, lorsque l’éducation qu’ils ont reçue ou qu’ils se sont faite a secondé en eux d’heureuses dispositions de la nature. L’atticisme suppose toujours l’élégance des mœurs. Appliqué aux écrivains, le mot atticisme exprime un mélange de la pureté, de la délicatesse des Grecs, de l’urbanité des Romains, avec le goût et la politesse des modernes.

Il y avait beaucoup d’atticisme à la cour d’Auguste et à celle de Louis XIV ; les orgies du régent et les sales voluptés de Louis XV, d’ailleurs éloigné de tout commerce avec les écrivains, dont l’union avec les grands produit la perfection de l’atticisme, l’avaient relégué dans les brillantes sociétés de Paris. Fontenelle fut, pendant toute la seconde partie de sa longue carrière, le représentant de l’atticisme. Il y avait de l’atticisme dans Racine et dans Massillon ; on ne le trouve pas au même degré dans Corneille et dans Bossuet. Horace dans ses Épîtres, Voltaire dans le Mondain et dans ses poésies légères, respirent l’atticisme, et lui prêtent, par une agréable plaisanterie, des grâces nouvelles. Le caractère, l’esprit, les mœurs, la vie du célèbre Atticus, qui s’était fait Grec non-seulement par un long séjour dans la ville de Minerve, mais encore par une profonde connaissance de la langue de Platon, qu’il parlait comme sa langue maternelle, et enfin par tous lés goûts d’un véritable contemporain de Périclès, se lient tellement pour nous à l’idée de l’atticisme, que le mot nous paraît tirer son origine du nom de l’ami de Cicéron et de César. Atticus serait pour nous le modèle achevé de l’atticisme, si Fénelon n’eût pas existé.