Agapes

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Agapes. C’est le nom qu’on donnait aux repas que les premiers chrétiens faisaient en commun dans les églises. Quelques auteurs ont pensé que les agapes étaient commémoratives de la cène ; d’autres, que cette coutume était empruntée du paganisme ; Fauste le manichéen est un de ceux qui lui donnent cette dernière origine.

On ne saurait dire précisément quel était l’objet des agapes ; le baiser de paix qui se donnait à la fin de ces repas, et le nom d’agapes lui même, qui, en grec, signifie amour, peuvent faire penser qu’elles étaient un moyen d’entretenir ou d’étendre la fraternité parmi les chrétiens ; on peut aussi les considérer comme une institution de bienfaisance. Les riches, dans les commencements, faisaient tous les jours de ces festins ; et saint Augustin dit quelque part, en réponse aux accusations de Fauste : Agapes nostræ pauperes pascunt, sive frugibus, sive carnibus. On trouve dans la Vie des saints que plusieurs d’entre eux faisaient des agapes dans la vue de nourrir les pauvres.

Considérées comme institution de bienfaisance et d’hospitalité, il paraît que les agapes ne tardèrent point à se corrompre. Saint Paul, dans son épître aux Corinthiens, se plaint de ce que les agapes ne se font plus en commun, que chacun y apporte ce qu’il doit manger, et qu’ainsi les uns s’en vont rassasiés quand les autres éprouvent encore les tourments de la faim.

Indépendamment de tout motif spécial et déterminé, l’usage des agapes se présente encore comme l’effet naturel de l’isolement des premiers chrétiens au milieu de la société dans laquelle ils vivaient. Toutefois les païens ne manquèrent pas d’incriminer ces réunions et de les présenter comme servant d’abri aux désordres les plus scandaleux ; leurs imputations se fondaient surtout sur le baiser de paix qui se donnait indifféremment entre les deux sexes, et sur l’usage de se placer sur des lits pendant le temps du repas. Il parait que leurs accusations n’étaient point entièrement dénuées de fondement, puisque saint Pierre, en parlant des agapes, dit de quelques faux docteurs, qu’ils n’aiment que leurs plaisirs, et que leurs festins sont de pures débauches. Soit donc pour remédier à des désordres réels, soit aussi pour ôter tout prétexte aux attaques des païens, on ordonna que le baiser de paix se donnerait séparément entre les individus de chaque sexe, et qu’on ne dresserait plus de lits dans le lieu des agapes. Enfin les abus continuant à s’introduire dans ces réunions, on fut obligé de les abolir. Ce fut le concile de Carthage qui les condamna en 397.

D’après les épîtres de saint Pierre et de saint Paul, et les décisions des conciles, autorités peu suspectes à l’égard des agapes, lorsqu’elles se prononcent contre elles, on ne peut douter que de graves désordres ne se soient introduits dans ces festins. Néanmoins on ne doit pas s’en rapporter au témoignage des païens quant à la nature et à l’étendue de ces désordres, attendu les puissants et nombreux intérêts qui, parmi eux, se trouvaient menacés par les progrès du christianisme.

Toute secte naissante est exposée aux persécutions, à la calomnie surtout, qui est la plûs facile et la plus efficace de toutes celles dont on puisse faire usage contre des réformateurs. Plus est grande la différence qui existe entre les doctrines d’une secte nouvelle et les idées et les mœurs au milieu desquelles elle s’annonce, plus cette différence lui est avantageuse ; c’est-à-dire, plus elle la rapproche des besoins et de la tendance de la nature humaine, plus aussi sont actives les attaques dirigées contre elle : or le christianisme réunissait tous les caractères auxquels s’attache la persécution. Au luxe, à la dépravation dont ils étaient entourés, les premiers chrétiens opposaient le mépris des richesses, une vie simple et austère ; aux usurpations les plus inouïes sur les droits de l’humanité, ils opposaient le dogme et la pratique de l’égalité absolue ; enfin, à l’action brutale et capricieuse de la force matérielle qui alors réglait tout, ou plutôt décidait de tout, ils opposaient la résistance passive d’une force morale, invariable, inflexible, qui, même au milieu des tortures, les plaçait en ce qu’ils avaient de plus cher hors des atteintes de leurs bourreaux.

Tel était le christianisme dans ces commencements, et tel il devait être pour triompher. Ce serait une grave erreur que de juger du fondement des accusations dirigées contre les premiers chrétiens d’après ce que nous savons de leurs successeurs. Il faut considérer les temps, les circonstances que cette religion a traversées, les révolutions qu’elle a subies ; en procédant ainsi, on trouvera que l’on doit repousser les imputations odieuses dont on Ta chargée dans les premiers temps de son existence, et se défier des apologies dont elle a été l’objet dans la suite.