Zélateur
- Histoire religieuse
- Alfred Maury
- Encyclopédie moderne
Zélateur. Ce nom a été appliqué, dans les derniers temps de l’existence de la nationalité juive, à un parti exalté qui se forma à diverses époques, et contribua beaucoup par ses excès à la ruine de la Judée. La première apparition des zélateurs eut lieu à propos du recensement général que P. Sulpicius Quirinus, proconsul de Syrie pour les Romains, fut chargé de faire dans ce pays. Ce parti, à la tête duquel se mirent Judas le Gaulanite ou de Galilée, et le pharisien Sadok, excita le peuple à la révolte contre le gouvernement romain, en présentant la mesure qui venait d’être prise comme te présage de la plus dure servitude. Ou ne pouvait disconvenir en effet que ce recensement des personnes et des biens ne parût une mesure menaçante pour la nationalité juive, aux préjugés de laquelle tout dénombrement national était d’ailleurs fort opposé. Les zélateurs enseignèrent publiquement que la loi juive défendait de reconnaître d’autre souverain que Dieu, et que les Juifs devaient plutôt mourir que de se soumettre à une puissance humaine. Cette révolte parait avoir été promptement étouffée. Au reste, elle semble s’ètre ratlachée à l’apparition de plusieurs sectes ou partis politiques et religieux, qui annonçaient l’intention de réformer la doctrine mosaïque : tel était celui de Théodas, tel avait été celui de Jean-Baptiste ; et il y a tout lieu de penser que c’est au milieu de ces agitations et de ces séditions que se forma le parti des nazaréens, d’où naquit le christianisme. Le souvenir des zélateurs se rattacha si bien à la naissance de la foi nouvelle, que, dans les légendes qui se formèrent plus tard sur Jésus, on rapporta sa naissance à ces dé
nombrements de Quirinus. De là un anachronisme et une confusion qui fait encore régner Hérode à l’époque où Quirinus était gouverneur de Syrie, et place un recensement à un moment où les Romains n’avaient ni droit ni intérêt à le faire.
Le nom de zélateurs avait une origine antique. La loi juive-avait déclaré que pour surmonter la multitude des difficultés et des obstacles qui s’opposeraient à son établissement, il serait nécessaire de déployer un zèle actif. Dans la guerre d’indépendance des Juifs contre la domination des Gréco-Syriens, le père de la dynastie Asmonéenne, à son lit de mort, le vieux Matathias, avait répandu ses bénédictions sur les bandes nationales, en leur disant : Maintenant donc, mes enfantsf soyez zélateurs de la loi, et sacrifiez votre vie.
Ce sacrifice volontaire de la vie était aussi le premier principe du nouveau parti, de la nouvelle secte formée contre la domination des Romains. La plupart de ses membres s’y engageaient sous le sceau du serment.
Jusqu’à l’époque de la campagne de Vespasien en Judée, le parti des zélateurs n’avait pas cessé d’exister, et s’était signàlé tout à la fois par sa violence et son zèle à résister à la domination étrangère. C’étaient eux qui s’étaient emparés de la forteresse de Masada, dont ils avaient massacré la garnison romaine ; à Jérusalem, ils avaient été les fauleurs de continuelles discordes. Ce ne fut qu’après la défection de Josèphe qu’ils acquirent une prépondérance qui devint fatale à la cause même qu’ils voulaient défendre. Mais les zélateurs, comme les exaltés de tous les temps, n’avaient ni prudence ni mesure. Ils semblent avoir été quelque chose de fort analogue à nos socialistes modernes. Comme eux ils aspiraient à une révolution complète au sein de la nation, à renverser les classes dominantes. Leur principal chef, ou du moins celui qui était à la tête de la portion la plus active, était Éléazar, fils de Simon. Il ramena autour de lui tous les mécontents ; et, agissant au milieu des dangers dont Jérusalem était menacée, le parti des zélateurs finit par constituer un pouvoir actif, une sorte de gouvernement à côté du gouvernement central. Ils exercèrent dans Jérusalem une véritable terreur, et immolèrent plusieurs membres des grandes familles, comme traîtres et ennemis du peuple. L’impitoyable Jean Dorcar et ses adhérents se firent les ministres de ces vengeances populaires. C’est sous l’influence du parti démagogique que le grand pontificat, enlevé aux familles patriciennes qui en avaient la possession depuis longtemps, fut remis à la voie du sort. Ces violences, ce désordre provoquèrent une réaction de la part du parti conservateur et aristocratique. Un parti puissant se forma contre les zélateurs. On en vint aux armes : ceux-ci, retranchés sur la plate-forme du temple, commencèrent le combat par des sorties. Le siège fut long : car les zélateurs étaient véritablement assiégés dans leur retraite par le parti contraite. Les Idumêens (c’est ainsi qu’on appelait alors les habitants de la partie de la Judée située au midi de Jérusalem) accoururent au secours des zélateurs. A la faveur d’un orage épouvantable, quelques-uns des assiégés purent sortir de l’enceinte où ils étaient étroitement bloqués, et se mettre en communication avec les Iduméens. La ville tomba au pouvoir des exaltés. Des proscriptions terribles furent la suite de leurs victoires. Peut-être, il faut le reconnaître, Josèphe, le traître Josèphe, qui nous a rapporté tous ces faits, a-t-il exagéré les fureurs d’un parti qu’il détestait et qui péchait par l’excès d’une vertu, le patriotisme, qui faisait si complètement défaut dans son âme.
Cette terreur des temps anciens eut aussi son tribunal révolutionnaire. Elle institua le tribunal des Soixante-Dix. Mais cette juridiction exceptionnelle se signala noblement par l’acquittement de Zacharias, fils de Baruch, accusé d’intelligence avec l’ennemi. Il ne tarda pas à se manifester, entre les différents éléments qüi composaient le parti zélateur, un désaccord qui amena leur ruine. Les bandes iduméennes déclarèrent pour la plupart aux Hiérosolomites qu’elles étaient venues dans le dessein de renverser à tout prix les traîtres, mais non pour se faire complices de toutes ces boucheries. Simon, fils de Gioras, qui avait été d’abord à la tête des zélateurs de Masada, mais qui s’était ensuite tourné contre eux, vint à Jérusalem, appelé par le parti sur lequel pesait la tyrannie de Jean de Giscala et d’Éléazar, en rivalité l’un avec l’autre. Jérusalem se trouvait divisée entre ces trois factions, lorsque Titus vint l’assiéger l’an 70. Bientôt, par suite d’une trahison, le parti d’Éléazar fut vaincu par celui de son rival Jean. Quant à celui-ci et à Simon, ils dirigèrent l’un et l’autre la défense de Jérusalem contre Titus, dont ils ornèrent le triomphe à Rome.
Quoique le parti des zélateurs, par son exagération même et les divisions qui en furent la conséquence, par ses fureurs et son caractère ombrageux, ait porté un grave préjudice aux Juifs, quoiqu’il comptât dans ses rangs des gens sans aveu et sans moralité, qui voulaient exploiter le désordre à leur profit, on doit reconnaître cependant qu’il renfermait aussi dans son sein ta partie la plus désintéressée, la plus héroïque du peuple hébreu. Le parti conservateur était composé, en Judée comme partout ; des riches et des hommes placés dans une haute position sociale, des Saducéens et d’un certain nombre de Pharisiens, gens éclairés, mais mous, auxquels la prudence enlevait toute énergie. Ces deux partis offraient le plus frappant contraste, précisément le même que présentait, à l’époque de l’invasion de 1815, la bourgeoisie et le peuple. D’une part la masse turbulente et révolutionnaire était seule capable cependant d’enflammer les esprits pour la défense du sol, mais de l’autre elle était incapable d’organiser, et son triomphe ne pouvait qu’être éphémère. La haute bourgeoisie, qui n’avait pas sans doute le fanatisme du peuple, manquait en revanche du sentiment de la nationalité, et voyait d’un œil satisfait l’étranger lui apporter la paix ; elle tendait même au conquérant une main amie. Quand une résistance révolutionnaire et démagogique comme celle des zélateurs se forme contre un ennemi qui est lui-même divisé et faible, comme cela arriva en France en 1793, cette résistance peut sauver le territoire ; mais quand elle a affaire à un pouvoir un et fort, à une seule nationalité qui obéit aux volontés réglées d’un chef intelligent, elle doit évidemment succomber, et, loin de servir la patrie, elle en hâte la ruine, et rend plus serrée la chaîne qu’impose le vainqueur. La Judée nous en a offert jadis la preuve : la Pologne, l’Italie, nous en sont de récents exemples.