Anguille

  • Histoire naturelle
  • E. Desmarest
  • Encyclopédie moderne

Anguille. Le genre anguille de Linné, qui fait partie de la famille des anguilliformes de l’ordre des malacoptérygiens apodes, a été partagé, principalement par G. Cuvier, en plusieurs groupes distincts et dont nous devons nous occuper, lorsque nous aurons parlé des anguilles en général.

Le corps de ces animaux est long et grêle ; leurs écailles sont comme encroûtées dans une peau grasse et épaisse et ne se voient bien qu’après le dessèchement ; ces anguilles manquent toutes de ventrales et de cœcums ; l’anus, est assez loin en arrière ; leurs opercules sont petits, entourés concentriquement par les rayons et enveloppés aussi bien qu’eux dans la peau, qui ne s’ouvre que fort en arrière par un trou, ou une espèce de tuyau ; ce qui, abritant mieux les branchies, permet à ces poissons de demeurer quelque temps hors de l’eau sans périr.

Parmi les divisions démembrées de l’ancien genre anguille, nous citerons :

1° Les Anguilles, (Muræna, Blainville Anguilla, Tlumberg et G. Cuvier) qui se distinguent principalement par la présence de nageoires pectorales, sous lesquelles viennent, de chaque côté, s’ouvrir les ouïes, et par les nageoires du dos et de l’anus, qui se prolongent jusqu’à l’extrémité du corps, où elles se réunissent en pointe et remplacent la caudale.

Les anguilles vivent dans les eaux courantes ou dormantes indifféremment ; elles aiment le mouvement des vannes de moulin et se développent également dans l’eau des fossés ; elles sont voraces et se nourrissent de petits poissons, principalement de goujons, et quelquefois de petits mammifères, d’oiseaux aquatiques, de vers et même des débris des corps d’animaux que l’on jette à l’eau. Le jour, elles se tiennent blotties dans les plantes aquatiques ou dans des trous le long des berges ; et ce n’est que la nuit qu’elles chassent les animaux dont elles se nourrissent. Les anguilles s’enfoncent dans la vase des étangs, pendant le froid, qu’elles redoutent beaucoup. Dans les chaleurs de l’été, surtout lorsque le temps est orageux, elles aiment à sortir de l’eau et vont quelquefois très loin au travers des herbes ; alors elles mangent de petits reptiles, des colimaçons et même, dit-on, elles sont très friandes de pois, dans les champs cultivés. Si elles sont surprises à terre par les chaleurs du jour, elles se blottissent dans une touffe d’herbes, et, roulées sur elles-mêmes, y attendent la nuit pour retourner à l’eau. Dans les eaux courantes elles nagent avec force et rapidité contre les courants ; mais, en descendant, elles se laissent le plus souvent entraîner au fil de l’eau, sans faire d’efforts ; aussi prend-on beaucoup d’anguilles dans de grandes nasses, tendues en travers des rivières, et bordées de chaque côté d’une muraille faite avec de grandes perches entrelacées de branchages et dont les trous sont bouchés avec de la vase ; ce sont les gords des pêcheurs.

On croit que les anguilles vivent fort longtemps ; nous pouvons, à cet égard, citer un fait qui nous est personnel. Nous conservons, dans une terrine, depuis 1828, une anguille commune. Ce poisson a les mouvements assez lents ; il est, en quelque sorte, privé, et semble reconnaître les personnes qui s’occupent habituellement de lui ; depuis dix-sept ans que nous le conservons, il a peu grossi ; ce qui tient probablement à la position gênée qu’il occupe dans sa terrine, où il ne peut se développer en entier. On le nourrit presque exclusivement avec de petits morceaux de viande crue, dont la forme simule celle des vers de terre ; il mange peu, surtout en hiver ; et ce n’est même qu’en été qu’il prend de la nourriture avec plaisir ; l’hiver il la dédaigne très souvent, lors même qu’on lui présente des vers de terre, dont il est assez friand. On a soin de changer journellement l’eau dans laquelle il se meut.

Il paraît démontré aujourd’hui que les anguilles se rendent à la mer, pour y frayer, et qu’à cette époque, elles descendent le cours des fleuves et des rivières ; ce fait, annoncé par Oppien, indiqué de nouveau par Spallanzani, a été observé dans ces derniers temps par M. Garell.

Les pêcheurs de la basse Seine croient que l’anguille est ovipare ; suivant eux, elle fraye une première fois vers la fin de février ou le commencement de mars, et une seconde fois en septembre. Cependant, quelques naturalistes pensent que ce poisson est vivipare, ou tout au moins ovo-vivipare ; et un fait, rapporté par M. Joannis, pourrait faire croire à sa viviparité : un paysan lui a dit qu’ayant mis une grosse anguille entre deux plats, puis, l’ayant découverte à son retour à la maison, après le travail des champs, il la trouva entourée de plus de deux cents petites anguilles, longues d’un pouce et demi à deux pouces, grosses comme des fils, et presque blanches. M. Valenciennes se demande, en discutant l’assertion de M. Joannis, si ces petites anguilles blanches ne seraient pas autre chose que des ascarides ; et il pense que le poisson qui nous occupe est bien ovipare. D’après le savant collaborateur de Cuvier, les anguilles frayent dans la vase ; leurs œufs restent réunis, et les petits qui en naissent restent également unis pendant quelque temps ; mais, lorsqu’ils ont atteint une taille de quatre à cinq centimètres, ils se séparent, et bientôt remontent les fleuves en bandes serrées que l’on nomme montées ; ils paraissent de plus en plus devenir jaunâtres, et enfin deviennent tout à fait semblables aux anguilles que nous connaissons.