Albigeois
- Histoire religieuse
- J. H. Schnitzler
- Encyclopédie moderne
Albigeois. On comprenait sous ce nom en France, au treizième siècle, tous ceux qui, prêchant la liberté de conscience, s’écartaient des canons de l’Église et refusaient de reconnaître l’autorité des papes en matière de foi. Ce mot n’avait jamais été pris auparavant dans cette signification, qui d’ailleurs resta toujours vague, parce qu’il désignait non-seulement des hérétiques de sectes très différentes, mais encore ceux qui ne faisaient que favoriser leurs progrès, ou qui en prirent la défense quand on leur fit une guerre ouverte.
Tout le monde connaît la dissolution des mœurs et la dépravation qui, depuis la fin du dixième siècle, s’étaient assez généralement répandues tant parmi le peuple et ses insolents barons que parmi le clergé ; on sait encore que les évêques et les abbés songeaient alors bien plus aux jouissances de toute espèce, et aux moyens d’en faire les frais, qu’au salut des fidèles et à leurs devoirs pontificaux. Il est impossible de nier ce malheureux état ; et les épîtres du célèbre Grégoire VII seraient là pour convaincre les incrédules de cette vérité. Mais dans ces temps de détresse et de scandale, on vit paraître plusieurs hommes distingués oui, indignés des désordres qui souillaient l’Eglise, firent tous leurs efforts pour l’en retirer et la ramener vers la simplicité et l’austérité des premiers siècles. Dans la France méridionale, Pierre de Bruys et Henri de Lausanne s’élevèrent contre le baptême des enfants, le sacrifice de la messe, l’adoration de la croix et l’efficace des bonnes œuvres ; Arnaud de Bresce y attaqua la hiérarchie des prêtres, et s’efforça de ramener dans l’Église le régime presbytérial ou républicain ; les Patarins et les Cathares signalèrent de nouveaux abus, et augmentèrent le nombre toujours croissant des hérétiques, connus alors sous les noms de Pétrobusiens, de Henriciens, etc.
La Gascogne, le Languedoc, et surtout le comté d’Albi, étaient le siège principal de ces réformateurs : c’est ce dernier pays qui, dans la suite, fit donner à tous les sectaires indistinctement le nom général d’Albigeois, quoique ces sectes religieuses n’aient point eu entre elles unité de croyance. Divisés sur plusieurs points de leur profession de foi, ils étaient d’accord dans le désir d’une réformation de l’Église, de l’épuration des mœurs, et dans la ferme conviction que la parole divine écrite peut seule faire autorité en matière de religion. Ces hommes courageux furent partout expulsés, partout condamnés, mais jamais réfutés : toutefois leur zèle ne se refroidit point, ils employèrent tous leurs efforts à dessiller les yeux de leurs concitoyens, à leur faire apercevoir leur malheureuse situation et leurs vrais besoins, et à les faire revenir de leur attachement superstitieux et débonnaire pour les moines. Plusieurs d’entre eux, surtout leurs chefs, expièrent leur audace au milieu des flammes. Mais les sectes se multiplièrent en raison directe des persécutions qu’on leur faisait éprouver.
Pierre de Vaud (Petrus Valdus) attaqua avec une nouvelle force les abus de l’Église dominante, vers l’an 1170. C’était un honnête négociant de Lyon, qui, frappé par la mort inopinée d’un de ses amis, se concentra en lui-même, et médita sur les voies inconcevables de la Providence. Ses réflexions le portèrent insensiblement plus loin, et une bible latine qu’il trouva acheva de former sa conviction sur la doctrine catholique romaine. Il s’entoura d’un petit nombre d’auditeurs, mit entre leurs mains une traduction du Nouveau Testament, des Psaumes et de plusieurs chapitres tirés des ouvrages des Pères de l’Église, et commença à leur en expliquer le texte et à en interpréter le sens. Sa réputation s’agrandit ; un grand nombre de Lyonnais demandèrent à être admis à ses instructions, et plusieurs de ses disciples allèrent publier au loin sa nouvelle doctrine, qui alors faisait le sujet de toutes les conversations, et en faveur de laquelle la majorité de la nation semblait disposée. Les principaux points de cette doctrine étaient les suivants : « Les décisions de l’Église, en matière de foi, sont de nulle autorité ; la Bible seule peut décider. Le sacrifice de la messe, l’adoration des saints, le trafic des indulgences, ne peuvent être tolérés. Le chrétien doit être pauvre, car les biens de ce monde l’éloignent de l’amour de son Dieu. Les cérémonies sont inutiles, ne font qu’embrouiller le culte, et les prêtres ne sauraient avoir le privilège d’administrer les sacrements. » Quelque opinion que l’on se soit formée de ces doctrines, on a de tout temps été forcé de convenir de la pureté, de la simplicité et de l’austérité de mœurs qui caractérisaient les Vaudois ; on a rendu à leur moralité et à leur conduite politique une éclatante justice : d’ailleurs ils pensaient que tout ce dont ils demandaient la réforme n’appartenait point au christianisme primitif, n’en faisait pas une partie intégrante et nécessaire, mais s’y était glissé dans la suite des temps.
Le clergé poussa de grands cris ; car ils ne s’étaient point bornés à réformer sa doctrine, ils menaçaient ses intérêts les plus chers, et s’en firent ainsi un ennemi irréconciliable. Ils furent condamnés comme hérétiques, persécutés sur tous les points du pays ; et les rois de France et d’Angleterre étaient même disposés à les exterminer par le fer et le feu, quand on jugea préférable de créer cette horrible inquisition, dont le coup d’essai fut le carnage de ces malheureux. Les hérétiques se dispersèrent, et portèrent leurs doctrines sur d’autres points du royaume, que les persécutions à la fin les forcèrent de quitter. Ils fondèrent presque aussitôt à Metz et à Strasbourg des établissements considérables, malgré les bûchers qui les attendaient, et reparurent immédiatement dans le Languedoc, où la ville de Toulouse devint leur siège principal.
Roger, comte d’Albi, et Raymond VI, comte de Toulouse, étaient accusés de les favoriser, et furent soumis à des expiations humiliantes ; mais le désir de s’emparer de leur beau pays contribua bientôt à faire éclater la guerre qu’on leur déclara sous le prétexte de la religion. Innocent III fit prêcher une croisade contre les Albigeois ; Simon de Montfort et les légats Arnaud de Cîteaux et Milon la commandaient. Elle commença en 1209. La ville de Béziers fut prise ; environ soixante mille de ses habitants furent livrés au fer et aux flammes ; les plus belles contrées de la France furent horriblement ravagées, et l’on disposa à volonté du patrimoine des malheureux comtes. Les indulgences que le pape accordait à pleines mains multipliaient continuellement le nombre des croisés ; et les Albigeois, après une défense vigoureuse, durent enfin succomber. La paix fut conclue en 1229 ; l’inquisition se chargea d’achever la conversion de ces malheureux, d’extirper l’hérésie dans ses racines, et leur pays se couvrit de nouveaux bûchers. Cette affreuse oppression les força encore une fois de chercher un asile dans la Lombardie et le Piémont, au milieu, des paisibles vallées des Alpes, qui cependant ne suffirent pas pour les garantir des nouvelles horreurs que leur préparèrent, de l’aveu d’innocent VIII, Albert de Capitaneis et Hugues des Marais. Toutes ces persécutions cependant ne servirent qu’à invétérer leur haine contre l’église dominante et à retremper leur courage ; ils subsistèrent sous le nom d’Église française jusqu’au temps de la réformation.