Abyssinie
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Abyssinie. L’origine des peuples qui habitent l’Abyssinie est obscure et contestée. Une tradition leur donne pour père Cush, petit-fils de Noé. Plus tard, les Éthiopiens, dont l’empire établi à Méroë se perd dans la nuit des temps, les Égyptiens, les Juifs, les Arabes vinrent se mêler à cette population primitive, et de là le nom de Habesch, ou peuple mélangé, donné par les nations orientales aux habitants de l’Abyssinie.
C’était sous Psammitichus que les Égyptiens, au nombre de deux cent quarante mille, avaient remonté la vallée du Nil, et étaient allés se fixer chez les Éthiopiens. Depuis cette migration, cette partie de l’Éthiopie n’est plus mentionnée dans l’histoire qu’au moment où Cambyse, vainqueur de l’Égypte, forma le projet de joindre à ses conquêtes la contrée dont nous nous occupons. Des envoyés allèrent de sa part trouver le roi des Éthiopiens Macrobiens. Mais celui-ci vit les espions cachés sous les ambassadeurs, et les renvoya porteurs d’un arc gigantesque qu’il adressait au roi de Perse, en lui conseillant d’attendre, pour faire la guerre aux Éthiopiens, que ses soldats pussent facilement se servir d’une pareille arme. Cambyse réunit aussitôt ses troupes, et sans vivres, sans eau, sans plan arrêté, il se mit en marche à travers le désert qui s’étend au midi et à l’occident de la vallée du Nil. Mais la faim et la soif décimèrent bientôt son armée ; le vent souleva ensuite les flots de cette mer de sables ; enfin, Cambyse revint à Thèbes presque seul, conquérant sans armée, et vaincu sans combat.
Le mauvais succès des armes de Cambyse découragea sans doute l’ambition et la convoitise des conquérants qui vinrent après lui ; car plusieurs siècles s’écoulèrent depuis cette malheureuse expédition, pendant lesquels l’Éthiopie resta dans l’obscurité. Cependant des inscriptions recueillies à Axum par le voyageur grec Cosmas Indicopleustès, prouvent que Ptolémée Évergète, roi d’Égypte, avait pénétré au cœur de l’Éthiopie, et enlevé aux Éthiopiens le monopole du commerce de la mer Rouge, que ceux-ci partageaient avec les Arabes. C’était à eux que Tyr et Sidon devaient leurs précieuses marchandises, et l’antiquité de leurs relations avec la Phénicie est assez prouvée par le voyage de la reine de Saba, qui alla visiter Salomon, auquel elle porta de riches présents, et dont elle eut un fils, du nom de Ménilek. Ce prince, selon les annales abyssiniennes, fonda la dynastie des monarques abyssins. Une ancienne chronique, intitulée : Tarykh Negouchetou (Histoire des Négus), et conservée dans l’église d’Axum, nous fait connaître une longue suite d’empereurs ou plutôt de dynasties, en partie fabuleuses, et qui régnèrent chacune plusieurs siècles. Mais là se bornent les renseignements historiques contenus dans ces annales. Ce sont les historiens grecs qui nous apprennent qu’après la chute des Ptolémées, les Axumites échappèrent au romain Gallus, envoyé contre eux par le peuple roi, comme ils avaient échappé à la formidable attaque de Cambyse, grâce à leurs déserts. Délivrés de ce danger, ils sortirent à leur tour de leur pays, et étendirent au loin leur puissance. En même temps un autre changement se préparait pour eux. La religion du Christ se répandait par le monde avec les apôtres, germait de toutes parts, arrosée par le sang des martyrs, et enfin, Constantin aidant, étendait sur l’univers romain ses branches vivaces et puissantes. Le christianisme fut importé en Abyssinie vers l’an 333, par Frumence, voyageur naufragé sur les côtes de la mer Rouge. Frumence se concilia la faveur du roi, fut nommé gouverneur de son fils, convertit ce jeune prince, ainsi que son frère, et, pour mieux accomplir sa mission commencée, alla recevoir à Alexandrie, du patriarche Athanase, les pouvoirs et le titre de premier évêque abyssin (330)[1].
Les Abyssins une fois convertis à l’Évangile, deux siècles s’écoulent encore pendant lesquels l’histoire n’en fait plus mention, et cependant ; à cette époque, ils étaient forts et puissants, souverains de l’Yémen, ou Homéritide, et seuls maîtres de la mer Rouge. Justinien comprit enfin que leur alliance était importante, aussi le voyons-nous demander au roi El-Esboar (l’Hellestœus de Procope) le secours des Arabes, ses tributaires, contre les Persans, en même temps qu’il l’engageait à entreprendre, au profit de l’empire d’Orient, le commerce de la soie.
Pendant que l’empereur formait ainsi une alliance avec les Abyssins, l’impératrice Théodora, sectatrice zélée de l’hérésiarque Eutychès, voulut convertir à sa croyance ces chrétiens simples et naïfs, et leur envoya des missionnaires qui n’eurent pas de peine à les persuader. Depuis lors les Abyssins sont restés fidèlement attachés à l’église eutychienne ou monophysite.
Justinien réussit moins bien ; les Homérites refusèrent de guerroyer contre les Persans, et avec raison ; car soixante ou quatre-vingts ans plus tard, les Abyssins, moins prudents, se virent enlever par la Perse leurs possessions en Arabie. Il est cependant manifeste qu’ils s’en rendirent de nouveau les maîtres ; car, à l’époque où Mahomet allait prêcher sa religion dans l’Orient, les Abyssins soutinrent contre les Arabes une guerre dont Caaba fut la cause, la Mecque le théâtre, et qu’une tradition arabe a nommée la guerre de l’Éléphant. Les Abyssins, vaincus, furent obligés de se retirer chez eux, et ne durent qu’à leurs montagnes d’échapper au joug de Mahomet. La partie orientale de leur pays fut cependant occupée par les Arabes, qui y fondèrent le royaume de Zeïla.
Au dixième siècle, Judith, princesse qui commandait aux Juifs du Samen, profitant de la mort du roi régnant, s’empara du trône d’Abyssinie, que ses successeurs occupèrent pendant trois siècles. Durant tout ce temps la province de Schoa fut l’unique empire des descendais de Ménileck. Les annales abyssiniennes ne donnent aucun détail sur le règne des onze usurpateurs qui occupèrent successivement le trône ; elles n’exceptent que Lalibala, qui vécut à la fin du douzième siècle, et fit exécuter de grands travaux d’architecture. Vers 1255, son petit-fils, d’après les conseils du moine Tekla-Haïmanout, son précepteur, renonça à la couronne en faveur d’Icon-Amlac, descendant des anciens souverains. Celui-ci transféra sa résidence d’Axum à Tagulet, et commença contre les Islamites de Zeïla une guerre interminable. Son neveu Amda-Sion les vainquit à trois reprises. Seïf-Arad, frère de celui-ci, monté sur le trône en 1331, les combattit comme lui, et ne put mettre fin aux incursions de l’émir Hakk-Ed-din, qui les continua sous le règne de David et, jusqu’à sa mort, ne laissa pas aux Amharites un instant de repos.
Isaac et Andras, puis trois autres souverains eurent à combattre des ennemis non moins redoutables. Zara-Jacob se fit remarquer par son zèle pour la religion, et envoya deux ambassadeurs au concile de Florence (1438). Ce fut là le premier événement qui porta dans nos contrées le nom de l’empereur d’Éthiopie, qu’on appelait alors le Prêtre-Jean. Jean, roi de Portugal, lui envoya alors des ambassadeurs ; Covilham débarqua sur la côte d’Éthiopie en 1490, à la fin du règne d’Iscander ou Secander. À celui-ci succéda Naod, qui fut en butte aux attaques des Turcs.
La régente Héléna, qui gouvernait pendant la minorité de son petit-fils David, envoya un marchand arménien demander aux Portugais des secours contre les Musulmans, et les Portugais lui envoyèrent à leur tour une ambassade ; quant aux secours demandés, ils n’arrivèrent que douze ans après, sous le règne de Claudius, qui fut délivré par eux des attaques de Mohammed le Gaucher. À ces guerres succédèrent les troubles excités par les missionnaires européens. L’un d’eux, Paëz, plein d’adresse et de talent, parvint à s’emparer de toute la confiance de Za-Denghel et de son successeur Socinios, et le zèle de ces deux rois pour le catholicisme excita de terribles révoltes. Socinios abjura publiquement la religion grecque, prêta serinent d’obéissance au pape, persécuta ses sujets, et enfin, menacé par leurs révoltes, vaincu par les Gallas, il fut obligé d’abdiquer en faveur de son fils Facilidas (1632).
Celui-ci, à peine monté sur le trône, s’occupa de pacifier ses États, et l’un des premiers moyens qu’il employa fut d’ordonner à tous les missionnaires de quitter l’Abyssinie. Il voulut même, pour échapper à l’influence catholique, qui avait de profondes racines dans l’ancienne cour, se créer une résidence nouvelle, et c’est à lui qu’est due la fondation de Gondar, devenue la moderne capitale de l’empire.
Depuis lors l’Abyssinie fut comme fermée pour Jes Européens ; ceux qui réussirent à y pénétrer ne le purent faire qu’en bravant les plus grandi périls. En vain Rome y envoya des missionnaires chargés de reconquérir la suprématie qu’elle avait un moment possédée ; toutes ces entreprises échouèrent. En vain Louis XIV, profitant du séjour qu’avait fait en Abyssinie le médecin Poncet, chargé de guérir Yasous, le fil suivre d’une ambassade (1698) ; l’ambassadeur et sa suite périrent à Sennaar.
En 1750, sous le règne de Yasous II, trois religieux franciscains parvinrent jusqu’à Gondar : le peuple, révolté, exigea leur renvoi. Yasous avait pris pour femme la fille d’un chef des Gallas, que les Abyssins regardent comme étantd une race inférieure à la leur. Il en eut un fils, Joas, qui appela aux plus hautes fonctions de l’État les parents de sa mère. La répugnance des familles nobles à leur obéir fit naître les divisions qui amenèrent dans ce malheureux pays toutes les fureurs des guerres civiles. Joas avait accordé sa confiance au ras Michaël, gouverneur du Tigré. Celui-ci le fit assassiner, et lui donna pour successeurs un vieillard, dont il se défit de la même manière, puis un enfant, nommé Técla-Haimanout, sous le règne duquel il fut dépossédé par les chefs gallas, qui le forcèrent à se retirer dans son gouvernement, et s’emparèrent de la personne de l’empereur.
Plus tard, vers 1810, un autre gouverneur du Tigré, le ras Welled Selassé, vainquit les Gallas, plaça sur le trône, de concert avec Gouxo, gouverneur du Godjam, un simulacre d’empereur, replongea l’Abyssinie, par sa rupture avec Gouxo, dans les horreurs de la guerre civile, et mourut en 1816. Sa succession fut disputée les armes à la main, et échut au vainqueur, Sabagadis, dont nous retrouvons le nom dans les récits de l’un des derniers voyageurs en Abyssinie, M. Samuel Gobat, du canton de Berne, envoyé par la Société épiscopale d’Angleterre pour prêcher l’Évangile en Éthiopie. Ces récits nous montrent l’Abyssinie comme divisée, sous le rapport politique. en trois États principaux : le Schoa, l’Amhara,et le Tigré. L’empereur, qui régnait sans gouverner à Gondar, se nommait en 1830 Guidgar, et était monté sur le trône à la mort de son frère Joas. Le Schoa obéissait à Sehla Sélassé ; Marié, fils de Gouxo, était gouverneur de l’Amhara, et le Tigré avait pour chef Sabagadis. En 1831, Sabagadis fut pris et décapité par les Gallas, dans une bataille où périt Marié, et le pays fut de nouveau livré à une anarchie complète. Ali Marié, petit-fils de Gouxo, détrôna Guidgar et le remplaça par Joas. Celui-ci, un an après, fut obligé de céder le trône à Guebra-Christos, auquel succéda bientôt encore un autre souverain, dont M. Gobat, lors de son départ, ignorait même le nom.