Aigle
- Histoire naturelle
- Bory de St.-Vincent
- Encyclopédie moderne
Aigle. Habitués à la servitude presque dès l’origine de l’état social, les hommes la virent partout. Comme ils avaient des rois, ils imaginèrent que les animaux en devaient avoir. Pour eux l’aigle devint celui des oiseaux, et le lion fut le roi des quadrupèdes. La force, l’audace, un goût de rapine et l’habitude de verser le sang furent les marques auxquelles on crut reconnaître les dominateurs de créatures qui, plus indépendantes que nous, n’en ont jamais reconnu. La mythologie fit de l’aigle l’oiseau de Jupiter, parce que, dans son vol hardi, il semblait s’élancer aux cieux, où l’on plaçait le trône de la divinité.
Les aigles ont le bec fort et tranchant, les pieds nerveux, les doigts robustes, armés d’ongles puissants et très aigus, les ailes étendues et infatigables, la vue perçante, l’air farouche et le caractère, féroce. Ils se retirent dans les rochers inaccessibles, où l’énorme quantité de nourriture qu’exige leur insatiable appétit les force à vivre, solitaires au milieu des ossements blanchis de leurs victimes.
Longtemps les aigles ont été pour les naturalistes un genre d’oiseaux de rapine que leur force et leur taille semblaient isoler du milieu des êtres que l’on regardait comme leurs sujets. Linné, que n’a point ébloui une suprématie purement hypothétique, n’a vu en eux que de simples faucons, et les a rangés avec la plupart des oiseaux, de proie, soit qu’ils fussent réputés nobles, soit qu’on les regardât comme ignobles dans un seul et même genre, dont ils ne forment véritablement qu’une simple section.
Comme l’aigle était censé l’oiseau du maître, du tonnerre, on en fit aussi le symbole de la puissance et le compagnon de tous, les dominateurs. De là l’usage d’en porter l’image en tête des gens de guerre, usage qui, des légions romaines transmis jusqu’à nous, se perpétua d’empire en empire, parce qu’il est de la nature ; humaine d’imiter toujours ce qui se fit une fois. Et comme l’adoption de l’aigle pour insigne de l’empire passa des Romains aux peuples modernes dans ces temps de barbarie où l’ignorance fut presque toujours la compagne du pouvoir, en devenant un caractère héraldique, le nom de l’animal changea de genre ; de sorte qu’en terme de blason, on dit l’aigle autrichienne ou impériale, tandis que dans le langage scientifique ou habituel le mot aigle est masculin. On appelle aiglon le petit de l’aigle.
Cependant en cherchant dans la force et dans la férocité de l’aigle l’image de la royauté, on ne cessa de l’ennoblir ; partout ce compagnon de Jupiter le suit et veille à la garde de ses foudres vengeurs : mais soit que Jupiter courroucé punisse les hommes en les exterminant par les eaux d’un déluge, soit qu’il les frappe et les anéantisse des feux de son tonnerre, il ne fait jamais de son aigle l’exécuteur de ses sentences sanglantes ou le bourreau de ses victimes ; c’est le vautour qui, dans de telles circonstances, est chargé d’un horrible ministère que les rois de la terre n’ont pas toujours regardé comme indigne d’eux. Dans un temps voisin de l’époque actuelle, on a vu un monarque réformateur d’un grand empire, dont l’aigle est aussi l’emblème, couper lui-même la tête des coupables qu’il avait condamnés.
L’énorme quantité de nourriture qu’exige le vorace appétit de l’aigle le force à vivre solitaire : à peine souffre-t-il que la femelle habite le domaine où il s’est établi. Avide de carnage, il méprise pourtant une proie timide et trop facile : ce n’est que lorsque la faim l’y oblige qu’il se jette sur les petits oiseaux. Il dévore la chair palpitante, il se délecte du sang encore vivant ; c’est le tigre de l’air. La plus grande détresse peut seule l’obliger à s’abattre sur des cadavres ; nous l’avons vu plus d’une fois planant dans les cieux au-dessus d’un champ de bataille dédaigner d’y descendre, tandis que l’abject vautour y déchirait le corps des braves demeurés sans sépulture. L’aigle supporte des jeûnes rigoureux, et peut vivre longtemps sans manger ; il n’en devient que plus redoutable. Quelques espèces vivent de poisson. Ce sont celles-ci qui sont fort grandes et qu’on aperçoit quelquefois perchées, immobiles sur les rochers du rivage dont elles ont la couleur, guetter au loin leur proie à travers les vagues, soit pendant le jour douteux des tempêtes, soit pendant les jours sans nuage des temps les plus sereins, sans que jamais l’obscurité ou l’immense lumière paraisse fatiguer leurs yeux perçants. Les aigles distinguent du plus haut des airs l’humble reptile rampant sur l’herbe, et ne dédaignent pas de fondre sur lui comme un trait. S’il faut en croire Klein, leur existence s’étendrait à plusieurs siècles.
Les naturalistes ont décrit un assez grand nombre d’aigles de toutes les contrées de l’univers où ces oiseaux se trouvent répandus. Parmi ces espèces on doit citer l’aigle impérial, dont la femelle n’a pas moins de trois pieds de hauteur. Cet oiseau, dont le cri est sonore et menaçant, quitte rarement les hautes montagnes ; il donne la chasse aux daims et aux chevreuils, dont il emporte des quartiers entiers dans son aire, établie dans les rochers inaccessibles, et qui devient un charnier infect par la continuité de tels repas. Ce nid, bâti solidement avec de fortes pièces de bois qui l’étayent, est, comme celui des autres aigles, large et plat ; il reçoit, chaque année, deux et quelquefois trois œufs ovales allongés ; l’incubation dure trente jours, et dès que les petits sont assez grands pour pourvoir à leur nourriture, ils sont aussitôt chassés non-seulement de l’asile paternel, mais encore du canton, qui bientôt ne pourrait pas suffire à la consommation de la famille augmentée.
Le Jean-le-Blanc. Ce nom, bien ignoble pour un aigle, fut imposé par Buffon ; l’oiseau qui le porte construit son aire -sur les sapins les plus élevés des grandes forêts de la France et de l’Allemagne ; il donne de préférence la chasse aux reptiles.
Le pygargue, dont l’orfraie ou grand aigle de mer n’est qu’un état dans le jeune âge, est celui qui préfère le poisson aux animaux à sang chaud. On admire l’adresse avec laquelle il le saisit de ses serres à la surface d’un étang ; sa chair en contracte un goût insupportable.
L’aigle royal, celui de Jupiter, ou le plus commun, habite nos grandes forêts, et n’en sort que pour se jeter sur nos troupeaux ; les faons, les agneaux et les lièvres composent ordinairement ses repas. Il vient enlever audacieusement les seconds au milieu de leurs pareils, sans que les cris des bergers paraissent l’effrayer beaucoup.
On a quelquefois étendu le nom d’aigle à d’autres animaux de classe différente et qui vivent au sein des mers ; ainsi une raie, qui figure assez bien un aigle volant, a été appelée par les naturalistes raia aquila. Il n’est pas jusqu’à une coquille qui porte le nom d’aigle ; celle-ci (bulimus bicarinatus, Brug.), qui appartient au genre agatine du savant de Lamark, était, il y a vingt ans, une des plus rares et hors de prix. On n’en connaissait guère que trois dans les collections ; elle s’y est depuis un peu plus répandue, mais n’y est pas moins encore estimée très cher.