Ameublement
- Csse de Bradi.
- Encyclopédie de famille
Ameublement, nom que l’on donne à la réunion des meubles que renferme un appartement. Il faut une suite de pièces composant un appartement complet pour employer le mot ameublement. On se sert encore, avec plus de justesse, du mot ameublement quand il s’agit d’un hôtel ou d’un palais.
Les anciens nous ont laissé peu de renseignements sur leurs ameublements. Dans la Bible, comme dans les poèmes d’Homère, il n’est guère question que de lits, de tables, de coffres, de lampes, de tentures attachées en draperies sur les parois des murailles. Il est vrai que ces meubles sont incrustés d’or, d’ivoire, de pierres précieuses, et que les tentures sont teintes dans la pourpre. Mais il ne faut pas plus se laisser séduire par ce luxe des Orientaux, si poétique et tant vanté, que par celui qu’étaient les grands seigneurs de Pologne et de Russie, dont les maisons sont si incommodes à habiter, et qui à côté d’un salon rempli de marbres et, de bronzes d’Italie occupent une chambre à coucher sans rideaux, et laissent dormir leurs gens à terre. On peut en dire autant de ces magnifiques ameublements des harems de la Turquie et de l’Inde, où les diamants, les perles, les broderies, sont prodigués et se résument en quelques portières, des divans et quelques carreaux ; mais le prix des tapis qui recouvrent les planchers donne un aspect de somptuosité à ces demeures où l’on passe le temps à raconter des fables, à entendre les pendules serînettes de Paris, à s’engraisser de pilau ou à dormir.
Les Chinois nous semblent être le peuple de l’Asie qui a le plus multiplié et le plus diversifié les objets dont se compose un ameublement. Mais en Europe ce sont les Anglais qui l’emportent pour la commodité, la recherche, l’élégance et la magnificence. Les hôtels de Londres, et surtout les châteaux répandus dans les différents comtés de l’Angleterre, sont des musées où les productions des arts et de l’industrie de toutes les parties du monde sont rassemblées, afin que dans les plus petits détails le bien-être que peut comporter la vie matérielle se trouve joint aux satisfactions de l’intelligence ; car les livres précieux ne couvrent pas moins les rayons de la bibliothèque, les cartons de dessin ne chargent pas moins les consoles, que les porcelaines du Japon n’encombrent les vaisselliers. Un ordre extrême a pourvu h cet ameublement et y veille sans relâche. Ce n’est que lorsqu’il lui est impossible d’y atteindre que l’Anglais se refuse ces Sortes de jouissances, dont un des grands inconvénients est de le rendre exigeant malheureux et insupportable lorsqu’il sort de son pays. La France, malgré les immenses progrès qu’elle a faits en ce genre depuis le commencement du siècle, diffère presque autant de l’Angleterre que l’Italie et l’Espagne diffèrent de la France.
Sous le règne de Louis XIV, temps de créations et de perfectionnements, on n’avait imaginé que fort peu de chose pour la commodité et l’agrément des habitations. Mme de Sévigné recommande à sa fille, qui vient de Grignan passer l’hiver à Paris, d’apporter une tapisserie pour tendre la chambre où elle doit loger. À l’exemple du grand roi, on comptait pour rien ce qui n’avait que la commodité pour objet. C’est ainsi que Mme de Maintenon, âgée, malade, souffrant du froid dans sa vaste chambre à Versailles, ne pouvait s’y entourer de paravents, parce que, disait Louis, les paravents dérangeaient la symétrie. Les tapisseries, même celles des Gobelins, passèrent de mode au dix-huitième siècle ; on y substitua les tentures en damas, lampas et autres étoffes fabriquées à Lyon ; les canapés, les fauteuils, les voyeuses, devant être semblables aux tentures, les dames ne travaillèrent plus à leur ameublement, comme elles s’en étaient fait un mérite jusqu’alors. Les métiers à faire le petit et le gros point furent relégués dans les garde-meubles, et on remplaça ces massives machines par un léger métier à broder et par un piano ; car le temps que demandait la façon d’un ameublement de salon commençait à se diviser entre diverses études. La mode la plus raisonnable fut celle de boiser les appartements. Au moyen d’une peinture blanche vernie, de quelques sculptures légèrement dorées et de hautes glaces, on eut des appartements fort élégants, fort gais, qui laissaient au goût le choix de leur ameublement.
Tout fut grec, tout fut romain à la suite de notre révolution de 1789 ; les gens du monde ne décidèrent plus de la mode : ils s’en rapportèrent aux artistes. Ceux-ci, sans considérer que les anciens vivaient très peu chez eux, firent exécuter des ameublements de belles mais de tristes formes : ce goût, que l’on appelait sévère, fût poussé jusqu’à la manie : on aurait volontiers fait souper les Parisiens couchés comme chez Lucullus, et sous des portiques ouverts comme à Milet ou à Corinthe. Le gothique vint plus tard à la mode. Le goût est plus sage aujourd’hui, mais moins pur : car les formes contournées, recoquillées, à la Louis XV, s’éloignent du beau en ameublement comme les tableaux de Boucher s’en éloignent en peinture.
On ne peut guère citer les ameublements dé l’Italie et de l’Espagne, où l’on imite les modes françaises ou anglaises, quand on ne se borne pas aux nattes, aux fauteuils de rotin et au petit nombre de meublés nécessaires dans les climats chauds. On pourrait citer l’Allemagne comme un modèle d’économie en fait d’ameublements : il suffit de voir les appartements des archiduchesses à Vienne pour concevoir l’idée de la simplicité et de l’indifférence de cette cour quand il ne s’agit que de luxe. Au reste, la somptuosité et la recherche dans les ameublements annoncent toujours une vanité et un penchant à la mollesse. Autant le bon goût et une propreté exquise doivent se remarquer dans un ameublement, autant il est ridicule d’y déployer de la magnificence quand on ne peut en justifier l’obligation. Tel, à Paris, après avoir fait décorer à grands frais un appartement, en avoir fait admirer l’ameublement à ses amis, a été, le soir même où il devait l’occuper, coucher dans une prison pour dettes.
Comme on donne le nom d’ameublement à tout ce que renferme une maison, depuis la batterie de cuisine jusqu’aux sofas, lustres, torchères et décorations de cheminées, on peut appliquer à l’ameublement ce précepte, trop souvent oublié, de la méthode lancasterienne ; que chaque chose ait une place, et que chaque chose soit à sa place.