Immortalité
- Dictionnaire infernal
Immortalité. Ménandre, disciple de Simon le magicien, se vantait de donner un baptême qui rendait immortel. On fut bien vite détrompé. Les Chinois sont persuadés qu’il y a quelque part une eau qui empêche de mourir, et ils cherchent toujours ce breuvage d’immortalité, qui n’est pas trouvé encore.
Les Strulldbrugges ou immortels de Gulliver, sont fort malheureux de leur immortalité. La même pensée se retrouve dans cette légende des bords de la Baltique : — À Falster, il y avait autrefois une femme fort riche qui n’avait point d’enfants. Elle voulut faire un pieux usage de sa fortune, et elle bâtit une église. L’édifice achevé, elle le trouva si bien qu’elle se crut en droit de demander à Dieu une récompense. Elle le pria donc de la laisser Vivre aussi longtemps que son église subsisterait. Son vœu fut exaucé. La mort passa devant sa porte sans entrer ; la mort frappa autour d’elle voisins, parents, amis et ne lui montra pas seulement le bout de sa faux. Elle vécut au milieu de toutes les guerres, de toutes les pestes, de tous les fléaux qui traversèrent le pays. Elle vécut si longtemps qu’elle ne trouva plus un ami avec qui elle pût s’entretenir. Elle parlait toujours d’une époque si ancienne que personne ne la comprenait. Elle avait bien demandé une vie perpétuelle ; mais elle avait oublié de demander aussi la jeunesse ; le ciel ne lui donna que juste ce qu’elle voulait avoir, et la pauvre femme vieillit ; elle perdit ses forces, puis la vue, et l’ouïe et la parole. Alors elle se fit enfermer dans une caisse de chêne et porter dans l’église. Chaque année, à Noël, elle recouvre, pendant une heure, l’usage de ses sens ; et chaque année, à cette heure-là, le prêtre s’approche d’elle pour prendre ses ordres. La malheureuse se lève à demi dans son cercueil et s’écrie : « Mon église subsiste-t-elle encore ? — Oui, répond le prêtre. — Hélas ! » dit-elle. Et elle s’affaisse en poussant un profond soupir, et le coffre de chêne se referme sur elle[1].