Cause
- Philosophie
- Satur
- Encyclopédie moderne
Cause. Une de ces notions universelles que nous trouvons à l’origine et au terme de toutes nos connaissances ; principe d’activité, de génération, de production, de composition, élément, force, pouvoir, faculté, sujet, condition, occasion, motif, but, intention, tout ce qui implique priorité d’existence liée à un commencement ou changement. Nous allons indiquer rapidement les principales opinions sur la nature des causes, comme phénomènes du monde physique et du monde intellectuel ; nous tâcherons d’en déterminer la notion, et nous ferons quelques réflexions sur les égarements où l’imagination a toujours été entraînée par les fausses inductions qu’elle tire de l’ordre moral à l’ordre physique.
La connaissance des causes étant le but et le fondement de la raison, doit en contenir les deux extrêmes, l’expérience et la philosophie. L’expérience recherche les causes prochaines qui sont les principes des arts ; la philosophie, les causes éloignées qui sont les principes des sciences. L’investigation des causes premières caractérise la philosophie des peuples anciens et celle des premiers temps de la Grèce. Socrate s’occupe des causes morales, et ouvre ainsi une roule plus importante à la raison. La dialectique envahit le domaine presque entier de la philosophie ; on s’attache plus à la classification des causes qu’à leur recherche. Aristote les résume, il les répand dans ses ouvrages, en fait ia base de ses traités, et définit la science, la connaissance des causes éternelles qui constituent l’essence des choses. Les Ioniens avaient poursuivi les causes efficientes ou productrices dans les éléments de la matière ; les éléatiques, physiciens suivis par Épicure, dans des corpuscules primitifs ; Pythagore, Anaxagore, Platon, dans un esprit actif et intelligent ; Héraclite, et Zénon après lui, dans-le feu élémentaire. Tous avaient admis une matière première, sujet passif des existences, une forme, un principe actif, une cause efficiente qui formait leur union, et, à la réserve des atomistes, une cause finale ou force inhérente aux êtres, qui les déterminait vers un but réel et positif. Cette dernière cause était le destin. Le hasard rompait la chaîne des existences et produisait les événements sans liaison. Le destin était l’enchaînement nécessaire des êtres et des lois auxquelles ils sont assujettis ; le hasard, la cause aveugle de tout ce qui arrive hors des voies préfixes et régulières ; il différait de la fortune en ce que celle-ci n’avail lieu que dans les actions des natures qui agissent par choix, et qu’elle était la cause du bonheur ou du malheur qui arrivent à l’homme. Le hasard présidait aux événements du monde matériel, la fortune à ceux du monde moral.
Aristote réunit sous trois chefs toutes les puissances douées de l’énergie de cause : la nature, la nécessité ou le destin, et le hasard, auxquelles il ajouta l’esprit humain, et il forma, selon leurs différentes manières d’agir, quatre classes de causes : deux extérieures, la cause efficiente et la cause finale ; et deux intérieures, la matière et la forme, auxquelles il joignit la privation, comme condition nécessaire de leur union. Ces causes qu’il reproduit sous une multitude de modes, tels que ceux de cause singulière et universelle, actuelle et virtuelle, simple et composée, antérieure et postérieure, prochaine et éloignée, principale et instrumentale, essentielle et accidentelle, première et seconde, libre, nécessaire, inhérente, passagère, et bien d’autres, peuvent être regardées comme le fond et la substance de l’ancienne philosophie, quoiqu’elles ne fussent pas entendues par (ous les philosophes semblablement. Héraclite, Aristote, Zénon, soumettent la divinité, cause efficiente, à la nécessité ou au destin, cause finale ; Platon soumet le destin à la divinité. Tous admettent le hasard avec les atomistes, mais ils le font coexister avec le destin : Pythagore le bannit du gouvernement des cieux et le laisse subsister sur la terre, où il lutte avec l’homme, la nature et le destin : Héraclite lui accorde ia plus grande part dans l’empire de l’univers ; Platon le relègue avec le désordre dans l’âme du monde ; et Aristote, qui borne l’action du premier moteur à la sphère des cieux, lui abandonne en partie le monde sublunaire uni au monde supérieur par une espèce de sympathie.
Les péripatéticiens et les scolastiques, héritiers de l’esprit analytique d’Aristote, abandonnent les causes premières. La théologie se sépare de la physique ; l’on s’occupe plus spécialement des causes secondes. On cherche les causes physiques dans les quatre éléments, les six qualités des corps et les effets du mouvement ; et les causes morales, dans la nature de l’âme et de ses facultés. On assigne les causes des quatre branches de la philosophie ; de la physique, dans les qualités sensibles des êtres ; de la métaphysique, dans les attributs essentiels, d’où découlent les propriétés secondaires ; de la logique, dans les prémisses qui renferment la conclusion ; de la morale, dans les déterminations libres de la volonté d’après le jugement de la raison. L’on décrit les circonstances et les conditions qui circonscrivent l’action de toutes les forces, et l’on en forme autant de causes particulières, que l’on prodigue dans toutes les sciences naturelles, morales , intellectuelles et dans les arts. On définit par les faits quand l’observation simple les découvre, car on ne sait pas encore interroger la nature par l’expérience quand les faits manquent ; plutôt que de manqu er de causes, on imite ou l’on ressuscite les causes occultes des anciens : les vertus intrinsèques, les formes substantielles, les propriétés des nombres, les sympathies, l’horreur du vide, les forces attractives et répulsives, expansives et compressées, les essences, les accidents, les propriétés spécifiques, et toutes les qualités imaginaires, dont Molière et Fontenelle se sont si plaisamment joués. Cependant la doctrine des causes finales qui, dans les écoles de Platon, d’Aristote, de Galien, était venue si souvent au secours des causes physiques, avait pris un grand développement sous l’influence cfe la théologie scolastique : les formes intentionnelles avaient été maintenues. On continue de poser en principe que la nature agit toujours par les voies plus simples, qu’elle ne fait rien en vain, qu’elle choisit en tout les voies les plus sages, que l’art consiste à la suivre, et bien d’autres axiomes de la même évidence, d’au tant plus irréfragables qu’il était établi parmi les docteurs qu’il ne faut pas disputer des principes.
Cependant la méthode d’observation avait fait tomber dans le discrédit les qualités occultes ; les causes finales eurent le même sort. Bacon en dénonça l’abus dans la physique ; Descartes les en bannit, mais pour substituer la cause première aux causes secondes. Il avait dit : Donnez-moi la matière et le mouvement, et je construirai le monde ; — et la matière et le mouvement notaient pour lui que les occasions ou les conditions des phénomènes que Dieu produit incessamment par les actes de sa volonté. Descartes, physicien, semble avoir trop séparé Dieu de la nature ; Descartes, métaphysicien, l’en a trop rapproché, et il a donné lieu aux deux systèmes de Spinosa et de Malebranche, dont le premier suppose que tout est Dieu, et le second que Dieu est tout. Les causes occasionnelles étant les conditions selon lesquelles Dieu produit les effets naturels, le philosophe doit sans doute étudier ces conditions ; il doit étudier les lois du choc des corps, du mouvement des astres , les motifs qui agissent sur la volonté, les modifications que nos organes font subir à nos sentiments et à nos pensées. Sous ce rapport, rien n’est changé ; mais que gagnent les cartésiens à dépouiller les faits du titre de cause véritable ? Savons-nous mieux comment Dieu peut agir immédiatement sur la matière, que comment le mouvement peu passer d’uncorps à un autre ? comment Dieu modifie notre âme, que comment l’âme peut agir sur le corps ? N’est-ce pas remplacer un mystère par un autre mystère ? n’est-ce pas dénaturer la physique que de placer les causes secondes dans la volonté de Dieu ? Est-il plus digne de sa majesté d’agir par des lois particulières, d’après des conditions préexistantes, que par des lois générales établies par un décret primitif, comme si après avoir posé les conditions, son assistance était encore nécessaire, et qu’au lieu d’une seule action, il eût eu besoin de deux ? Aussi Leibnitz fut-il mécontent de l’hypothèse de Descartes. Il prit une autre route ; mais il ne sortit point de la théologie. Il prit son fondement dans la raison suffisante des choses et raisonna à priori comme Descartes. Les anciens disaient : Nul effet sans cause ; Leibnitz dit : Nul effet sans raison suffisante, c’est-à-dire sans la raison de Dieu ; et pénétrant tes desseins éternels dans la formation de l’univers et les lois particulières qui le régissent, if rappela les causes finales exilées par Descartes, et les fit entrer dans toutes les explications de l’ordre naturel. Il est curieux de le suivre dans cette série de déductions, par lesquelles, partant de la raison suffisante, il arrive à idéaliser la matière, et à transformer le monde physique en un monde phénoménal. Voltaire a parfaitement jugé le grand principe de Leibnitz ; il a montré qu’il n’avait fait que substituer sa raison individuelle à la raison universelle des choses, et ses plaisanteries ont plus contribué à ruiner son système théologique, que n’ont fait les docteurs de l’école par leurs graves réfutations.