Tanner
- Dictionnaire infernal
Tanner. Le cardinal Sfrondrate raconte que le P. Tanner, pieux et savant jésuite, allant de Prague à Inspruck pour rétablir sa santé à l’air natal, mourut en chemin dans un village dont on ne dit pas le nom. Comme la justice du lieu faisait l’inventaire de son bagage, on y trouva une petite boite que sa structure extraordinaire fit d’abord regarder comme suspecte, car elle était noire et composée de bois et de verre. Mais on fut bien plus surpris lorsque le premier qui regarda par le verre d’en haut se recula en disant qu’il y avait vu le diable. Tous ceux qui regardèrent après lui en firent autant. Effectivement ils voyaient dans cette boîte un être animé, de grande taille, noir, affreux, armé de cornes. Un jeune homme qui achevait son cours de philosophie fit observer à l’assemblée que la bête renfermée dans la boîte, étant infiniment plus grosse que la boîte elle-même, ne pouvait être un être matériel, mais bien un esprit comprimé sous la forme d’un animal. On concluait que celui qui portait la boîte avec lui ne pouvait être qu’un sorcier et un magicien. Un événement si diabolique fit grand bruit. Le juge qui présidait à l’inventaire condamna le mort à être privé de la sépulture ecclésiastique, et enjoignit au curé d’exorciser la boîte pour en faire sortir le démon. La multitude, sachant que le défunt était jésuite, décida de plus que tout jésuite commerçait avec le diable ; ce qui est la manière de juger des masses ignorantes. Pendant qu’on procédait en conséquence, un philosophe prussien, passant par ce village, entendit parler d’un jésuite sorcier et du diable enfermé dans une boîte. Il en rit beaucoup, alla voir le phénomène et reconnut que c’était un microscope, que les villageois ne connaissaient pas. Il ôta la lentille, et en fit sortir un cerf-volant, qui se promena sur la table et ruina ainsi tout le prodige. Cela n’empêcha pas que beaucoup de gens par la suite, parlant du P. Tanner, ne faisaient mention que de l’impression produite d’abord, et s’obstinaient à soutenir qu’ils avaient vu le diable et qu’un jésuite est un sorcier[1].