Ces termes qui, surpris et charmés d’être ensemble,
D’un hymen favorable empruntant le secours,
Fécondent la pensée, échauffent le discours,
C’est dans Corneille et dans Racine que l’on rencontre le plus fréquemment de ces alliances de mots, inusitées jusqu’à eux, dont ils offrent encore les plus beaux modèles, et que le génie seul peut imiter, ils ont étendu les limites d’une langue qui ne se prêtait point suffisamment au développement de leurs pensées, non en créant des termes plus nombreux, mais en multipliant ou agrandissant, par des rapprochements nouveaux, la signification des termes adoptés par l’usage. Ils ont prouvé qu’il n’y a point de langue ingrate pour de grands écrivains, et que les combinaisons variées de quelques mots, changeant de valeur, selon la place qu’ils occupent, suffisent à l’expression de toutes les pensées, comme les combinaisons diverses de quelques chiffres suffisent à l’expression de tous les nombres. Racine, qui faisait admirer à scs enfants ce beau vers de Corneille,
Et monté sur le faite, il aspire à descendre ;a dit lui-même avec une hardiesse égale :
Dans une longue enfance ils l’auraient fait vieillir.
Il n’est pas nécessaire de faire remarquer tout ce qu’il y a de grand et d’expressif dans la réunion de ces termes, qui peignent avec tant de bonheur, et d’un seul trait, la situation des personnages auxquels ils s’appliquent.
Racine n’a pas été moins bien inspiré quand il a dit, dans Phèdre,
Déjà de l’insolence heureux persécuteur.
On sent que l’alliance des mots fait ici d’une épithète injurieuse un titre honorable.
Destouches, dans le Glorieux, ne pouvait peindre en termes mieux choisis 1a bassesse d’un fils orgueilleux, qu’il ne l’a fait dans cette apostrophe remplie de justesse et d’éloquence :
J’entends ; la vanité me déclare à genouxM. Baour-Lormian, dans sa traduction de la Jérusalem délivrée, offre un exemple remarquable de la manière dont on peut rapprocher, dans la poésie descriptive, les termes les plus opposés.
Qu’un père malheureux n’est pas digne de vous.
On voit le long des murs que bat l’airain terrible
En balles se gonfler une laine flexible,
Qui trompe le bélier, sans relâche grondant,
Combat par sa mollesse, et résiste en cédant.
Lebrun a dit, dans une de ses épîtres :
S’élever en rampant à d’indignes honneurs.
Du reste, ses poésies offrent un grand nombre de ces alliances heureuses, qui lui ont valu, de la part de Ginguené, les vers suivants, qu’il ne sera pas inutile de citer :
D’un plaisir inquiet tu nous vois tressaillir
A ces expressions neuves, inattendues,
Richesses du langage, en tes vers répandues ;
A cet accord de mots jusqu’alors ennemis,
Qui, placés avec art, et désormais unis,
Portent, sans murmurer une commune chaîne,
Et ne sont plus surpris que de leur vieille haine.
Les poètes et les orateurs présentent une foule de ces rapprochements de mots qui forment image, mais dont il faut se garder d’abuser ;
Le bon goût en prescrit l’emploi sage et discret,a dit Millevoye.
Ce qu’on doit éviter surtout, ce sont les alliances de termes ambitieux et bizarres, qui frappent quelquefois au premier aspect, mais que l’esprit et la raison repoussent bientôt, si un lien intime et naturel ne les légitime. Dans ce genre, comme dans tout autre, les hardiesses de la médiocrité sont toujours décolorées et froides ; les hardiesses du génie sont seules sublimes.