Où vivaient noblement ces bons religieux,
Qui depuis, affranchis de leurs règles austères,
Se sont vus dépouillés par des lois trop sévères…
Je vous aimais surtout, enfants de Saint-Benoît,
De Cluny, de Saint-Maur, heureux propriétaires…
Je sais qu’on a prouvé que vous aviez grand tort.
Que ne prouve-t-on pas quand on est le plus fort ?
Retraite du repos, des vertus solitaires,
Cloîtres majestueux, fortunés monastères,
Je vous ai vus tomber, le cœur gros de soupirs,
Mais je vous ai gardé d’éternels souvenirs.
« L’imagination, dit Chateaubriand, s’est représenté les possessions d’un monastère comme une chose sans aucun rapport avec ce qui existait auparavant : erreur capitale. Une abbaye n’était autre chose que la demeure d’un riche patricien romain, avec les diverses classes d’esclaves et d’ouvriers attachés au service de la propriété et du propriétaire, avec les villes et les villages de leur dépendance. Le père abbé était le maître ; les moines, comme les affranchis de ce maître, cultivaient les sciences, les lettres et les arts. Les yeux même n’étaient frappés d’aucune différence dans l’extérieur de l’abbaye et de ses habitants ; un monastère était une maison romaine pour l’architecture : le portique ou le cloître au milieu, avec les petites chambres au pourtour du cloître… L’abbaye, pour le répéter, n’était donc qu’une maison romaine ; mais cette maison devint bien de mainmorte par la loi ecclésiastique, et acquit par la loi féodale une sorte de souveraineté : elle eut sa justice, ses chevaliers et ses soldats ; petit état complet dans toutes ses parties, et en même temps ferme expérimentale, manufacture (on y faisait de la toile et des draps) et école. »
L’Almanach royal de 1787 donne la liste des abbayes en commende, c’est-à-dire données non à de véritables moines ou religieux, ayant fait les vœux et portant l’habit d’un ordre, mais à des séculiers tonsurés. On en compte 649. Les moindres sont d’un revenu de 2,000 livres, et c’est le plus petit nombre. La moyenne proportionnelle est de 16,000 livres de rente. Le revenu de quelques-unes s’élève au chiffre de 50, 80 et même 100,000 livres de rente. C’est là ce qu’autrefois on appelait un bénéfice. Ces abbayes se donnaient aux cadets des familles nobles.