Zend
- Linguistique
- Léon Vaïsse
- Encyclopédie moderne
Zend. On désigne ainsi l’antique langue sacrée des mages, celle dans laquelle Zoroastre, fondateur de la religion dont ils étaient les ministres, paraît avoir rédigé l’exposé de sa doctrine, le Zend-Avesta (la parole vivante). Les auteurs ne sont pas parfaitement d’accord sur la contrée où cette langue fut autrefois parlée. Quelques-uns pensent qu’elle eut longtemps cours dans la Bactriane ; mais qu’elle y avait déjà cessé d’être vulgaire à l’époque de l’ère chrétienne. D’autres, reculant moins loin vers l’est son domaine, croient devoir le borner à l’Iran septentrional. La rapprochant davantage encore de l’Occident, Klaproth l’avait placée dans la haute Médie, et, selon le Mithridate, elle aurait été spécialement en usage dans la province d’Atropatène. L’opinion la plus accréditée aujourd’hui place son berceau à côté de celui du sanscrit, dans l’Arie. Réduit depuis bien des siècles, du reste, comme son congénère, à l’état de langue morte, le zend ne subsiste plus que dans la liturgie des sectateurs du culte du feu, les Guèbres ou Parsis, qui, disséminés aujourd’hui sur un petit nombre de points de l’Inde et de la Perse, dérobent avec un soin jaloux, aux yeux des étrangers, leurs livres antiques, bien que la plupart ne comprennent pas les fragments qu’ils en récitent dans leurs prières.
Le zend, objet d’un respect si religieux pour ces peuples, paraît n’avoir jamais atteint un degré bien élevé de culture. Il est resté à l’état d’idiome barbare et grossier. La rudesse qu’on lui reproche ne tient du reste pas, comme celle de tant d’autres langues, à l’accumulation des consonnes ; car nulle langue n’est au contraire aussi surchargée de voyelles que celle-ci, dont les longs mots sont en outre exempts de l’aspiration. Parmi les sons vocaux de la langue zende, on compte un a nasal, qui semblerait répondre au son an du français. La principale particularité que nous offre la liste de ses consonnes, c’est l’absence du son L.
La figure des lettres de l’alphabet zend décèle pour l’écriture de cette langue une origine sémitique, quoique son système d’orthographe soit tout autre que celui de l’hébreu ou de l’arabe, puisque le zend possède, après le grec et le latin, comme l’a fait observer M. Burnouf, l’écriture la plus rigoureusement alphabétique que l’on connaisse. L’alphabet zend se compose de quarante-trois lettres, dont trente consonnes et treize voyelles. Nous venons de dire que l’articulation que nous rendons par notre lettre L ne se retrouve pas en zend. Dans les mots communs au zend et au sanscrit, cette articulation est uniformément remplacée, dans la première de ces deux langues, par une R.
La langue zende offre de curieuses analogies avec le sanscrit et surtout avec le dialecte de cet idiome, qui est employé dans les Védas. Ce sont même les progrès que l’on a faits récemment dans la connaissance du style védique, qui ont fourni les points de comparaison nécessaires pour l’étude du zend ; car, rapprochés des expressions du sanscrit classique, les mots zends paraissent offrir, sous une forme plus ancienne, les mêmes radicaux. Le sanscrit n’est pas la seule langue avec laquelle le zend présente des analogies. Il en offre de générales et de fort remarquables avec le grec et le latin. Il est en outre en plusieurs points, plus intimement que le sanscrit, uni avec la famille des langues germaniques. Les rapports qu’il présente notamment avec le gothique rendent seuls compte, d’une manière satisfaisante, de plusieurs particularités qui distinguent ce dernier idiome du latin et du grec ; car, là où îes idiomes des Germains s’éloignent des idiomes des Romains et des Hellènes , ils se rapprochent de celui des disciples de Zoroastre.
On a du reste exagéré le caractère intime des rapports qui existent entre le zend et le sanscrit, quand on a dit que tous les mots de l’un se retrouvaient dans l’autre. On doit en effet, selon M, Burnouf, faire des racines du zend quatre classes principales. La première classe comprend les racines qui lui sont communes seulement avec les formes les plus anciennes du sanscrit ; la seconde en offre qu’on ne retrouve que dans les listes des radicaux indiens, dont les dérivés n’existent plus dans le vocabulaire ; la troisième, qui est, il est vrai, la plus riche, se compose de racines fréquentes, non-seulement dans le sanscrit classique, mais encore dans les principales langues qui lui sont alliées, telles que le gothique, le slavon, le latin et le grec ; la quatrième enfin se compose de mots qui ne se rencontrent dans aucune des langues étrangères à la Perse, bien qu’elles se conservent sous une forme plus ou moins altérée dans le persan moderne.
En général, les mots zends qui ont formé les primitifs de mots persans ont contracté les voyelles, les aspirations et les sifflantes, et retranché les finales. C’est ainsi que mehergo (mort) est devenu merg, que moreto (homme) est devenu mard (d’où l’arménien mart), que pothro (enfant) a fait pour (d’où le latin puer).
Le zend présente, comme le sanscrit et le grec, un a et même un e privatifs. Il n’admet ni la distinction des genres grammaticaux, ni l’emploi de l’article défini ; mais il a les trois nombres. On ne remarque dans cette langue aucune préposition proprement dite ; en revanche, elle a un grand nombre d’affixes qui créent dans les noms comme autant de cas.
Nous avons dit que le zend s’était conservé dans les livres religieux que l’on attribue à Zoroastre. Il n’y a toutefois qu’une partie (les deux tiers, à ce que Pon estime) de ces livres qui paraisse avoir été rédigée dans cet idiome. La version pehlvie des autres parties semble en être Poriginal. La collection complète du Zend-Avesta paraît avoir été composée de vingt et un livres ou naçkas ; mais trois seulement nous sont connus. Ceux-ci, réunis par les Parsis sous le nom de Vendidad-sadé, forment une sorte de bréviaire pour leurs prêtres, qui chaque jour en récitent quelques fragments, et le seul ouvrage qui puisse nous donner des idées exactes sur la morale, les dogmes et les usages civils et religieux des anciens habitants de la Perse. Le premier de ces trois livres est le Vendidad (le combat contre Ahrimâne), répertoire de traditions sur l’état primitif de l’Iran et l’origine de sa civilisation. Il contient une sorte de code de préceptes religieux et moraux, et l’exposé dogmatique de la lutte entre les deux principes. Le second, le yaçna, ou, selon la transcription pehlvie, Izeschné (l’élévation de l’âme), est un recueil d’hymnes ou l’on trouve de précieuses indications historiques et géographiques. Le troisième est le Vispered (les chefs des êtres), recueil de prières ou d’invocations adressées aux esprits supérieurs qui président à la marche de l’univers. A ces trois livres on joint encore, comme complétant la collection de la grande liturgie persane et tout ce qui nous reste de la langue dans laquelle elle est écrite, les yetschts, hymnes et invocations, dont toutefois une partie seulement est écrite en zend, et le sirouzé, sorte de calendrier religieux. C’est au courage et à la persévérance du voyageur philologue Anquetil-Duperron, que l’on a dû la première copie et la première traduction du Zend-Avesta qu’ait possédée l’Europe. Il s’éleva alors sur l’antiquité et l’authenticité du livre des doutes, que les travaux de M. Burnouf sur le texte et l’interprétation du Vendidad-Sadé ont aujourd’hui complètement dissipés.
Dans la désignation des anciennes langues de leurs ancêtres, les auteurs persans font souvent figurer, à côté de la dénomination de zend, celle de pazend. Une grande incertitude a jusqu’à présent régné sur la valeur de cette dernière dénomination. Peut-être faut-il voir dans le pazend une forme corrompue ou populaire du zend, un dialecte qui lui est ce que le pracrit est au sanscrit. Une grammaire pazende, dont M. Joseph Müller, de Munich, annonce la publication prochaine, dissipera probablement les doutes à cet égard.
Nous avons du reste, dans celles, des inscriptions en caractères cunéiformes où l’on a reconnu une langue persane, la preuve des altérations que le temps a fait éprouver au zend, puisque la langue de ces inscriptions, malgré l’étroite analogie qu’elle offre avec celle des livres de Zoroastre, en diffère assez cependant pour que l’on y découvre déjà une tendance vers les formes du persan moderne. D’un autre côté, les conquêtes des Perses portèrent hors de leur pays, et perpétuèrent par des monuments tels que ceux que nous offre la Lycie, une langue qui, sans être non plus celle du Zend-Avesta, pourrait en être considérée aussi comme un dialecte.