Abyssinie

  • Encyclopédie de famille

Abyssinie. C’est, dans le sens le plus large, le territoire du grand plateau oriental de l’Afrique centrale, lequel est borné à l’est par les côtes sablonneuses de la Samhara, sur la mer Rouge, et par le pays (d’Adel, sur le golfe d’Aden, mais qui au sud est demeuré en partie encore à peu près inconnu. Le point le plus haut s’élève jusqu’à 3,700 mètres. C’est en Abyssinie que le Nil prend sa source. Le grand plateau renferme divers lacs dont le plus considérable est le lac de Tzana, que traverse le Nil Bleu. Dans la région des montagnes le climat est sain et tempéré ; sur les côtes sablonneuses de l’est, et dans les marécages du nord et du nord-ouest, où la chaleur est étouffante, il est malsain. La grande masse de la population se compose d’Abyssins, descendants des anciens Éthiopiens qui peuplèrent l’Égypte en passant par Méroe et en descendant le Nil. Quoique ce soit là une antique race aborigène, les Abyssins n’appartiennent cependant pas à la race nègre. Si en effet ils présentent toutes les variétés et toutes les nuances de la couleur brune, leurs longs cheveux, le type de leur visage, qui se rapproche beaucoup de celui de l’Arabe, leur belle conformation physique et leur langue, qui offre beaucoup d’analogie avec les langues sémitiques, prouvent qu’ils appartiennent à la race caucasienne, et spécialement à la famille sémitique, formant le point de transition à la race nègre d’Afrique.

Les productions du sol de l’Abyssinie sont variées et abondantes. On y récolte du froment, de l’orge, du millet et surtout une espèce de céréale, nommée teff par les habitants, dont elle est la nourriture principale. Toutes les céréales donnent au moins deux récoltes par an. Parmi les produits végétaux de l’Abyssinie on cite le coton, l’arbre à myrrhe, le figuier, le citronnier, l’oranger et la canne à sucre ; dans quelques parties on trouve le dattier et la vigne ; le papyrus croît dans les lacs et rivières. La tige d’une espèce de palmier, nommé ensété, fournit la nourriture végétale la plus estimée des habitants. Les animaux domestiques sont le cheval, le mulet, l’âne et le bœuf, élevés en grand nombre. Parmi les grandes espèces d’animaux sauvages, l’éléphant, le rhinocéros, l’antilope, le buffle, la hyène, l’hippopotame et le crocodile sont les plus repandues ; dans certaines parties on rencontre le lion et le léopard. Les abeilles fournissent un produit très important au commerce et à la consommation. Le produit minéral le plus remarquable est le sel, que l’on exploite au sud-est du Tigré.

Les Abyssins apparaissent pour la première fois dans l’histoire à propos de l’empire d’Axum. Le christianisme fut introduit chez eux vers le milieu du quatrième siècle, et il se répandit bientôt dans toute l’Abyssinie. Sous la domination des Axumites, l’empire d’Abyssinie atteignit l’apogée de sa grandeur et de sa prospérité, auxquelles les progrès toujours croissants de l’islamisme ne tardèrent pas à mettre un terme. Dès lors commencèrent entre les Abyssins et l’islamisme des luttes qui durent encore aujourd’hui, et qui eurent pour résultat de réduire de plus en plus le territoire de l’Abyssinie. À partir du seizième siècle, commencèrent les irruptions des Gallas, peuple sauvage originaire des contrées du sud et offrant beaucoup de ressemblance avec la race nègre, qui arracha à cet empire un lambeau de territoire après l’autre, y commit les plus horribles dévastations et le précipita ainsi dans une barbarie qui ne cessa de s’accroître. Au moyen âge, les souverains abyssins, qui portaient le titre de négus, avaient constamment entretenu, depuis l’époque des Croisades, quelques rapports avec l’Europe, et à partir de la fin du quinzième siècle ils eurent des relations plus directes surtout avec le Portugal. La cour de Rome conçut le projet de convertir les Abyssins au catholicisme. L’activité combinée des Portugais et des jésuites réussit, dans la seconde moitié du seizième siècle, à exercer en Abyssinie une influence notable, et qui s’explique par les services que les Portugais rendirent aux souverains d’Abyssinie dans leurs guerres contre les mahométans et les Gallas. En 1603 la famille royale tout entière embrassa le catholicisme, et l’antique Église chrétienne d’Abyssinie s’unit à l’Église de Rome, dont elle reconnut la suprématie ; mais le peuple persista à demeurer fidèle à son ancienne liturgie, et le calme ne se rétablit dans le pays que lorsque le roi Socinius eut abjuré les dogmes de l’Église de Rome et expulsé de ses États ou fait périr, en 1632, les prêtres Catholiques. Depuis lors la cour de Rome chercha toujours à recouvrer son ancienne influence en Abyssinie, et ses efforts ont redoublé dans ces derniers temps, lorsqu’elle vit des missionnaires allemands et anglais chercher à gagner les Abyssins au protestantisme.

À la suite des dévastations commises par les Gallas et de l’anarchie complète dans laquelle les discordes religieuses ont jeté le pays, le roi ou négus ne conserva plus que l’ombre de la puissance, tandis que les ras ou gouverneurs de provinces se rendirent en fait souverains indépendants, chacun dans son gouvernement. Il en résulte que l’Abyssinie forme aujourd’hui trois États principaux, indépendants l’un de l’autre : celui de Tigré, qui comprend la partie nord-est du plateau, entre le Tacazzé et le mont Simen d’un côté, et la Samhara de l’autre, avec les villes d’Adoa et d’Antalo ; celui de Gondar ou d’Amhara, qui comprend le territoire situé à l’ouest du Tacazzé et du mont Simen, avec Gondar pour capitale ; enfin celui de Choa et d’Efât, situé au sud des deux autres, avec Ankober pour capitale. On compte en outre plusieurs petits princes abyssins à peu près indépendants. Les peuplades Gallas ont pénétré, sous les ordres de chefs particuliers, jusqu’au cœur de l’Abyssinie et soumis plusieurs provinces. Elles dominent surtout au sud du plateau, et entourent presque complètement le royaume de Choa et d’Efât. Quelques-unes sont devenues fixes et sédentaires, et ont embrassé le christianisme. D’autres ont conservé leur barbarie et leur férocité primitives.

Le plateau de l’Abyssinie est encore habité, dans la province de Simen, par des Juifs Falachas, lesquels descendent vraisemblablement de Juifs qui, après la destruction de Jérusalem par Titus, abandonnèrent leur patrie pour venir s’établir dans ces contrées, ainsi que par des peuplades nègres qui, sous le nom de Changallas, forment la population de la partie occidentale de la région des montagnes, du Bar-el-Bertât et du Fassokl, de même que des terres basses et marécageuses du nord. La côte de Samhara est habitée par les peuplades nomades des Danakil, qui professent l’islamisme et habitent, comme la plupart des Changallas, des cavernes. Ceux d’entre eux qui vivent au nord de Samhara sont gouvernés par un naïb reconnaissant la suzeraineté de la Porte et qui a pour résidence Artiko, port de mer situe en face de l’île de Massoua, appartenant au pacha d’Égypte. La contrée de Kaffa forme l’extrémité méridionale du plateau de l’Abyssinie. Ses habitants ont réussi à conserver leur indépendance.

Entre l’Égypte et l’Abyssinie se trouve une grande forêt, qui n’est guère habitée que par des bêtes féroces et notamment par des lions et des éléphants. Les Abyssins viennent y chercher l’ivoire qu’ils doivent fournir à leur négus. Debra-Tabor est la résidence actuelle de l’empereur d’Abyssinie. M. G. Lejean évalue la population de ce pays à 4 millions d’habitants. « Les Abyssins ne descendent pas, dit-il, dans les terres basses ; aussi ne font-ils pas de guerres au delà de leur pays, et sont-ils à l’abri des invasions étrangères : leur plateau ne saurait être attaqué que par un certain nombre de routes où l’on ne peut défiler qu’homme par homme. En outre, ils sont très braves. C’est ce qui explique pourquoi ce royaume chrétien n’a jamais été conquis. » Selon le même voyageur, la monarchie abyssine n’est pas précisément absolue, mais elle est très centralisée. Elle a la prétention de descendre de Salomon et de la reine de Saba. L’empire Abyssin, il y a trois ou quatre siècles, se divisait en quarante-quatre provinces, qui s’intitulaient des royaumes ; beaucoup en effet avaient été des royaumes, qui furent conquis peu à peu. La royauté s’appuyait sur une noblesse héréditaire et pourtant révocable. Les négus concentrèrent le pouvoir entre leurs mains ; devenus tout-puissants, ils tombèrent dans la mollesse, vécurent en dehors de leurs armées et devinrent de vrais rois fainéants. Pendant ce temps, les nobles déchirèrent le pays par les guerres intestines, se disputant le titre de ras, ou connétable, qui conférait un pouvoir d’autant plus vaste que le négus n’exerçait pas le sien. Le dernier des ras légitimes, Ali, était un homme bon et indolent. À la fin de 1852, un jeune officier abyssin, nommé Kassar, et surnommé Kuaranya, homme de grande noblesse mais de peu de fortune, s’imagina de relever le trône d’Abyssinie. La reine douairière de Gondar, qui l’avait distingué, lui avait donné le commandement de ses gardes. Un jour il se prend de querelle avec elle, et la contraint à lui livrer Gondar. Au bout de quatre ou cinq ans il avait battu tous ses voisins, et chassé le ras Ali. Il ne lui restait plus qu’à soumettre le gouverneur du Tigré, Oubié. Il le battit, le 5 février 1855, sous les murs de Debr-Eski. La veille il s’était fait couronner roi des rois d’Abyssinie sous le nom de Théodore II, substituant sa race à celle de l’empereur légitime, enfermé dans le château de Gondar. Le nouveau négus réforma l’État, supprima les corps francs, soumit la noblesse, s’attribua les fonctions suprêmes de la justice, et réclama pour l’État les biens du clergé, qu’il dota de rentes suffisantes. Théodore avait fait arrêter beaucoup de nobles ; des révoltes partielles éclatèrent de temps à autre malgré la sévérité de la répression. En 1858 et 1859, un neveu d’Oubié, le négusié Niklas, reconquit quarante provinces du Tigré. Il envoya alors une ambassade à Paris ; mais à son retour le prince qui en était le chef fit naufrage le long de la mer Rouge et périt de faim, de soif et de fatigue dans le désert qu’il était parvenu à atteindre. Un parent du ras Ali parvint aussi à reprendre quelques provinces ; et Sahlé-Sanlassi, ras de Choa, recouvra son indépendance. M. Lejean, consul français à Massoua, se rendit en 1862 auprès de Théodore II pour conclure avec lui un traité de commerce. Le négus le reçut d’abord très bien et l’emmena dans une expédition contre ses sujets révoltés de Godjam ; mais le succès se fit attendre. L’agent français voulut partir. Théodore le fit arrêter, enchaîner et garder à vue. En 1863 le négus remporta une victoire sur les insurgés do Godjam. Il fit massacrer un grand nombre de prisonniers, mit le consul anglais de Massoua en état d’arrestation, tandis qu’il rendait la liberté au consul français. En 1867, l’Angleterre s’est décidée à faire une expédition pour obtenir la délivrer les prisonniers.