Amulette
- Dictionnaire infernal
Amulette, préservatif. On appelle ainsi certains remèdes superstitieux que l’on porte sur soi ou que l’on s’attache au cou pour se préserver de quelque maladie ou de quelque danger. Les Grecs les nommaient phylactères, les Orientaux, talismans. C’étaient des images capricieuses (un scarabée chez les Égyptiens), des morceaux de parchemin, de cuivre, d’étain, d’argent, ou encore des pierres particulières où l’on avait tracé certains caractères ou certains hiéroglyphes.
Comme cette superstition est née d’un attachement excessif à la vie et d’une crainte puérile de tout ce qui peut nuire, le Christianisme n’est venu à bout de la détruire que chez les fidèles[1]. Dès les premiers siècles de l’Église, les Pères et les conciles défendirent ces pratiques du paganisme. Ils représentèrent les amulettes comme un reste idolâtre de la confiance qu’on avait aux prétendus génies gouverneurs du monde. Le curé Thiers[2] a rapporté un grand nombre de passages des Pères à ce sujet, et les canons de plusieurs conciles.
Les lois humaines condamnèrent aussi l’usage des amulettes. L’empereur Constance défendit d’employer les amulettes et les charmes à la guérison des maladies. Cette loi, rapportée par Ammien Marcellin, fut exécutée si sévèrement, que Valentinien fit punir de mort une vieille femme qui ôtait la fièvre avec des paroles charmées, et qu’il fit couper la tête à un jeune, homme qui touchait un certain morceau de marbre en prononçant sept lettres de l’alphabet pour guérir le mal d’estomac.
Mais comme il fallait des préservatifs aux esprits fourvoyés, qui sont toujours le plus grand nombre, on trouva moyen d’éluder la loi. On fit des amulettes avec des morceaux de papier chargés de versets de l’Écriture sainte. Les lois se montrèrent moins rigides contre cette coutume, et on laissa aux prêtres le soin d’en modérer les abus.
Les Grecs modernes, lorsqu’ils sont malades, écrivent le nom de leur infirmité sur un papier triangulaire qu’ils attachent à la porte de leur chambre. Ils ont grande foi a cette amulette.
Quelques personnes portent sur elles le commencement de l’Évangile de saint Jean comme un préservatif contre le tonnerre ; et, ce qui est assez particulier, c’est que les Turcs ont confiance à cette même amulette, si l’on en croit Pierre Leloyer.
Une autre question est de savoir si c’est une superstition de porter sur soi les reliques des saints, une croix, une image, une chose bénite par les prières de l’Église, un Agnus Dei, etc., et si l’on doit mettre ces choses au rang des amulettes, comme le prétendent les protestants. — Nous reconnaissons que si l’on attribue à ces choses la vertu surnaturelle de préserver d’accidents, de mort subite, de mort dans l’état de péché, etc., c’est une superstition. Elle n’est pas du même genre que celle des amulettes, dont le prétendu pouvoir ne peut pas se rapporter à Dieu ; mais c’est ce que les théologiens appellent une vaine observance, parce, que l’on attribue à des choses saintes et respectables un pouvoir que Dieu n’y a point attaché, un chrétien bien instruit ne les envisage point ainsi ; il sait que les saints ne peuvent nous secourir que par leurs prières et par leur intercession auprès de Dieu. C’est pour cela que l’Église a décidé qu’il est utile et louable de les honorer et de les invoquer. Or c’est un signe d’invocation et de respect à leur égard de porter sur soi leur image ou leurs reliques ; de même que c’est une marque d’affection et de respect pour une personne que de garder son portrait ou quelque chose qui lui ait appartenu. Ce n’est donc ni une vaine observance ni une folle confiance d’espérer qu’en considération de l’affection et du respect que nous témoignons à un saint, il intercédera et priera pour nous. Il en est de même des croix et des Agnus Dei[3].
On lit dans Thyræus[4] qu’en 1568, dans le duché de Juliers, le prince d’Orange condamna un prisonnier espagnol à mourir ; que ses soldats l’attachèrent à un arbre et s’efforcèrent de le tuer à coups d’arquebuse ; mais que leurs balles ne l’atteignirent point. On le déshabilla, pour s’assurer s’il n’avait pas sur la peau une armure qui arrêtât le coup ; on trouva une amulette portant la figure d’un agneau : on la lui ôta, et le premier coup de fusil l’étendit roide mort.
On voit dans la vieille chronique de don Ursino que quand sa mère l’envoya, tout petit enfant qu’il était, à Saint-Jacques de Compostelle, elle lui mit au cou une amulette que son époux avait arrachée à un chevalier maure. La vertu de cette amulette était d’adoucir la fureur des bêtes cruelles. En traversant une forêt, une ourse enleva le petit prince des mains de sa nourrice et l’emporta dans sa caverne. Mais, loin de lui faire aucun mal, elle l’éleva avec tendresse ; il devint par la suite très fameux sous le nom de don Ursino, qu’il devait à l’ourse, sa nourrice sauvage, et il fut reconnu par son père, à qui la légende dit qu’il succéda sur le trône de Navarre.
Les nègres croient beaucoup à la puissance des amulettes. Les bas Bretons leur, attribuent le pouvoir de repousser le démon. Dans le Finistère, quand on porte un enfant au baptême, on lui met au cou un morceau de pain noir, pour éloigner les sorts et les maléfices que les vieilles sorcières pourraient jeter sur lui[5]. (Voyez : Alès).