Allumettes
- Encyclopédie de famille
Allumettes, petits fragments d’un bois très sec, ou brins de roseau, de chènevotte, de carton, ou encore de coton ciré, portant à l’une de leurs extrémités ou a toutes deux une matière inflammable. Pour fabriquer les allumettes en bois, on fait d’abord sécher au four de petits billots de bois blanc de la longueur qu’on veut donner à l’allumette ; puis on les fend dans la direction des fibres du bois avec un couteau à main, et ensuite en sens transversal, afin de produire de petits fragments carrés, qu’un autre ouvrier réunit par paquets. Un troisième travailleur, après les avoir nivelés, les passe à un quatrième, qui les trempe dans un récipient contenant la matière inflammable, telle que du soufre fondu, etc. Pendant longtemps on a fait usage d’allumettes plates, généralement fabriquées avec du sapin blanc ; mais les allumettes carrées sont maintenant bien plus demandées et on les fend par des moyens mécaniques.
Martial nous fait connaître le marchand d’allumettes à Rome. Il habitait les plus humbles quartiers de la ville, la région située au delà du Tibre, d’où il venait tous les jours colporter sa marchandise. Ses allumettes étaient faites de bois blanc, et il les offrait par bottes. On en faisait surtout une grande consommation à l’époque des saturnales. Le marchand d’allumettes échangeait sa marchandise, contre des morceaux de verre cassés, qu’il allait vendre sans doute à quelques verriers. Le marchand d’allumettes avait déjà à Rome un cri particulier pour signaler son passage, et Martial place ce cri dans les fléaux qui lui font fuir la ville. Dans le Paris du moyen âge on entendait crier tout le jour : Allumelle ! Allumelle ! Les allumettes de roseau fortement soufrées étaient celles qu’on recherchait le plus. Elles servaient au jeu de Petit bonhomme vit encore, dans lequel il s’agissait de les souffler d’un coup sans tousser. Les petits marchands d’allumettes restèrent toujours les plus chétifs des marchands ambulants ; ils ne pouvaient joindre aucune autre marchandise à leur négoce, pas même des fusils ou briquets. Plus tard cependant leurs fournisseurs, les fabricants d’allumettes, jouirent d’une grande aisance, quelques-uns même d’une belle fortune, ainsi que le dit Bruscambille et que le raconte Laplace. En faisant l’éloge des allumettes, Bruscambille s’écrie : « Minerve en donna la forme, Apollon y contribua la lumière, les Muses en firent présent aux hommes studieux pour la conservation de leur science, pour s’éveiller à minuit, et en faveur du silence faire rage d’étudier, écrire, composer, apprendre, méditer, ruminer, lire, et tout ce qui s’ensuit. » En 1643, une petite société choisie de Chaumont en Bassigny s’avisa de créer à son usage un petit ordre de chevalerie des allumettes. On en portait une d’argent attachée à un ruban jaune et gris de lin avec cette devise :
Nous ne brûlons que pour brûler les autres.
Au dix-septième, siècle les allumettes eurent leur part dans les productions mystiques à la mode. On eut les Allumettes du feu divin et les Allumettes d’amour du jardin délicieux de la confrérie du saint Rosaire.
L’usage du briquet, qui exigeait une certaine adresse, finit par paraître incommode. La science trouva le moyen de s’en passer. On plongea d’abord l’allumette soufrée dans du phosphore ; puis on fit des allumettes chimiques ou oxygénées dont le bout était chargé d’une pâte composée de 60 parties de chlorate de potasse, 14 parties de soufre, 14 parties de gomme et une quantité d’eau proportionnée : il suffisait pour obtenir de la flamme de plonger ces allumettes dans de l’acide sulfurique. En 1831, Étienne Romer inventa un rabot propre à débiter le bois de pin en baguettes cylindriques, et grâce à cet outil il put donner une grande extension à la fabrique qu’il venait de fonder à Vienne en Autriche. La même année Mme Merckel faisait établir à Paris des machines qui lui permettaient de fabriquer plus de 100,000 allumettes par jour, en se servant aussi de châssis pour tremper à la fois un grand nombre d’allumettes dans le mastic inflammable. Elle faisait en outre des allumettes en cire formant bougies ; enfin elle s’occupa une des premières, en 1833, de la préparation des allumettes à friction, appelées congrèves ou électriques. Ces allumettes constituaient un progrès ; mais le frottement énergique qu’il fallait leur faire subir entre les deux plis d’un papier de sable, détachait souvent la pâte de sulfure d’antimoine et de chlorate de potasse dont se trouvait garni leur extrémité soufrée. On ne tarda pas à remédier à cet inconvénient en substituant au sulfure d’antimoine le phosphore, qui s’enflamme plus facilement, et l’allumette phosphorique prit ainsi naissance. C’est à Vienne que ce genre d’allumettes a reçu les plus grandes améliorations. Composées comme elles l’étaient d’abord elles s’enflammaient trop rapidement, détonaient avec bruit et projetaient des étincelles dans toutes les directions. Preshel remplaça le chlorate de potasse par du bioxyde de plomb, puis par de l’azotate de plomb. Les allumettes chimiques allemandes présentèrent alors de tels avantages qu’on leur donna bientôt la préférence sur tous les produits analogues. Cependant on se servit longtemps encore en France de chlorate de potasse, et ce n’est qu’après bien des années qu’on s’y décida à employer les oxydants de Preshel ou l’azotate de potasse indiqué par le docteur Bœttger. La gomme avec laquelle on liait la pâte phospnorée a été remplacée par la colle forte, moins accessible a l’humidité ; le mastic a été enveloppé d’un vernis pour empêcher les émanations de se développer, et dans les allumettes de luxe on a substitué au soufre la cire, l’acide stéarique ou bien encore une matière résineuse. Cependant les dangers du phosphore ont fait chercher une substance qui pût le remplacer dans la fabrication des allumettes. Le phosphore rouge ou amorphe, c’est-à-dire incristallisable, découvert par M. Schrœtter en 1847, pourrait remplir ces conditions ; mais il ne s’enflamme pas lorsqu’il est combiné avec le bioxyde de plomb, et son mélange avec le chlorate de potasse donne lieu à des explosions dangereuses. Il faudrait donc étendre le phosphore amorphe sur un frottoir spécial et l’isoler ainsi de la pâte fixée sur l’allumette, ou mettre le phosphore et la pâte inflammable chacun à l’une des extrémités d’allumettes : de pareilles allumettes sont moins commodes que les autres.
Pour la fabrication des allumettes phosphoriques, on se sert en France de bois de tremble ou de bouleau séché au four. Les troncs sciés et préparés sont débités en tiges carrées ou cylindriques à l’aide de machines appropriées. Des ouvrières garnissent ensuite avec des tiges d’allumettes les crans de petites planchettes que l’on superpose et que l’on fixe ensemble, de manière à former un cadre contenant de 700 à 800 allumettes : c’est ce qu’on appelle la mise en presse. Le cadre ainsi disposé on plonge les allumettes dans du soufre, puis on les trempe dans la pâte inflammable, à froid si l’on se sert de gomme ou de dextrine, à chaud si l’on emploie la colle forte. Enfin on transporte les cadres dans un séchoir à air chaud, et quand le mastic est sec on dégarnit les presses pour réunir les allumettes en bottes ou les placer dans des boîtes. Plusieurs fabricants ont recours à des machines pour faire la mise en presse.
Un journal anglais donne. quelques renseignements curieux sur la fabrication des allumettes chimiques en Angleterre. Une seule usine de ce pays emploie plus de quatre cents personnes, dont trois cents sont réunies dans les ateliers. Il y a toujours du bois pour une valeur de 200,000 à 250,000 francs. On y consomme par semaine une tonne de soufre, et par année douze tonnes de colle et quatre à cinq tonnes de chlorate de potasse. On ne fait pas moins de 43 millions d’allumettes par semaine dans cette usine, ce qui représente pour l’année un total de 2,236,000,000. À Londres, il y a des scies mécaniques qui travaillent spécialement pour débiter le bois en allumettes ; il en est qui dans une année ne découpent pas moins chacune de 400 grosses pièces de bois. Chaque semaine produit de 12 à 15,000 grosses de boîtes, ce qui indique pour Londres seulement une production annuelle d’environ 5 milliards d’allumettes. Une livre de phosphore suffit pour fabriquer un million d’allumettes allemandes et seulement 600,000 allumettes anglaises. La consommation annuelle de chlorate de potasse, en Angleterre, s’élève à 26 tonnes de 1,015 kilogrammes ; celle du phosphore est de 6 tonnes. En outre de la fabrication indigène, on fait venir des allumettes chimiques de l’étranger. On a calculé que l’importation totale faite dans le royaume uni pouvait être représentée par un chiffre journalier de 200 millions d’allumettes.
C’est en Autriche que cette industrie a pris les plus grands développements. Une usine de Vienne et une usine de Bohême consomment ensemble environ 20 tonnes de phosphore par an, et n’emploient pas moins de 6,000 ouvriers. On peut en déduire que ces deux fabricants produisent annuellement 45 milliards d’allumettes. En 1849 il en était sorti du port de Trieste près de 200 tonnes. La production totale e tout l’empire Autrichien avait été cette année de 2,500 tonnes.
En 1849, il existait à Paris huit fabricants d’allumettes ; en 1860 il y en avait vingt-quatre, dont deux s’occupaient spécialement de la préparation des bois. Avec 722 ouvriers, les fabricants d’allumettes de Paris ont fait en 1860 pour 1,442,550 francs d’affaires, dont 29,500 francs seulement avec l’étranger. « Deux fabricants de primes de bois, dites allumettes en blanc, taillent par jour à la mécanique, dit M. Ambroise Tardieu, l’un huit stères de bois de tremble, l’autre quatre. Une seule maison confectionne par jour 3,840,000 allumettes à frottement. Cette usine consomme annuellement 1,200 kilogrammes de phosphore, et selon M. Payen, c’est à peine la vingtième partie de la production du phosphore en France. On pourrait, d’après cette estimation, admettre que la consommation intérieure et l’exportation emploient par jour 76,800,000 allumettes. »
L’usage des allumettes chimiques exige de grandes précautions. Chaque jour les feuilles publiques enregistrent les malheurs qu’elles occasionnent. La facilité avec laquelle elles s’enflamment produit des incendies, surtout dans les mains des enfants. Leur phosphore fournit un poison dangereux. Aussi les autorités ont cru devoir prendre des mesures contre elles. L’emploi des pâtes phosphorées pour la fabrication des allumettes chimiques occasionne souvent la nécrose des os maxillaires et l’empoisonnement sur les ouvriers qui les préparent. Dans le cas d’empoisonnement par les allumettes chimiques, il faut prendre immédiatement en abondance de l’eau contenant de la magnésie en suspension, pour absorber autant que possible le phosphore, et quelques grains d’émétique, pour rejeter ce qui n’a pas encore été dissous.