Conjuration d’Amboise

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Amboise (Conjuration d’). Cette conspiration fut formée, en 1560, par les huguenots et les catholiques mécontents du crédit croissant des Guise. Le prince de Condé en était le capitaine muet, comme on dit alors, et la Renaudie, son agent, le chef ostensible. Le prétexte de celte conjuration fut la religion, « combien que le bruit fust, dit un contemporain, qu’il y avoit plus de mal-contentement que de huguenoterie. » Castelnau, seigneur de Chalosses, l’un des conjurés, déclara en effet, sur l’échafaud, qu’il n’avait pris les armes que contre les ducs de Guise, lesquels étaient étrangers et avaient usurpé l’administration publique. « Si c’est là, disoit-il, un crime de lèze-majesté, il falloit les déclarer rois. » Vieilleville dit lui-même que « ce fut le pouvoir des Guise qui fit esclore la conjuration. Un grand nombre de noblesse s’esleva et print les armes pour s’y opposer, et choisirent ung chef nommé la Regnaudye, qui avoit, pour conduire son entreprise, trente capitaines vaillants et bien expérimentez ; le but de laquelle étoit seulement de se saezir des deux frères, et mettre le roy en liberté, qu’ils retenoient comme par force et violence, et restablir les anciennes loix, statuts et coustumes de France, sans aulcunement attenter à la personne de Sa Majesté, Et avoit ledict la Regnaudye, oultre les trente capitaines, environ cinq cents chevaulx et grand nombre de gens de pied qui tons se vindrent rendre, par un fort secret rendez-vous, en ung chasteau assez près d’Amboise, nommé Noyzé. »

Les conjurés voulaient surprendre, pendant le dîner royal, une des portes du château, et se saisir aussitôt des Guise. Mais un avocat de Paris, d’Avenelles, révéla l’entreprise. Le duc de Guise put prendre toutes tes précautions et réunir des troupes qui, cachées dans la forêt voisine, tombèrent sur les petits détachements des conjurés à mesure qu’ils s’approchaient, et en eurent ainsi bon marché. Beaucoup furent tués dans ces rencontres, entre autres le chef de l’entreprise, la Renaudie ; mais un plus grand nombre furent faits prisonniers, livrés à de « crueulles géhennes, » et les uns pendus tout « habillez et esperonnez, » les autres roués, les autres décapités. « Il fut procédé, dit la Planche, à leur exécution en la plus grande diligence qu’il était possible ; car il ne se passait ni jour ni nuit que l’on n’en fit mourir fort grand nombre, et tous personnages de grande apparence. Mais ce qui était étrange à voir, et qui jamais ne fut usité en toutes formes de gouvernement, on les menait au supplice sans leur prononcer en public aucune sentence, ni aucunement déclarer la cause de leur mort, ni même nommer leurs noms… Une chose observait-on à l’endroit de quelques-uns des principaux, c’est qu’on les réservait pour après le dîner contre la coutume ; mais ceux de Guise le faisaient expressément pour donner quelque passe-temps aux dames, qu’ils voyaient s’ennuyer si longuement en ce lieu. Et de vrai eux et elles étaient arrangés aux fenêtres du château comme s’il eût été question de voir jouer quelque momerie, sans être aucunement émus de pitié, ni compassion, au moins qu’ils en fissent le semblant. Et qui pis est, le roi et ses jeu nés frères comparaissaient à ces spectacles comme qui les eût voulu acharner, et leur étaient les patients montrés par le cardinal, avec des signes d’un homme grandement réjoui, pour d’autant plus animer ce prince contre ses sujets ; car lorsqu’ils mouraient plus constamment, il disait :

« Voyez, sire, ces effrontés et enragés, voyez que la crainte de mort ne peut abattre leur orgueil et félonie ; que feroient-ils donc s’ils vous tenoient ? »

Le baron de Castelnau ne s’était rendu qu’après que le duc de Nemours « lui eut juré en foi de prince, sur son honneur et damnation de son âme, et, outre ce, signé de sa propre main Jacque de Savoie, qu’il le ramèneroit avec ses amis sains et saulves, et n’auroient aucun mal. Quinze des principaulx et mieulx parlant d’iceux s’asseurant en sa foy, seing et parolle de prince, sortirent avecques luy, estimants à grand heur et advantaîge que d’avoir libre accez à Sa Majesté, sans qu’il fust besoin de l’acquérir par armes ny par force.

« Mais estant arrivez à Amboyse, ils furent incontinant referrez en prison et tourmentez par cruelles géhennes. Ce que voyant M. de Nemours, il entra en une merveilleuse colère et désespoir, du grand tort fait à son honneur, et poursuivit par toutes instances et sollicitations leur délivrance, par l’entremise et l’intercession même de la royne regnante, de madame de Guise, et autres grandes dames de la cour ; mais en vain , car à lui et à elles toutes fut répondu par le chancellier Olivier, que ung roy n’est nullement tenu de sa parolle à son subject rebelle, ny de quelconque promesse qu’il luy aict faicte, ny semblablement pour qui que ce soit de sa part ; et défense faicte, générale et par cry public, à tous et à toutes de ne plus importuner Sa Majesté, sur peine d’encourir son indignation. Qui fut cause que celte sollicitation cessa, au grand crèvecueur et mécontentement du duc de Nemours, qui ne se tourmentoit que pour sa signature ; car pour sa parolle, il eust toujours donné un desmenti à qui la luy eust voulu reprocher, sans nul excepter, tant estoit vaillant prince et généreulx, fors Sa Majesté seulement.

« Cependant ces quinze misérables furent exécutez à mort… ; les ungs furent décapitez ; les autres pendus aux fenestres du chasteau d’Amboise, et trois ou quatre rouez : se plaignants plus au supplice du tradiment du duc de Nemours, que de la mort mesme qu’ils souffroient fort constamment ; entre aultres, le sieur de Castelnau, gentilhomme de fort bonne maison, l’appella cinq ou six fois sur l’échaffault trahistre, très meschant et indigne du nom de prince, et trempa ses mains au sang de ses compagnons, encore tout chaud, qui avoient esté sur l’heure décapitez en sa présence ; et les élevant toutes sanglantes, il prononça de fort belles et très saintes paroles en la prière qu’il fist à Dieu, et telles qu’il fist pleurer mesme ses ennemis, principalement le chancelier Olivier qui l’avoit condamné à mort et tous ses compagnons, lequel soudain, après cette exécution, piqué d’ung remors et vive componction de conscience, tomba malade d’une extreme melancolie qui le faisoit soupirer sans cesse et murmurer contre Dieu, affligeant sa personne d’une étrange et épouvantable façon ; et estant en ce furieux desespoir, le cardinal de Lorrainne le vint visiter ; mais il ne le voulut point voir, ainsse tourna de l’autre costé, sans lui repondre un seni mot ; puis le sentant esloigné, il s’escria en ces mots : « Ha, maudit cardinal, tu te dampnes et nous fais aussi tous dampner ! » Et doux jours après il mourut. »