Isaac Queiran

  • Dictionnaire infernal

Queiran (Isaac), sorcier de Nérac, arrêté à Bordeaux, ou il était domestique depuis vingt-cinq ans. Interrogé comment il avait appris le métier de sorcier, il avoua qu’à un âge encore jeune, étant au service d’un habitant de la Bastide d’Armagnac, un jour qu’il allait chercher du feu chez une vieille voisine, elle lui dit de se bien garder de renverser des pots qui étaient devant la cheminée : ils étaient pleins de poison que Satan lui avait ordonné de faire. Cette circonstance ayant piqué sa curiosité, après plusieurs questions, la vieille lui demanda s’il voulait voir le grand maître des sabbats et son assemblée. Elle le suborna de telle sorte qu’après l’avoir oint d’une graisse dont il n’a pas vu la couleur ni senti l’odeur, il fut enlevé et porté dans les airs jusqu’au lieu où se tenait le sabbat. Des hommes et des femmes y criaient et y dansaient ; ce qui l’ayant épouvanté, il s’en retourna.

Le lendemain, comme il passait par la métairie de son maître, un grand homme maigre se présenta à lui et lui demanda pourquoi il avait quitté l’assemblée où il avait promis à la vieille de rester. Il s’excusa sur ce qu’il n’y avait là rien à faire pour lui ; et il voulut continuer son chemin. Mais l’homme maigre lui déchargea un coup de gaule sur l’épaule, en lui disant : « Demeure, je te baillerai bien chose qui t’y fera venir. » Ce coup lui fit mal pendant deux jours, et il s’aperçut que ce grand homme noir l’avait marqué sur le bras auprès de la main ; la peau en cet endroit paraissait noire et tannée.

Un autre jour, comme il traversait le pont de la rivière qui est près de la Bastide, le même homme maigre lui apparut de nouveau, lui demanda s’il se ressouvenait des coups qu’il lui avait donnés, et s’il voulait le suivre. Il refusa. Le diable aussitôt, l’ayant chargé sur son cou, voulut le noyer ; niais le pauvre garçon cria si fort, que les gens d’un moulin voisin de là étant accourus, le vilain noir fut obligé de fuir. Enfin le diable l’enleva un soir dans une vigne qui appartenait à son maître ; et le conduisit, quoi qu’il en eût, au sabbat ; il y dansa et mangea comme les autres. Un petit démon frappait sur un tambour pendant les danses, jusqu’à ce que le diable, ayant entendu les coqs chanter, renvoya tout son monde.

Interrogé s’il n’avait pas fait quelques maléfices, Queiran répondit qu’il avait maléficié un enfant dans la maison où il avait servi ; qu’il lui avait mis dans la bouche une boulette que le diable lui avait donnée, laquelle avait rendu cet enfant muet pendant trois mois. Après avoir été entendu en la chambre de la Tournelle, où il fut reconnu pour un bandit qui faisait l’ingénu, Queiran fut condamné au supplice le 8 mai 1609[1].

1.

Delancre, Incrédulité et mécréance, etc., p. 278.