Bergers

  • Dictionnaire infernal

Bergers. On est encore persuadé dans beaucoup de villages que les bergers commercent avec le diable, et qu’ils font des maléfices. Il est dangereux, assure-t-on, de passer près d’eux sans les saluer ; ils fourvoient loin de sa route le voyageur qui les offense, font maître des orages devant ses pas et des précipices à ses pieds. On conte là-dessus beaucoup d’histoires terribles.

Un voyageur passant à cheval à l’entrée d’une forêt du Mans renversa un vieux berger qui croisait sa route, et ne s’arrêta pas pour relever le bonhomme. Le berger, se tournant vers le voyageur, lui cria qu’il se souviendrait de lui. L’homme à cheval ne fit pas d’abord attention à cette menace ; mais bientôt, réfléchissant que le berger pouvait lui jeter un maléfice, et tout au moins l’égarer, il eut regret de n’avoir pas été plus honnête. — Comme il s’occupait de ces pensées, il entendit marcher derrière lui ; il se retourne et entrevoit un spectre nu, hideux, qui le poursuit…. c’est sûrement un fantôme envoyé par le berger… Il pique son cheval, qui ne peut plus courir. Pour comble de frayeur, le spectre saute sur la croupe de son cheval, enlace de ses deux longs bras le corps du cavalier, et se met à hurler. Le voyageur fait de vains efforts pour se dégager du monstre, qui continue de crier d’une voix rauque. Le cheval s’effraye, et cherche à jeter à terre sa double charge ; enfin une ruade de l’animal renverse le spectre, sur lequel le cavalier ose à peine jeter les yeux. Il a une barbe sale, le teint pâle, les yeux hagards ; il fait d’effroyables grimaces….. Le voyageur fuit au plus vite : arrivé au prochain village, il raconte sa mésaventure. On lui apprend que le spectre qui lui a causé tant de frayeur est un fou échappé qu’on cherche depuis quelques heures[1].

Les maléfices de bergers ont eu quelquefois des suites plus fâcheuses, et il a été prouvé, dans le passé, qu’ils composaient des poudres mystérieuses avec lesquelles ils empoisonnaient certains pâturages et donnaient aux troupeaux des vertiges. Un boucher avait acheté des moutons sans donner le pourboire au berger de la ferme. Celui-ci se vengea ; en passant le pont qui se trouvait sur leur route, les moutons se ruèrent dans l’eau la tête la première.

On conte aussi qu’un certain berger avait fait un sort avec la corne des pieds de ses bêtes, comme cela se pratique parmi eux pour conserver les troupeaux en santé. Il portait ce sort dans sa poche : un berger du voisinage parvint à le lui escamoter, et, comme il lui en voulait depuis longtemps, il mit le sort en poudre, et l’enterra dans une fourmilière avec une taupe, une grenouille verte et une queue de morue, en disant : Maudition, perdition, destruction ! et au bout de neuf jours, il déterra son maléfice et le sema dans l’endroit où devait paître le troupeau de son voisin, qui fut détruit.

D’autres bergers, avec trois cailloux pris en différents cimetières et certaines paroles magiques, donnent des dysenteries, envoient la gale à leurs ennemis, et font mourir autant d’animaux qu’ils souhaitent. C’est du moins l’opinion hasardée des gens du village. Quoique les bergers ne sachent pas lire, on craint si fort leur savoir et leur puissance, dans quelques hameaux, qu’on a soin de recommander aux voyageurs de ne pas les insulter, et de passer auprès d’eux sans leur demander quelle heure il est, quel temps il fera, ou telle autre chose semblable, si l’on ne veut avoir des nuées, être noyé par des orages, courir de grands périls, et se perdre dans les chemins les plus ouverts.

Il est bon de remarquer que, dans tous leurs maléfices, les bergers emploient des Pater, des Ave, des neuvaines de chapelet. Mais ils ont d’autres oraisons et des prières pour la conservation des troupeaux. (Voyez : Troupeaux), et pour les bergers, (Voyez : Hocques), etc.

1.

Madame Gabrielle de P***, Histoire des fantômes, etc., p. 205.