Crâne d’enfant

  • Dictionnaire infernal

Crâne d’enfant. La cour d’assises de la Haute-Marne a jugé, en février 1857, une affaire qui puise sa cause première dans une horrible superstition. « Des cultivateurs de la commune d’Heuillez-le-Grand, dit l’acte d’accusation, vivaient dans une ferme isolée, et devaient à cet isolement même une tranquillité que rien ne semblait vouloir troubler, lorsque le 21 janvier dernier un crime horrible, unique peut-être dans les annales judiciaires, vint les jeter dans le deuil et la désolation. Le mari, Jean-Baptiste Pinot, était parti dès le matin pour le travail, et sa femme l’avait bientôt rejoint après s’être assurée toutefois que son enfant, âgé de onze mois, qui était couché dans son berceau, dormait profondément. Comme la grange où elle allait travailler n’était qu’à quelques pas de la maison d’habitation, elle n’avait pas pensé en sortant à fermer les portes à la clef.

« Le travail dura quelque temps ; la femme Pinot rentra la première pour s’assurer si l’enfant dormait encore. Quel ne fut pas son effroi lorsqu’elle s’aperçut que le berceau était vide. On fit immédiatement de vaines recherches. Ce ne fut que le lendemain, dans l’après-midi, que l’on découvrit, caché sous des gerbes de paille, dans une écurie de la ferme, le corps de l’enfant entièrement nu, affreusement mutilé. La tête en avait été détachée au moyen d’un instrument tranchant, et ne put être retrouvée. De profondes entailles, faites sur l’une des épaules, indiquaient qu’on avait eu la pensée de couper le corps en morceaux pour le faire disparaître. Le crime était constant, mais quel était l’assassin, et quel intérêt avait pu armer son bras ? La pauvre victime était âgée de onze mois à peine ; les soupçons ne tardèrent pas à se porter sur un homme qui était au service de la ferme. Ses antécédents étaient faits pour les éveiller. Voleur d’habitude depuis son enfance, il avait été condamné pour vol à deux ans de prison, et pour se soustraire aux recherches de la justice, il avait changé de nom ; il avait substitué à son nom de Vautrin celui de Morisot. Cet homme est âgé de vingt-quatre ans. Il était taciturne, recherchait l’isolement, et avait plusieurs fois donné des preuves d’une froide cruauté. A la nouvelle de la disparition de l’enfant, Vautrin avait pâli ; et au lieu de se livrer comme tous à des recherches actives, on l’avait vu morne et préoccupé, cherchant à diriger les soupçons sur un ancien domestique de son maître, qui aurait pris l’enfant pour lui couper la tête et aller avec cette tête dans les châteaux.

« Mais cet étrange propos, émis avant que personne sût si la tête de l’enfant avait été mutilée, était une révélation. Il indiquait le mobile et l’intérêt du crime. Vautrin avouait en effet le lendemain qu’il avait entendu dire que le crâne d’un enfant assassiné avait la propriété de rendre invisible celui qui le portait, et de permettre à un voleur qui s’en ferait une lanterne, de pénétrer impunément dans les habitations. Vautrin croyait à cette odieuse superstition ; ainsi s’expliquaient l’intérêt du crime et la mutilation. Vautrin fut arrêté, et l’interrogatoire qui suivit ne vint que trop confirmer les soupçons qu’on avait eus sur lui. Les investigations ont d’ailleurs fait découvrir derrière des buissons des débris de chemise et un pantalon souillés de sang et de boue appartenant à Vautrin et reconnus par lui ; la tête de la victime a été également retrouvée dans un bois voisin, et à quelques mètres un vieux bonnet rayé ayant appartenu à l’inculpé. À l’audience, comme dans l’instruction, Vautrin se renferma dans un système complet de dénégations. Mais les dépositions des témoins étaient si accablantes, que le verdict du jury fut affirmatif sans circonstances atténuantes. En conséquence, Vautrin fut condamné à la peine de mort. »