Paix d’Amiens
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Amiens (Paix d’). En 1802, la guerre européenne durait depuis neuf ans, et l’Europe attendait avec impatience le repos dont elle avait besoin. Enfin la paix fut conclue : mais aussi prompte à repartir qu’elle avait été lente à venir, un an s’était à peine écoulé, qu’elle était remplacée par la guerre, plus terrible et plus acharnée que jamais. Ces treize mois de calme, si longtemps attendus, passés si vite et tant regrettés, furent le plus long espace de temps pendant lequel l’Europe, de 1792 à 1814, jouit d’une paix générale et non interrompue.
Voici les causes qui amenèrent la conclusion de ce traité et les causes qui, bientôt après, déterminèrent sa rupture :
En 1800, Paul Ier, empereur de Russie, mécontent de ce que l’île de Malte ne fût point rendue à l’ordre, dont il était le grand maître, décida la Prusse, le Danemark et la Suède à former une coalition qui fut conclue à Saint-Pétersbourg le 19 novembre. Le but était de mettre l’indépendance des mers à l’abri des prétentions du pavillon anglais, et le système d’hostilité, une neutralité armée.
Une alliance était conclue entre la France et la Russie ; la cour de Berlin y accédait, et les ports du continent européen étaient fermés au commerce anglais. De son côté, le gouvernement anglais mit l’embargo sur les navires des puissances coalisées. En de pareilles circonstances, le cabinet présidé par Pitt ne pouvait subsister, et sa chute devint d’autant plus certaine que le roi refusa d’approuver l’émancipation de l’Irlande catholique. Pitt quitta le ministère ; Addington fut nommé en sa place premier lord de l’Échiquier, Hawkesbury fut chargé des affaires étrangères, et aussitôt le nouveau cabinet entama des négociations avec la France. Elles furent suivies d’abord en secret, et les préliminaires furent signés à Londres, le 1er octobre 1801.
Lord Cornwalis, ex-vice-roi d’Irlande, chargé des pouvoirs de la Grande-Bretagne, arriva à Paris au mois de novembre, et se dirigea, dans les premiers jours de janvier, vers Amiens, lieu assigné pour les conférences, il trouva là Joseph Bonaparte, représentant de la France, le chevalier d’Azara, plénipotentiaire d’Espagne, et M. de Schimmelpenning, que nous avons vu depuis grand pensionnaire de Hollande, sénateur de l’empire français, et qui se présentait alors au nom de la république batave. La plupart des articles passèrent après de légères discussions, et, le 27 mars 1802, les conférences se fermèrent : tout était conclu et signé.
Voici quelles étaient les conventions stipulées par les articles du traité : la restitution à la France, à l’Espagne et à la république batave, de leurs colonies, à l’exception de la Trinité et de Ceylan, que le Portugal et la Hollande cédaient à l’Angleterre ; l’ouverture du cap de Bonne-Espérance aux parties intéressées au traité ; l’évacuation de Malte et de Porto-Ferrajo par les Anglais ; l’évacuation du royaume de Naples et des États romains par la France ; la restitution de l’Égypte à la Sublime Porte, qui prit part aux conférences comme partie contractante, quoique sans représentation directe ; la neutralité et l’indépendance de l’ordre et de l’île de Malte ; une indemnité accordée à ia maison d’Orange ; l’intégrité des possessions du Portugal, à l’exception d’une nouvelle limite en Guiane ; le rétablissement des pêcheries de Terre-Neuve et du golfe Saint-Laurent sur le même pied qu’avant la guerre ; enfin la reconnaissance de la république des Sept-Iles.
Malgré les nombreuses omissions qui se faisaient remarquer dans ce traité, malgré le silence gardé sur les affaires d’Allemagne, sur la position de la Sardaigne et de l’Italie, ce traité fut reçu en Angleterre avec enthousiasme, au moins par le peuple. Après une si longue et si complète séparation entre les deux pays, un grand mouvement commercial tendait naturellement à s’opérer par l’échange des produits nationaux. Enfin, le commerce et l’industrie, sources si fécondes de prospérité, pouvaient concevoir et concevaient les plus belles espérances, lorsque le parlement anglais, toujours mécontent, malgré l’approbation qu’il avait donnée au traité et manifestée par une adresse au roi, fit tout ce qu’il put pour le faire rompre. L’expédition que le premier consul préparait contre Saint-Domingue, l’intention qu’il manifestait d’envoyer des consuls dans les ports d’Irlande, l’empressement qu’on mit à annoncer la mission de Sébastiani en Égypte, furent présentés comme des faits inquiétants, et l’Angleterre refusa d’évacuer Malte et l’Égypte, sous prétexte que la France menaçait la première. Enfin le 8 mai 1803, le roi Georges III fit annoncer au parlement le renouvellement de la guerre. Le cabinet anglais répondit évasivement aux explications qu’on lui demandait. Enfin il réclama par son ultimatum une indemnité pour le roi de Sardaigne, la cession de l’île Lampéduse et l’évacuation des républiques batave et helvétique. Le gouvernement français déclara s’en tenir aux termes du traité d’Amiens, et, le 18 mai, la guerre fut officiellement déclarée. Le manifeste de la Grande-Bretagne chercha en vain à établir, dans ses pages remplies de prétextes insignifiants, l’ombre d’un motif suffisant, et la rupture du traité d’Amiens est restée la plus difficile à justifier de toutes les déclarations de guerre des temps modernes. Quoi qu’il en soit, la paix fut finie, la guerre recommencée, et la France dut reprendre après cette courte halte la route sanglante et glorieuse qu’elle parcourut de 1792 â 1814 : route qui passa par tous les champs de bataille de la république et de l’empire, et finit dans la plaine de Waterloo, route triomphale qui menait à un abîme.