Apparitions
- Dictionnaire infernal
Apparitions. On ne peut pas très bien préciser ce que c’est qu’une apparition. Dom Calmet dit que si l’on voit quelqu’un en songe, c’est une apparition. « Souvent, ajoute-t-il, il n’y a que l’imagination de frappée ; ce n’en est pas moins quelquefois un fait surnaturel quand il a des relations. »
Dans la rigueur du terme, une apparition est la présence subite d’une personne ou d’un objet contre les lois de la nature : par exemple, l’apparition d’un mort, d’un ange, d’un démon, etc.
Ceux qui nient absolument les apparitions sont téméraires. Spinoza, malgré son matérialisme, reconnaissait qu’il ne pouvait nier les apparitions ni les miracles.
On ne raisonne pas mieux lorsqu’on dit qu’une chose qui est arrivée autrefois devrait arriver encore. Il y a bien des choses qui ont eu lieu jadis et qui ne se renouvellent pas, dans le système même des matérialistes, comme il y a bien des choses qui ont lieu aujourd’hui et que jadis on n’a pas soupçonnées.
Nous devons admettre et croire les apparitions rapportées dans les saintes Écritures. Nous ne sommes pas tenus à la même for dans les simples histoires ; et il y a des apparitions qui, réelles ou intellectuelles, sont fort surprenantes. On lit dans la vie de saint Macaire qu’un homme ayant reçu un dépôt le cacha sans en rien dire à sa femme et mourut subitement. On fut très embarrassé quand le maître du dépôt vint le réclamer. Saint Macaire pria, dit la légende, et le défunt apparut à sa femme, à qui il déclara que l’argent redemandé était enterré au pied de son lit, ce qui fut trouvé vrai. Ces sortes d’apparitions ne peuvent pas être repoussées, parce qu’elles ont devant Dieu un motif raisonnable. Mais Dieu ne permet jamais les apparitions ridicules, qui ne sont généralement que de mauvaises farces. Ce sont les apparitions des morts chez les anciens qui ont donné naissance à la nécromancie. (Voyez : Nécromancie).
Nous ne songerons à nous occuper ici que des apparitions illusoires ou douteuses, et le nombre on est immense. Nous suivrons un moment les écrivains qui ne doutent de rien, et qui, dans leurs excès mêmes, sont encore moins stupides et moins à quatre pattes que ceux qui doutent de tout. Quelquefois, disent-ils, les apparitions ne sont que vocales : c’est une voix qui appelle. Mais dans les bonnes apparitions l’esprit se montre. — Quand les esprits se font voir à un homme seul, ajoutent les cabalistes, ils ne présagent rien de bon ; quand ils apparaissent à deux personnes à la fois, rien de mauvais ; ils ne se montrent guère à trois personnes ensemble.
Il y a des apparitions imaginaires causées par les remords ; des meurtriers se sont crus harcelés ou poursuivis par leurs victimes. Une femme, en 1726, accusée, à Londres, d’être complice du meurtre de son mari, niait le fait ; on lui présente l’habit du mort, qu’on secoue devant elle ; son imagination épouvantée lui fait voir son mari même ; elle se jette à ses pieds et déclare qu’elle voit son mari. Mais on trouvera des choses plus inexplicables.
Les apparitions du diable, qui a si peu besoin de se montrer pour nous séduire, faibles que nous sommes, ont donné lieu à une multitude de récits merveilleux. Des sorciers brûlés à Paris ont dit en justice que, quand le diable veut se faire un corps aérien pour se montrer aux hommes, « il faut que le vent soit favorable et que la lune soit pleine ». Et lorsqu’il apparaît, c’est toujours avec quelque défaut nécessaire, ou trop noir, ou trop pâle, ou trop rouge, ou trop grand, ou trop petit, ou le pied fourchu, ou les mains en griffes, ou la queue au derrière et les cornes en tête, etc., à moins qu’il ne prenne une forme bizarre. Il parlait à Simon le Magicien, et à d’autres, sous la figure d’un chien ; à Pythagore, sous celle d’un fleuve ; à Apollonius, sous celle d’un orme, etc.
Excepté les démons de midi, les démons et les spectres apparaissent la nuit plutôt que le jour, et la nuit du vendredi au samedi de préférence à toute autre, comme le déclare Jean Bodin, d’après un grand nombre de témoignages.
Les apparitions des esprits, dit Jamblique, sont analogues à leur essence. L’aspect des habitants des cieux est consolant, celui des archanges terrible, celui des anges moins sévère, celui des démons épouvantable. Il est assez difficile, ajoute-t-il, de se reconnaître dans les apparitions des spectres, car il y en a de mille sortes. — Delancre donne pourtant les moyens de ne point s’y tromper. « On peut distinguer les âmes des démons, dit-il. Ordinairement les âmes apparaissent en hommes portant barbe, en vieillards, en enfants ou en femmes, bien que ce soit en habit et en contenance funeste. Or les démons peuvent se montrer ainsi. Mais, ou c’est l’âme d’une personne bienheureuse, ou c’est l’âme d’un damné. Si c’est l’âme d’un bienheureux, et qu’elle revienne souvent, il faut tenir pour certain que c’est un démon, qui, ayant manqué son coup de surprise, revient plusieurs fois pour le tenter encore. Car une âme ne revient plus quand elle est satisfaite, si ce n’est par aventure une seule fois pour dire merci. — Si c’est une âme qui se dise l’âme d’un damné, il faut croire encore que c’est un démon, vu qu’a grand’peine laisse-t-on jamais sortir l’âme des damnés. » Voilà les moyens de se reconnaître que Pierre Delancre donne comme aisés[1].
Il dit un peu plus loin que le spectre qui apparaît sous une peau de chien ou sous toute autre forme laide, est un démon ; mais le diable est si malin, qu’il vient aussi sous des traits qui le font prendre pour un ange. Il faut donc se défier. (Voyez pour les anecdotes : Visions, Spectres, Fantômes, Hallucinations, Esprits, Lutins, Vampires, Revenants, Songes, Armées prodigieuses, etc.).
Voici, sur les apparitions, un petit fait qui a eu lieu à la Rochelle, et que les journaux rapportaient en avril 1843 : « Depuis quelque temps, la population se préoccupait des revenants qui apparaissaient tous les soirs sous la forme de flammes phosphorescentes, bleuâtres et mystérieuses. Ces revenants ont été pris au trébuchet : celaient cinq gros réjouis de paysans des environs qui, grimpés tous les soirs sur des arbres très élevés, lançaient des boulettes phosphoriques avec un fil imperceptible. Pendant la nuit, ils donnaient le mouvement et la direction qu’ils voulaient à leurs globes de feu, et quand les curieux couraient après une flamme, elle devenait aussitôt invisible ; mais à l’instant il en surgissait une autre sur un point opposé pour détourner l’attention. Ce jeu s’effectuait ainsi pendant quelques instants successivement, et puis simultanément, de manière à produire plusieurs flammes à la fois. — Cette jonglerie trompa bien des incrédules effrayés ; mais enfin il se trouva un esprit rassis. Caché derrière une haie, il observa attentivement la mise en scène et devina le secret de la comédie. Suffisamment édifié, il alla quérir la gendarmerie, et les cinq mystificateurs furent arrêtés au moment où ils donnaient une nouvelle représentation. Quel était leur but ? On l’ignore. Le plus curieux de l’histoire, c’est qu’une commission scientifique avait déjà préparé un rapport sur l’étonnant phénomène météorologique de ces mauvais plaisants. »
Mais il ne faut pas s’appuyer sur des farces de ce genre pour nier les apparitions. Il y en a d’incontestables, comme on le verra en divers articles de ce livre.