Ancre

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Ancre. La fabrication des ancres présente une des plus belles applications du travail du fer. On se figure, en effet, les difficultés qu’il a fallu surmonter pour parvenir à forger et à manœuvrer des masses métalliques brûlantes qui ont cinq ou six mètres de long, et qui pèsent jusqu’à 4,000 kilogrammes.

Par la nature de leur emploi, les ancres doivent jouir de la plus grande ténacité ; ainsi le fer est le seul métal qui puisse entrer dans leur composition : les antres métaux sont trop sujets à se rompre ou à se déformer. Le fer fondu même ne leur convient pas ; il est trop cassant, et quoiqu’il eût été bien commode de couler les ancres comme les pièces d’artillerie, on a dû renoncer à cette idée.

C’est donc seulement sous le marteau de la forge que l’on peut façonner les ancres. On fabrique séparément les diverses parties qui les composent, pour les souder ensuite successivement les unes aux autres : ces parties sont la tige ou verge, les bras, les pattes et l’organeau.

On connaît trois méthodes pour fabriquer les ancres : la première est la plus simple et la plus économique, mais aussi elle est la plus défectueuse. Elle consiste à employer des loupes ; c’est-à-dire des morceaux de fer de trois décimètres de grosseur, tels qu’on les obtient immédiatement de l’affinage de la fonte dans les hauts fourneaux. Plusieurs de ces loupes, soudées ensemble sous le gros marteau, et façonnées convenablement, forment une ancre. Cette méthode, qu’on pratiqua d’abord, fut condamnée par l’expérience : il faut que le fer des ancres soit doux et liant ; le fer de loupe, n’étant pas assez forgé et purifié, casse comme de la fonte, et les ancres faites de cette manière font courir trop de dangers aux vaisseaux.

On s’approche davantage du but en y substituant la fabrication par mises : cette méthode consiste à forger préalablement des morceaux de fer carrés ou méplats, qu’on façonne en biseau par les bouts, et qu’on soude ensuite, les uns sur les autres successivement, de manière qu’on finit, par cette superposition de pièces, par former une ancre de la grosseur et de la forme convenable. Mais on s’est aperçu que le fer de mise n’était pas encore assez liant, et que d’ailleurs les soudures multipliées que cette méthode exigeait laissaient trop d’incertitude sur leur effet.

Dans l’intervalle, l’Académie des sciences de Paris proposa pour sujet de prix les trois questions suivantes :

l° Quelle est la meilleure forme à donner aux ancres des vaisseaux ?

2° Quelle est la meilleure méthode de les fabriquer ?

3° Quelle est la meilleure manière de les éprouver ?

La première de ces questions fut pleinement résolue par Jean Bernouilli, et la seconde par M. Trésaguet. Ce dernier fut appelé par M. de Pontchartrain, ministre de la marine, pour veiller à la fabrique des ancres dans les forges royales. C’est alors qu’il mit à exécution, avec un plein succès, les procédés qu’il conseille dans le mémoire couronné par l’Académie, et qui consistaient à former chacune des pièces qui composent une ancre d’un certain nombre de barres de fer soudées ensemble, et toutes à la fois au martinet. Le paquet de barres, bien liées et maintenues ensemble par des liens de fer très serrés, est porté, à l’aide de grues tournantes, au foyer d’une forge, chauffée avec de la houille. On souffle d’abord modérément, ensuite plus fort et continuellement, jusqu’à ce que les barres, même celles du centre, soient suffisamment chaudes pour souder. On place alors le paquet sur l’enclume et sous le martinet, qui, en quelques coups, soude toute la partie chauffée. On continue les mêmes opérations sur toute la longueur du paquet, en chauffant et soudant successivement toutes les parties d’un bout à l’autre, ou en allant du centre vers les bouts.

Chacune des pièces qui composent une ancre étant travaillée de cette manière, on les soude l’un à l’autre dans de grandes forges disposées à cet effet. On soutient ces lourdes masses avec des grues mobiles ; et des ouvriers, armés de ringards ou de grosses et longues mains de fer, les dirigent de la forge vers l’enclume ou réciproquement, et les font manœuvrer sous les coups multipliés du martinet.

Tel est le mode de fabrication que l’expérience a fait reconnaître comme excellent et le meilleur qu’on pût pratiquer. Nous nous bornerons à cet exposé sommaire, renvoyant ceux qui voudraient prendre une idée plus complète de la fabrication des ancres au mémoire de Réaumur, revu et publié par Duhamel-Dumonceau ; à celui de M. Trésaguet, inséré dans la collection de l’Académie ; et à la description des ancres perfectionnées par M. Brunton, dans le Repertory of arts and manufactures, 2e série, tome XXVII.

Avant de se servir des ancres, il est prudent de les essayer. On élève, à cet effet, l’ancre à une grande hauteur, et on la laisse tomber de tout son poids sur de vieux canons ou de la grosse ferraille placée au-dessous. Si elle résiste à cette rude épreuve, elle est jugée bonne : mais ce moyen d’essai est infidèle ; une ancre défectueuse dans une partie peut y résister, si l’effort porte sur les autres endroits plus solides ; comme aussi une bonne ancre peut y périr, si toute la force du coup se réunit en un seul point : d’ailleurs ce n’est pas par percussion, mais par secousse qu’un vaisseau agit contre son ancre : c’est donc par un moyen analogue qu’il convient d’en éprouver la résistance. On fait mordre les bras de l’ancre contre un obstacle invincible, et on tire dessus avec un cabestan jusqu’à ce que le câble casse ; ou avec une presse hydraulique jusqu’à ce qu’elle marque un degré déterminé de traction. Si l’ancre résiste, on peut s’en servir en toute sûreté.