Albigeois

  • Encyclopédie de famille

Albigeois. Au commencement du treizième siècle l’esprit d’innovation qui s’était révélé dans le siècle précédent à Lyon et aux environs par les doctrines des Vaudois, se répandit dans la Provence et le Languedoc. Allant beaucoup plus loin que les premiers vaudois, les nouveaux sectaires enseignaient que la loi du Christ avait été abolie par celle du Saint-Esprit ; que le Christ né à Bethléem et crucifie était un être mauvais ; que le bon Christ n’a pas été incarné, et qu’il n’est venu sur la terre qu’en esprit dans le corps de l’apôtre saint Paul. Connus d’abord sous le nom d’hérétiques de la Provence, ces religionnaires le furent plus tard sous celui d’albigeois, non parce qu’Albi a été leur principal siège, car ils étaient plus nombreux à Toulouse, à Carcassonne et à Narbonne, mais parce que les premiers soldats de la Croix qui les combattirent furent envoyés contre Raymond-Roger, vicomte d’Albi et de Béziers.

Les idées nouvelles firent d’autant plus de progrès dans ces contrées que le clergé y méritait plus la critique. Le pape Alexandre III autorisa, l’an 1779, la croisade contre les sectaires de la Provence. L’an 1181, son légat, Henri, abbé de Clairvaux, puis cardinal-évêque d’Albano, prit d’assaut Lavaur, à la tète d’une nombreuse armée, et obligea Roger II, vicomte de Béziers, à abjurer les nouvelles doctrines. Seize ans après, Innocent III dut envoyer de nouveaux légats. Leur faste, encore plus que leur cruauté, souleva tous les esprits, tandis qu’un pieux prélat espagnol, Diego de Azebez, évêque d’Osma, qui voyageait alors en France avec Dominique Gusman, sous-prieur de sa cathédrale, parcourut le pays sans faste, disputant avec les sectaires, et obtint souvent des succès. Pierre de Castelnau, l’un des légats du piape, passa bientôt à des mesures d’une violence inouïe : il excita secrètement une ligue de quelques seigneurs voisins contre Raymond VI, comte de Toulouse, qui refusait de prendre l’épée pour convertir ses sujets, moins peut-être parce qu’il partageait leurs idées religieuses que par esprit de tolérance. Castelnau lança contre lui l’excommunication. Innocent III ne réforma point cette sentence et adressa des lettres à tous les princes de la chrétienté pour les inviter à se croiser contre Raymond. Bientôt Pierre de Castelnau fut assassiné par un gentilhomme de Beaucaire qu’il avait offensé. Le soupçon d’avoir commandé ce meurtre tomba sur le comte de Toulouse. Innocent III fulmina contre lui de nouveaux anathèmes, et délia ses sujets du serment de fidélité. Ce fut dans toute la France à oui se croiserait contre les Provençaux. Innocent, tout entier à cette œuvre prodiguait à ces nouveaux soldats de l’Église des indulgences plus étendues que celles que ses prédécesseurs avaient accordées aux croisés qui avaient travaillé à la délivrance de la Terre-Sainte. Les moines de Cîteaux se distinguaient par leur zèle à prêcher cette guerre, alors sacrée ; ils promettaient, au nom du pape, de saint Pierre et de saint Paul, rémission entière de toutes les peines’ temporelles, depuis la naissance jusqu’à la mort à tous ceux qui périraient dans cette expédition. En même temps une congrégation nouvelle, autorisée par Innocent III, et à la tête de laquelle il mit Dominique Gusman, jetait les fondements du tribunal de l’inquisition.

Au printemps de l’an 1209 trois cent mille croisés selon les uns, cinq cent mille selon les autres, et, selon l’abbé de Vaux-Cernay, cinquante mille seulement, allèrent fondre sur le Languedoc. Le comte de Toulouse espéra conjurer l’orage par une prompte soumission. Innocent III feignit de s’adoucir et accueillit ses envoyés. Le comte Raymond dut se laisser humblement flageller de la main du légat dans l’église Saint-Gilles, et promit de se croiser contre ses propres sujets, contre son neveu, le vaillant Raymond-Roger, vicomte d’Albi et de Béziers. On eût dit que tous les peuples de la langue de France s’étaient ébranlés pour aller dénationaliser la Provence. Bourguignons, Nivernais, Picards, Normands, marchaient à la suite de leurs ducs, de leurs comtes, de leurs évêques. Le nom de tous ces chefs s’efface devant celui de Simon de Montfort. Nul ne fit la guerre avec plus de férocité : à l’incendie de Béziers, au dire d’un de ses biographes, « il fit passer par le fer et par le feu tout ce qui s’y rencontra, pour donner de la terreur aux autres et les obliger à se soumettre à la force, puisque la douceur n’avait fait que les irriter davantage. » Dans ce massacre il ne périt pas moins de trente-cinq à quarante mille individus, tant catholiques que sectaires. Des contemporains comptent jusqu’à soixante mille victimes.. Tuez-les tous, tel est le mot que l’on prête dans le conseil de guerre à Arnaud Amalric, légat du pape, le Seigneur connaîtra bien ceux qui sont à lui. Il y eut sept mille cadavres dans une seule église.

Attaqué dans Carcassonne, le vicomte Raymond-Roger, après avoir deux fois repoussé les croises, ose attendre de Montfort et du légat une capitulation honorable. Il se rend dans leur camp pour négocier. Le légat, peu convaincu de la loyauté de son ennemi et pensant terminer ainsi la guerre, fait arrêter le vicomte, et Montfort devient son geôlier. Après l’occupation de Carcassonne, Montfort et le légat obligèrent les habitants à se rendre à discrétion, la corde au cou. Ils firent ensuite tion, la corde au cou. Ils firent ensuite brûler vifs quatre cents chevaliers ou bourgeois, et pendre cinquante autres. De semblables exécutions avaient lieu partout sur le passage des croisés. Les seigneurs français commençaient à sentir quelque honte de tant de sang versé. Mais le légat et Montfort n’en avaient point assez. Le légat offrit les États de Raymond-Roger à Eudes III, duc de Bourgogne ; celui-ci refusa, et son exemple fut imité par les comtes de Nevers et de Saint-Pol, à qui le légat fit la même proposition. Montfort, après avoir aussi un moment joué l’homme désintéressé, accepta la souveraineté de tous les pays conquis par les croisés, et c’est de ce moment que date l’établissement des Français en Provence (1209). Raymond-Roger était toujours prisonnier dans la tour de Saint-Paul à Carcassonne ; il mourut, et les lettres d’innocent III, qui désapprouva ce crime, donnent à penser que Montfort avait, par quelque moyen violent, hâté la fin de ce malheureux prince.

Le but de la guerre n’était cependant pas atteint : l’Albigeois seul avait été dévaste, dépeuplé, soumis au joug des Français ; mais les idées nouvelles régnaient encore dans le Toulousain, le Querci, les pays de Foix, de Comminges, etc. Chaque année, après le départ des croisés, Montfort et les chevaliers de l’Ile-de-France et de Picardie qu’il avait associés à sa conquête, se voyaient menacés par la haine des populations. Il fallait ou finir par regagner les tristes manoirs du Nord, ou achever de détruire ces populations si fières à défendre leur croyance et leur nationalité. Innocent III montra de l’intérêt à Raymond VI, qui était venu à Rome implorer sa justice et sa clémence ; mais le pontife ne fut pas assez puissant pour arrêter les passions fanatiques excitées au plus haut degré. Il l’envoya le sort de ce malheureux prince à la décision des évêques du pays, qui l’abreuvèrent d’outrages. Raymond finit par où il aurait dû commencer : aux armes il opposa les armes, et parvint, sinon à vaincre Montfort, du moins à l’inquiéter, à l’arrêter quelquefois dans ses conquêtes. Alors commence une suite de campagnes, dans lesquelles on voit ce chef des croisades se couvrir de gloire comme guerrier, mais déshonorer complètement chacun de ses succès par les plus atroces cruautés. Tantôt il faisait mutiler les vaincus de la manière la plus barbare, tantôt il faisait pendre des populations entières, tantôt il faisait précipiter dans les bûchers les hommes et les femmes par milliers.

Les croisés regardaient les hérétiques comme étant hors de la race humaine, et ils agissaient en conséquence. Toute l’Europe partageait le zèle de Montfort et des personnes de sa famille : mie armée de croisés lui fut amenée par sa femme Alix de Montmorency, par sa belle-mère et par son beau-frère, le sire Bouchard de Montmorency et de Marly. Un Léopold, duc d’Autriche ; un Guillaume, comte de Juliers ; un Adolphe, comte de Mons, vinrent se ranger sous la bannière de ce gentilhomme de l’Île-de-France. Plus tard, le fils de Philippe-Auguste prit paît à cette croisade ; et comme la terre albigeoise avait été conquise non par les armes du roi de France, mais par le pape, on ne permit à l’héritier présomptif du royaume de paraître à l’année qu’en simple particulier. Louis ne crut pas faire un sacrifice en se soumettant aux ordres de Montfort.

Un fait encore bien remarquable de cette croisade, c’est de voir ce même Montfort, que depuis six années le saint-siége préconisait comme le chef de l’armée du Seigneur, être à son tour excommunié par le légat du pape ; mais bientôt il rentra en grâce, et Honoré III, successeur d’Innocent III, lui confirma la donation du comté de Toulouse. Simon de Montfort, s’écartant du but d’une guerre religieuse, conduisit l’armée des croisés dans l’Agénois et dans d’autres contrées catholiques dont la conquête était à sa convenance. Le légat du pape, Arnaud Amalric, après s’être fait archevêque de Narbonne, déclara le duché de Narbonne acquis au premier occupant, puis se hâta d’aller dans cette ville cumuler, avec la mitre d’évêque, la couronne ducale. Toulouse, assiégée jusqu’à trois fois par le comte de Montfort, brava la première fois ses efforts ; la seconde fois, elle voulut bien se donner au prince Louis, fils de Philippe-Auguste ; la troisième fois, elle fut l’écueil où se brisa l’existence agitée du nouveau Gédéon. Une pierre lancée par un mangonneau lui emporta la tête. Il laissait un fils, Amaury de Montfort, à qui le pape adjugea les domaines accordés à Simon ; mais il ne put lui transmettre ni le crédit ni le talent de son père. Amaury soutint faiblement la guerre contre les comtes de Toulouse, Raymond VI et Raymond VII, et finit par céder ses prétentions sur le comté de Languedoc au roi de France Louis VIII. On sait quel fut le résultat de la croisade royale de ce prince contre les albigeois. Après avoir, à la tête de deux cent mille hommes, ravagé le Languedoc et assiégé la puissante commune d’Avignon, dont il n’avait reçu aucune offense, il périt frappé de la contagion qui dévorait son armée (1226).

Durant la minorité de saint Louis, la guerre entre les Français du nord et les habitants du Languedoc ne discontinua point. Humbert de Beaujeu, lieutenant du roi de France, et Gui de Montfort, frère de Simon, étaient à la tête des croises. Gui trouva la mort dans un combat. Le vieux Raymond VI avait cessé de vivre, et ses ossements ne trouvèrent point de tombeau. On les voyait, avant la révolution de 1789, dans un coffre, tout profanés et à moitié rongés des rats, dans le coin obscur d’une église de Toulouse. Le jeune Raymond VII se défendit avec assez de persévérance. Cette guerre fut marquée par un nouveau siège de Toulouse. L’évêque, dit-on, amena la reddition de cette ville par le conseil qu’il donna aux assiégeants de l’affamer en détruisant méthodiquement toute la végétation, tous les produits de la terre dans un rayon de plusieurs lieues. Toutefois, le fanatisme commençait à se lasser : d’ailleurs, les villes et les campagnes dépeuplées ne promettaient plus aux gibets et aux bûchers le même nombre de victimes. Désormais dans l’Albigeois on fit une guerre sans éclat ni intérêt. Tout prisonnier était mis à mort, toute place rendue réduite en cendres ; mais cela se faisait sans bruit et comme une chose consacrée par l’usage. Enfin le traité de Meaux vint en 1229 mettre fin à cette odieuse continuité de massacres et de guerres civiles. Le comté de Toulouse et l’Albigeois furent réunis à la couronne ; quelques parties de ses États héréditaires furent laissées à Raymond VII, et le mariage de sa fille Jeanne fut stipulé avec Alphonse de Poitiers, frère du roi de France Louis IX. Dès ce moment, les peuples de la langue de Provence cessèrent de former une nation distincte ; il n’y eut plus aussi de France aragonaise. La couronne capétienne recueillit le fruit des crimes de Montfort ; elle acquit de nouvelles et vastes provinces, mais flétries, mais dévastées, mais dépeuplées. Alors, la langue picarde ou le français wallon se répandit dans les villes du Languedoc. La telle langue romane se perdit avec les antiques libertés du pays, comme se perdit aussi sa civilisation toute romaine.