Il sert de Bucéphale à la beauté peureuse.
L’âne vit presque de rien, et il sert tout le jour. Le paysan qui a sa vache et son âne se trouve ainsi placé entre sa nourrice et sa monture. Il porte l’engrais de son étable et la litière qu’il à fécondée sur le champ du pauvre homme ; il en rapporte les récoltes diverses dans ses granges ; il va et vient sans cesse, porte le grain au moulin, les fruits au marché, le bois à la maison, ainsi que les glanées durant la moisson, les paquets de foin durant la fenaison, le chaume des jachères, les joncs des marais et les mauvaises herbes qui croissent le long des chemins. Soit que vous lui mettiez la selle, le bât, les crochets, les hottes, les paniers, les échelles, il ne se refuse à rien, si ce n’est au mors, contre lequel il a une grande répugnance. Lorsqu’il est en route, il ne vous demande d’autre grâce que celle de le laisser brouter chemin faisant quelques sommités de chardons, quelques boutures de saule, quelques bourgeons d’orme ou de peuplier, ou bien de boire une gorgée dans l’eau trouble qu’il fait jaillir sous ses pieds ; et si vous lui permettez de se rouler un instant sur le gazon, vous aurez contribué au premier de ses plaisirs, à la plus suave des voluptés qui lui soit permise dans ce bas monde. Voilà comme il passe son temps à la campagne. Mais à la ville d’autres devoirs l’appellent. Toute l’année vous voyez de grand matin le pavé de Paris couvert d’ânesses, pharmaciennes agrégées, qui vont frapper à la porte de tous les malades. Elles permettent à la chèvre de se mêler avec elles, et il est aujourd’hui bien établi que les docteurs de la Faculté, tout fourrés qu’ils sont d’hermine, ont moins de succès que ces nouveaux officiers de santé, revêtus de peau d’âne ou de chèvre.
Le lait d’ânesse n’est en réputation en France que depuis François Ier. Ce monarque se trouvait très faible, très incommodé ; les médecins n’avaient pu le rétablir. On parla au roi d’un juif de Constantinople qui avait la réputation d’être très habile médecin. François Ier ordonna à son ambassadeur en Turquie de le faire venir à Paris, quoi qu’il dût lui en coûter. Le docteur israëlite arriva, et n’ordonna pour tout remède que du lait d’ânesse. Ce remède doux réussit très bien, et les courtisans des deux sexes s’empressèrent de suivre ce régime. Un malade guéri par l’usage de cette nourriture crut devoir exprimer sa reconnaissance par le quatrain suivant :
Par sa bonté, par sa substance,
D’une ânesse le lait m’a rendu la santé,
Et je dois plus, en cette circonstance,
Aux ânes qu’à la Faculté.