Ambassadeur
- H. Bordier
- Encyclopédie moderne
Ambassadeur. Les différentes nations ont besoin de traiter et de communiquer les unes avec les autres et ne le peuvent faire que par l’entremise de mandataires. Tout État souverain est en droit d’envoyer auprès du gouvernement d’un autre État des mandataires de ce genre, c’est-à-dire des personnes chargées de ses affaires, de ses ordres, et qui le représentent. Ces envoyés sont plus ou moins élevés en dignité ; on en reconnaît, dans la hiérarchie diplomatique, de quatre degrés différents : l’ambassadeur, l’envoyé ou ministre plénipotentiaire, le chargé d’affaires et le ministre résident. Le titre d’ambassadeur est le plus éminent de tous ; mais l’importance de ses fonctions ne répond pas toujours à celle de son titre : on voit souvent de simples chargés d’affaires négocier sur des objets de haute importance et des ambassadeurs, au contraire, employés à des missions insignifiantes. Cependant la distinction se fait positivement sentir entre les ministres des deux premiers ordres et ceux des deux autres, les simples résidents ou chargés d’affaires, dans la différence des lettres de créance qu’on leur donne. C’est du souverain même que les premiers reçoivent leurs commissions pour le souverain étranger, tandis que les autres ne sont accrédités que par le ministre des affaires étrangères de leur pays auprès des ministres du pays où ils sont envoyés. Les lettres de créance qu’on leur remet sont, du reste, également authentiques et leur confèrent des pouvoirs semblables ; seulement si le chef de leur gouvernement change, les chargés d’affaires et les résidents n’en continuent pas moins leurs fonctions comme des employés ordinaires de l’administration, tandis que les ambassadeurs doivent présenter de nouvelles lettres de créance émanées du nouveau souverain.
L’étiquette des cours faisait autrefois et fait souvent encore considérer l’ambassadeur comme représentant la personne même de son souverain et comme ayant droit, par conséquent, à de grands honneurs. Ce caractère représentatif attribué à l’ambassadeur n’a pas seulement servi de base à des distinctions de rang entre les différentes classes d’agents diplomatiques, il a servi à établir des distinctions entre les gouvernements mêmes que les agents diplomatiques doivent représenter. L’ambassadeur d’un roi a droit à des honneurs royaux, puisqu’il représente une personne royale ; mais l’ambassadeur d’une république, quelle personne représente-t-il ? — Aucune, dit-on, puisque c’est de la souveraineté du peuple qu’il tient ses pouvoirs. Telle est la subtilité sur laquelle on s’est fondé pour traiter sur un pied d’infériorité les envoyés de certains États européens. C’est par la même raison qu’en 1663 Louis XIV et les seigneurs de sa cour refusèrent aux ambassadeurs suisses les honneurs ordinaires et particulièrement celui de se couvrir devant le roi. Wattel, écrivain suisse, qui s’est rendu célèbre par un ouvrage composé dans le siècle dernier sur le droit des gens, raconte ce trait historique avec une sorte de douleur, et l’explique en disant que ses compatriotes étaient « plus instruits dans la guerre que dans les manières des cours, et qu’ils étaient peu jaloux de ce qui n’était que cérémonie. » Il est triste d’avoir à ajouter que de nos jours encore, on prétend, dans quelques cours, maintenir cette distinction entre les mandataires des monarques et ceux des États républicains ; que l’on va même jusqu’à vouloir que les chefs de ces États adoptent dans leur correspondance un style dont l’humilité contraste avec la hauteur qu’on prend en leur répondant ; « prétentions auxquelles on ne se serait pas attendu, » dit M. Royer-Collard (notes sur Wattel, div. 4, § 79), « après plus d’un demi-siècle de prise de possession de la liberté en Amérique, et après l’établissement en France d’une monarchie entourée d’institutions républicaines. »
L’ambassadeur occupe une position privilégiée dans le pays où il est envoyé. Sa personne, comme celle des autres agents diplomatiques, y est plus inviolable que celle d’un simple particulier, par la raison que l’injure qui lui serait faite rejaillirait d’abord sur le souverain qu’il représente, puis compromettrait la sûreté des deux nations. L’ambassadeur jouit-il de l’exemption de la juridiction du pays où il est envoyé ? C’est une question importante et très débattue. Généralement les anciens publicistes ne doutaient pas qu’il ne fallût la résoudre affirmativement ; mais ils n’en donnaient que de faibles raisons. Comme le ministre représente son souverain, disait Wattel, ce serait manquer aux égards dus au souverain que de soumettre le ministre à une juridiction étrangère ; puis, sans cette exemption, l’on pourrait tellement obséder un ambassadeur par d’injustes procès et des chicanes qu’il ne lui resterait ni temps ni repos pour s’acquitter de ses fonctions. Dix ans avant Wattel, Montesquieu, dans son Esprit des Lois, avait donné aux mêmes idées l’appui de son style. « Les ambassadeurs (dit-il) sont la parole da prince qui les envoie, et cette parole doit être libre. Aucun obstacle ne doit les empêcher d’agir. Ils peuvent souvent déplaire, parce qu’ils parlent pour un homme indépendant. On pourrait leur imputer des crimes, s’ils pouvaient être punis pour des crimes ; on pourrait leur supposer des dettes, s’ils pouvaient être arrêtés pour des dettes. Un prince qui a une fierté naturelle parlerait par la bouche d’un homme qui aurait tout à craindre. » Le célèbre Hollandais Bynkershoeck était aussi de cet avis, quoique la cour de justice de Hollande, dont il faisait partie, eût en 1668, quelques années avant qu’il s’occupât de cette question, fait emprisonner pour dettes un ministre résident de Portugal. L’opinion contraire serait probablement préférée aujourd’hui. Des publicistes modernes ont fait voir que l’exercice de la juridiction ne saurait impliquer de pensée offensante pour celui qui le subit, que ces craintes, conçues pour les agents diplomatiques, sont puériles ou exagérées ; qu’il y a dans tous les pays des lois pour punir les calomniateurs ; que si l’ambassadeur était exempt de la juridiction civile, il faudrait ou que ses créanciers fussent dépouillés de leurs droits, ou que ce fût leur gouvernement qui les remboursât comme on indemnise tous les gens qu’on exproprie pour cause d’utilité publique, ce qui est également inadmissible ; que, quant à la juridiction criminelle, dire que les ambassadeurs ne doivent être punis que par les autorités de leur propre pays, serait leur assurer à peu près l’impunité, parce que c’est seulement sur les lieux même où un crime a été commis que se trouvent d’ordinaire les moyens matériels de le prouver. On conclut donc, dans cette opinion, en disant que les ambassadeurs, comme les autres personnes, doivent être soumis en pays étranger à la juridiction civile, c’est-à-dire à la contrainte par corps et à la saisie, sauf à la justice du pays à prendre les plus grandes précautions pour assurer l’inviolabilité des archives de l’ambassade ; l’ambassadeur doit subir aussi la juridiction criminelle du pays où il se trouve ; mais dans le cas où il serait condamné, le gouvernement de ce pays fera sagement de ne point procéder à l’exécution de l’arrêt, mais de la laisser, par égard, à la discrétion des autorités du pays auquel ce ministre appartient. Suivant les principes de Wattel, l’ambassadeur même qui comploterait contre la sûreté du gouvernement auprès duquel il est envoyé, devrait seulement, sur la demande de ce gouvernement, être rappelé par le sien, ou, dans les cas graves et suivant les circonstances, être arrêté, détenu, chassé du pays ; mais sa personne devrait toujours être en sûreté tant qu’il n’irait pas jusqu’à prendre les armes pour se joindre aux ennemis de l’État.
Ce privilège d’exemption de juridiction, qu’on attribuait à l’ambassadeur, était étendu à sa famille, à ses agents subalternes et même à ses domestiques. L’inviolabilité du maître, disait-on, se communique à ses gens. La seule immunité, nous l’avons vu, qu’on puisse accorder à ces diverses personnes et à l’ambassadeur lui-même, c’est de ne pas leur appliquer la peine ; mais elles ne peuvent se soustraire au jugement.
Un autre privilège généralement admis autrefois en faveur des ambassadeurs et devenu inadmissible aujourd’hui, est le droit d’asile. On disait que l’hôtel d’un ambassadeur représente les États de son souverain comme lui-même en représente la personne, et que par cette raison c’est un lieu qui doit être pour lui et pour sa suite un asile sacré, qu’on ne peut violer, ou personne ne peut être arrêté, si ce n’est de son consentement. C’est une théorie que personne n’oserait soutenir aujourd’hui ; mais le libre exercice de sa religion dans l’intérieur de son hôtel, l’exemption de certains impôts, des douanes, par exemple, ont toujours été et sont encore assurés à l’ambassadeur par l’usage général des nations.
Un article important de nos lois a donné aux agents diplomatiques en général le caractère d’officiers de l’état civil. C’est l’article 48 du Code civil, lequel est ainsi conçu : « Tout acte de l’état civil des Français en pays étranger sera valable s’il a été reçu conformément aux lois françaises par les agents diplomatiques ou par les consuls. »