C’est d’eux que nons tenons cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,
Et par les traits divers de figures tracées
Donner de la couleur et du corps aux pensées.
Quel que soit le peuple auquel on doit faire honneur d’une invention si féconde en résultats, une logique bien rigoureuse ne paraît pas avoir présidé au classement des lettres dans l’alphabet. Les voyelles et les consonnes, les articulations provenant du jeu des organes les plus opposés, s’y trouvent souvent confondues. Ce vice immense de notre alphabet tient sans doute au double rôle que, dès l’origine, il fut appelé à remplir. En effet, chez les peuples sémitiques comme chez les Grecs, chaque lettre, outre sa valeur comme représentation d’un des éléments de la parole, en eut une seconde, celle du chiffre ; et une fois une valeur numérique donnée à ces caractères, la place de chacun dans l’alphabet se trouve définitivement fixée. La superstition s’emparant ensuite d’un fait sans conséquence réelle, s’opposa à ce qu’on pensât à établir entre les lettres un classement plus régulier. On vit dans leur ordre et leur combinaison quelque chose de surnaturel et de magique. Aussi, de tout temps, l’alphabet a-t-il joué dans les formules des sciences occultes un rôle important.
Quant à la division des éléments phonétiques en sons et en articulations, il ne paraît pas que les créateurs de l’alphabet l’aient connue. La question a été néanmoins souvent débattue de savoir si aucun des caractères des anciennes écritures sémitiques pouvait être considéré comme pure voyelle, et si l’inventeur n’avait pas sciemment composé de simples consonnes la série de ses lettres. L’alphabet arabe, calqué d’une manière plus servile que le nôtre sur le type hébreu, est aujourd’hui considéré comme composé exclusivement de consonnes. Comme telles,, il est vrai, on compte certaines marques d’aspiration que l’on pourrait bien prendre pour d’anciennes voyelles, dénaturées par l’usage ; et il est certain que l’alphabet grec, dérivé de la même source, mais à une époque bien antérieure, a, parmi ses plus anciens caractères, des lettres comme alpha, epsilon, omicron, auxquelles on n’a jamais contesté le caractère de voyelles.
Dans l’hébreu, l’arabe et le syriaque, on supplée quelquefois à l’absence des voyelles par des points ou de petits traits qui se placent, les uns au-dessus, les autres au-dessous de la ligne ; mais souvent ces marques s’omettent.
Dans les écritures de l’Inde, il n’y a guère que les voyelles initiales qui se tracent dans le corps de la ligne ; la plupart des autres s’indiquent par un procédé analogue à celui qu’emploient les peuples sémitiques.
Dans les prétendus syllabaires éthiopiens et tartares, qui se réduisent facilement à leurs éléments alphabétiques, les voyelles se joignent aux consonnes comme une sorte d’appendice.
Les auteurs sont fort partagés sur l’origine delà figure des lettres. Quelques-uns, tels que le Hollandais Van Helmont et l’Allemand Wachter, ont voulu y voir la représentation des organes de la parole dans les différentes positions qu’ils affectent pour l’émission des différents sons. D’autres, tels que Court de Gébelin et beaucoup de grammairiens modernes, ont cru y retrouver les traits altérés de figures autrefois hiéroglyphiques, qui sont passées à l’état de caractères phonographiques, d’abord sous forme de véritables rébus, puis, par des simplifications successives, comme purs éléments alphabétiques. Le premier de ces deux systèmes ne soutient pas l’examen ; quant au dernier, on ne peut nier que la nature significative du nom des anciennes lettres phéniciennes et hébraïques ne lui donne un grand poids. À l’article particulier que nous consacrons à chaque lettre nous donnerons la signification traditionnelle du nom qu’elle porte.