Droit d’aînesse
- Encyclopédie de famille
Aînesse (Droit d’). C’est le privilège qui donnait autrefois à l’aîné d’une famille noble le droit de prendre dans la succession de ses père et mère une portion plus considérable que celle de chacun de ses frères et sœurs en particulier. L’histoire d’Esaü, dans l’Ancien Testament, nous indique bien qu’il existait chez les Hébreux quelque chose de semblable au droit d’aînesse ; mais nous ignorons en quoi il consistait. Des publicistes, Dumoulin, par exemple, dans son Traité des Fiefs, ont vainement essayé de démontrer que le droit d’aînesse avait toujours subsiste depuis les patriarches, qui en seraient les législateurs. On ne trouve de ce fait aucune trace, pas plus chez les Grecs que chez les Romains ; et tous les documents historiques sont d’accord pour nous apprendre que sous les deux premières races de nos rois l’aîné partagea toujours également avec ses frères et sœurs. Les exceptions à cette règle, si tant est qu’on en puisse citer de bien authentiquement prouvées, ne se rapporteraient jamais qu’aux règnes des derniers Carlovingiens. C’est donc à la révolution qui porta les Capétiens au trône qu’il faut reporter l’origine première de cette institution dans notre pays. À cette époque, en effet, tous les seigneurs voulurent donner de l’extension à leurs droits, et même s’en créer de nouveaux. Plus tard, il fallut bien réunir dans une seule et même main toute la puissance, tous les moyens d’exécution dont avait disposé le père, pour soutenir l’œuvre de son injustice et ses violences ; de là aussi sans doute l’institution du droit d’aînesse.
Ce droit incombait à l’aîné mâle habile à hériter, alors même qu’il était le puîné des femmes. Quand il était inhabile à succéder, c’est-à-dire lorsqu’il était ou mort civilement, ou exhérédé, ou religieux profès, son droit passait au plus âge des puînés. Quand il n’y avait pas d’autres héritiers que des filles, aucune de celles-ci n’était admise à invoquer le droit d’aînesse, et elles partageaient toutes également. En effet, comme le droit d’aînesse n’avait été institué que pour conserver le nom et la splendeur des familles, il ne pouvait produire ses effets dans la personne des filles, dont le nom se perd quand elles se marient, et ne pouvait pas être invoqué comme lorsqu’il y avait un héritier mâle, propre dès lors à perpétuer le nom de la race.
La révolution de 1789 raya de notre législation cette flagrante atteinte à l’esprit d’égalité, qui depuis un siècle était le fonds même de nos mœurs publiques. Les lois des 15 mars 1790 et 8 avril 1791 abolirent toute espèce de droit de primogéniture, et ne firent d’exception à la règle générale que pour la transmission du trône. En 1826 une loi fut présentée à la chambre des pairs, non pas précisément pour rétablir l’hérédité telle qu’elle existait autrefois, mais pour attribuer à l’aîné des enfants mâles, à titre de préciput légai, toute la quotité légalement disponible dans la succession d’un père payant 300 francs d’impôt foncier, sauf à celui-ci à ordonner par testament le partage légal. On voulait ainsi renverser les dispositions du Code qui avaient fait de l’égalité le principe de la loi des successions, en rendant l’inégalité facultative. Le chiffre de 300 francs, qui était celui du cens des électeurs, montrait qu’il s’agissait de constituer héréditairement le droit électoral dans certaines familles. La loi succomba devant la chambre des pairs le 8 avril 1826. Le droit d’aînesse était pourtant l’ordre de successibilité de la pairie sous la Restauration. Napoléon, lui aussi, avait cru trouver une force et un appui dans la quasi-résurrection du droit d’aînesse, et il avait autorisé sa noblesse à se constituer des majorats. L’opinion publique força le gouvernement de Juillet à rejeter d’abord l’hérédité de la pairie, et plus tard à proposer aux chambres des mesures législatives tendant à limiter et à circonscrire les majorats, qui ont été supprimés depuis.
L’Angleterre, on le sait, est la terre de prédilection du droit d’aînesse, successivement effacé des codes des différentes nations germaniques ; et c’est grâce à ce partage inégal des héritages, qui attribue tout à l’aîné et rien aux puînés, que l’aristocratie anglaise se maintient en jouissance de ces immenses propriétés, de ces fortunes colossales, dont plusieurs sont trois et quatre fois plus considérables que la liste civile de certains rois du continent.