Aboukir

  • Encyclopédie de famille

Aboukir, la Canope des anciens, aujourd’hui petit bourg de la côte septentrionale de l’Égypte, à 17 kilomètres au nord-ouest d’Alexandrie, est défendu par un château du côté de la mer, où une langue de terre et quelques petites îles forment une rade offrant un assez bon mouillage. Cette rade restera à jamais fameuse par l’immense désastre que l’amiral anglais Nelson y fit éprouver à la flotte française commandée par l’amiral Brueys dans les journées des 1er, 2 et 3 août 1798, où la fortune fit pour la première fois sentir son inconstance à Bonaparte. Le débarquement de l’armée française avait été opéré, le er juillet 1798, avec un bonheur inouï. Alexandrie, prise d’assaut en quelques heures, était un point d’appui qui permettait à Bonaparte de marcher rapidement à son but. Il voulait que l’amiral Brueys fit entrer la flotte dans le port d’Alexandrie, ou qu’il la conduisit immédiatement à Corfou ; mais l’amiral, apprenant l’approche de la flotte anglaise, résolut d’accepter le combat. Dès que l’amiral Saint-Vincent, commandant les forces navales anglaises en croisière devant Cadix, eut appris la véritable destination de la flotte qui avait appareillé de Toulon, le 19 mai précédent, pour conduire une armée de 20,000 hommes à la conquête de l’Égypte, il détacha le contre-amiral Nelson, avec une flotte de quinze vaisseaux de ligne, en lui enjoignant de faire force de voile pour attaquer la flotte française. C’est le 31 juillet que Nelson parut sur les côtes d’Égypte. Après avoir reconnu le port d’Alexandrie, il se dirigea vers Aboukir, où l’amiral Brueys avait embossé ses vaisseaux sur une seule ligne, à deux tiers d’encablure l’un dé l’autre. Cette manœuvre fut sévèrement jugée, d’autant que, dans le conseil où l’amiral prit l’avis de ses capitaines, la majorité avait été d’opinion de combattre à la voile. Toutefois, il serait injuste de laisser peser sur la mémoire de l’amiral Brueys la terrible responsabilité du désastre d’Aboukir. Si la témérité inouïe de Nelson, qui osa s’aventurer entre les vaisseaux français et la terre, ne lui eût pas réussi, ce marin, si célèbre depuis, aurait eu probablement à répondre devant une cour martiale anglaise des suites d’une défaite. Quoi qu’il en soit, l’amiral anglais attaqua avec quatorze vaisseaux la flotte française, qui en comptait un de moins ; le combat commença le 1er août vers six heures du soir, par une violente canonnade. La flotte française, par suite de la manœuvre hardie de Nelson, avait son centre et son avant-garde placés entre deux feux. À huit heures plusieurs de nos vaisseaux étaient déjà hors de combat, non sans avoir fait éprouver à l’ennemi des pertes énormes, et déjà l’amiral français avait payé de sa vie sa résolution. Vers neuf heures le vaisseau l’Orient sauta en l’air avec un fracas qui jeta les deux flottes dans la stupeur. Cependant le combat continua et reprit avec plus de fureur au lever du soleil. Il se prolongea jusqu’à midi, et finit par la ruine ou la prise de de tous nos vaisseaux.

L’amiral Villeneuve, qui, quelques années plus tard, mit volontairement fin à ses jours, a été accusé d’avoir puissamment contribué à ce grand désastre par son immobilité pendant le commencement de l’action, et par son départ du champ de bataille avant qu’elle fût terminée. Il est probable au moins que, malgré les fautes de tactique qu’on peut reprocher à Brueys, notre flotte eût pu lutter avec plus d’avantages si la division que commandait Villeneuve fût entrée en ligne, même après l’explosion de l’Orient ; et il le pouvait, puisque sa retraite ne fut pas inquiétée par les Anglais, dont presque tous les vaisseaux avaient éprouvé de grandes pertes dans leurs équipages et de véritables avaries dans leurs agrès. La mort de l’amiral Brueys, de Casabianca, de Dupetit-Thouars, de Thevenard, et d’une foule d’autres officiers dont le vide se fit longtemps sentir dans les cadres de la marine, fut héroïque, ainsi que le dévouement sublime du jeune Casabianca, enfant de dix ans, qui fut englouti dans les flots à côté de son père, capitaine de pavillon de l’Orient, qu’il refusa constamment de quitter.

Bonaparte reçut la nouvelle de ce désastre avec fermeté ; privé désormais des moyens de recevoir des secours de la métropole, il prit les mesures nécessaires pour se suffire à lui-même. La fortune lui préparait dans ce même lieu un dédommagement prochain. Le 11 juillet 1799, la flotte ottomane débarqua sur celte même plage une armée turque de près de 20,000 hommes, aux ordres de Mustapha-Pacha, qui s’empara du fort d’Aboukir. Bonaparte revenait alors de Syrie ; il accourut à Alexandrie, où il établit son quartier général, en attendant l’arrivée des troupes. Tout fut prêt le 23 juillet. Les Turcs, fortement retranchés sur le lieu même de leur débarquement, furent simultanément attaqués sur tous les points de leur ligne de défense, qui était trop étendue. Le combat se soutint avec acharnement jusqu’à leur défaite. Cette journée leur coûta 18,000 hommes tués et blessés ou prisonniers. Le fort d’Aboukir, occupé par les Turcs, tint encore quelques jours, au bout desquels il se rendit. Cette brillante victoire fut le dernier exploit de Bonaparte en Égypte. Le 7 mars 1801 le fort d’Aboukir, défendu par quelques centaines d’hommes, était oblige de se rendre aux Anglais, débarqués sur la plage au nombre de plus de 12,000.