Allusion

  • Littérature
  • Emmanuel Dupaty
  • Encyclopédie moderne

Allusion. L’allusion est une figure de rhétorique qui aide à faire sentir le rapport que les personnes ou les choses ont entre elles, et qui emploie des expressions naturelles pour rappeler une idée autre que celle que les mots semblaient d’abord destinés à faire naître. L’allusion est une sorte d’allégorie qui consiste ordinairement dans un mot, dans une phrase, et qui insinue plutôt qu’elle ne désigne le rapprochement qu’on a l’intention de faire. Ce rapprochement est le plus souvent un trait de satire ou de louange, quelquefois un conseil ou une leçon. C’est une manière adroite et délicate de faire passer ce qu’il y aurait de trop fade dans la louange, de trop amer dans la critique, de trop audacieux dans le conseil ou dans la leçon. C’est une balle qui, détournée delà ligne droite, frappe sur un corps étranger, et arrive au but par ricochet. Quand Boileau, dans sa première épître, faisait reprocher à Pyrrhus, par Cinéas, son humeur guerroyante, et l’engageait à se reposer, il faisait allusion à la manie des conquêtes qui s’était emparée de Louis XIV, et s’adressait indirectement à ce prince, à qui il n’eût peut-être pas été prudent de reprocher en face son ardeur pour la guerre. Racine employa le même moyen pour détourner ce monarque de paraître sur le théâtre, d’y chanter et d’y danser. Il ne s’adressa point à Louis XIV, il fronda Néron : l’allusion était claire ; le roi la sentit et se corrigea. Les courtisans la sentirent aussi, et crurent plaire au maître en dénigrant Britannicus.

Les poètes ont toujours employé l’allusion. pour donner des leçons aux rois et aux peuples. Le théâtre d’Eschyle, d’Euripide et d’Aristophane, est rempli d’allusions aux événements du temps. Ménénius, dans la fable des Membres et l’Estomac, qu’il adressa au peuple retiré sur le mont Aventin, se servit de l’allusion pour le ramener dans Rome ; et Stésichore, le plus ancien poète sicilien, inventa l’apologue du Cheval et l’Homme, pour détourner ses concitoyens d’implorer contre leurs ennemis le secours du tyran Phalaris, qui aurait bien pu ensuite leur donner des fers.

C’est dans la fable surtout que brille l’allusion ; elle y est indispensable : Chaussard a dit dans sa Poétique secondaire :

Un masque offre les traits des divers animaux,
Mais sous ce masque est l’homme avec tous ses défauts
Lui-même en a souri. Qu’un docte badinage
Échange finement noms, titres et langage,
Et de l’allusion que le miroir secret
De vos mœurs en profil révèle le portrait

La Fontaine est le maître dans ce genre : toutes ses fables sont des allusions ingénieuses à nos vices, à nos travers, à nos défauts ; dans tous les animaux qu’il fait parler, on reconnaît l’homme.

Dans un genre plus élevé, l’allusion plaît lorsqu’elle offre une image neuve et belle, comme dans ce passage du septième chant de la Henriade :

Ton roi Jeune Biron, te sauve enfin la vie,
Il t’arrache sanglant aux fureurs des soldats,
Dont les coups redoublés achevaient ton trépas ;
Tu vis, songe du moins à lui rester fidèle.

Ce dernier vers fait allusion à la conspiration du maréchal de Biron.

Quand l’allusion est employée par la louange, elle doit être fine et délicate, comme dans ces vers improvisés par mademoiselle de Scudéri, à l’aspect des œillets que le prince de Condé avait cultivés à Vincennes, pendant sa captivité :

En voyant ces œillets qu’un illustre guerrier
Arrose de la main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu’Apollon bâtissait des murailles,
Et ne t’étonne pas que Mars soit jardinier.

Voiture, qui était fils d’un marchand de vin, jouant un jour aux proverbes dans une société, madame des Loges lui dit : « Celui-là ne vaut rien, percez-nous-en un autre.» On voit que madame des Loges rappelait par là l’état du père de Voiture. L’allusion qu’elle faisait était une impertinence, et prouvait qu’avec de l’esprit une femme orgueilleuse et vaine peut n’être qu’une sotte.

Molière, on annonçant la défense de jouer le Tartufe, ajouta: M. le premier président ne veut pas qu’on le joue. L’allusion était vive, sanglante, et le double sens la rendait aussi adroite que spirituelle.

Ce petit nombre d’exemples suffira pour démontrer tout le parti qu’on peut tirer de l’allusion. Pans les temps de trouble, de fureur et de haine, elle devient un bouclier contre le danger d’exprimer franchement sa pensée. La vérité se retranche alors derrière l’allusion ; mais plus d’un arrêt nous a démontré que ce rempart n’est pas inexpugnable.