Almanach

  • Encyclopédie de famille

Almanach. C’est le nom vulgaire des calendriers et de tout ouvrage annuel ayant en tête ou à la fin un calendrier. Suivant les grammairiens, ce mot vient de deux mots arabes ou hébreux qui signifient le compte. Mais on a proposé bien d’autres étymologies, en rapport avec le cours des mois ou de la lune. Gohins veut que ce mot vienne de almanha, qui dans les langues orientales signifie étrennes, parce que les astronomes, en Orient, sont dans l’usage d’offrir un livre d’éphémérides à leurs princes au commencement de chaque année. Quoi qu’il en soit, on le trouve pour la première fois dans un fragment de Porphyre cité par Eusèbe, où, parlant de divers horoscopes, il dit que leurs noms sont contenus dans les almanachs.

Sitôt que les peuples ont possédé quelques notions d’astronomie, ils ont eu des almanachs ; on en trouve dans la plus haute antiquité, chez les Chinois, les Indiens, les Égyptiens et les Grecs ; les Romains les appelaient fastes. Dans tous les pays chrétiens ils furent d’un usage général ; avant l’invention de l’imprimerie, on les affichait, on les copiait dans les livres d’église, où ils servaient à indiquer l’époque des fêtes religieuses ; on faisait aussi des calendriers perpétuels, qui pouvaient être consultés pendant très longtemps, car l’usage des almanachs annuels ne remonte pas au delà du seizième siècle, où l’on voit Rabelais publier l’Almanach pour l’année 1533, calculé sur le méridional de la noble cité de Lyon, et ceux des années 1535, 48 et 50. Jusque là l’astrologie ne s’était pas introduite dans les almanachs français, comme autrefois chez les Romains et les Anglo-Saxons ; mais, sous le règne de Henri II, Nostradamus commença, aux applaudissements de la cour, la publication de ces almanachs chargés de prédictions mensongères qui de nos jours encore entretiennent la superstition dans les campagnes. L’impulsion était donnée ; Matthieu Laensberg, dont le plus ancien almanach connu remonte à 1636, continua l’œuvre de Nostradamus. Charles-Quint, mécontent, dit-on, des horoscopes de quelques astrologues indiscrets, fit un monopole de la fabrication des almanachs à son profit. En Angleterre, vers la même époque (1644), Lilly devait la vogue prodigieuse de ses almanachs aux oracles obscurs et emphatiques qui les accompagnaient. On prétend que Cromweil le faisait parler à coup sûr. Mais les gouvernements avaient pris l’éveil, et en France on voit déjà du temps de Charles IX apparaître une ordonnance exigeant avant l’impression de tout almanach le visa de l’évêque du diocèse. En 1579 Henri III défend d’insérer dans ces publications aucune prédiction relative aux affaires politiques, défense renouvelée par Louis XIII en 1628.

Parmi les anciens almanachs il faut citer le Compost ou Calendrier des Bergers, fait pour les gens qui ne savent pas lire. Il remonte à 1493 ; tout y est exprimé en hiéroglyphes ou signes de convention. Ces signes indiquent les phases de la lune, les dimanches, les fêtes et les jours ouvrables, les temps où il fait bon saigner (une lancette), se purger (une pilule), se couper les cheveux (des ciseaux), fumer la terre (une fourche), couper le bois (une cognée). Le beau temps se marque par un cercle vide, le tonnerre par un foudre, le vent par une tête joufflue soufflant, etc. En tête de chaque mois se trouve une gravure représentant quelque circonstance particulière à ce mois, puis, mêlées au texte hiéroglyphique, huit ou dix images de saints.

En Allemagne, avant l’invention de l’imprimerie, l’almanach s’enseignait dans les écoles ; le calendrier avait été réduit en une suite de vers barbares qui commençaient par ces mots : Cisio Janus, et qu’on faisait apprendre par cœur ; les mots de Cisio Janus finirent par devenir synonymes d’almanach. Mélanchthon, ami et disciple de Luther, réforma cet almanach. Ce fut un premier pas dans une voie d’amélioration. L’almanach ne fut plus seulement une indication des divisions astronomiques ou conventionnelles du temps, il sut se créer une autre importance, en contribuant puissamment à l’instruction du peuple. Au dix-huitième siècle on commence à voir paraître en France des almanachs qui parlent au peuple tout à la fois de réformes politiques, de découvertes agricoles, etc. Comme les almanachs, en s’adressant à tout le monde, exercent une grande influence, plusieurs gouvernements ont cru devoir s’en réserver le monopole. En Angleterre, le doit de publier les almanachs était encore il n’y a pas longtemps le privilège exclusif d’une compagnie qui était sous la dépendance du gouvernement ; ces publications étaient en outre assujetties au timbre.

En France, l’autorité fait publier l’Almanach Impérial, qui, sous le nom d’Almanach Royal, parut pour la première fois en 1679 ; alors il ne contenait, outre quelques prédictions et les phases de la lune, que le départ des courriers, les fêtes du palais, les principales foires du royaume, et les villes ou l’on battait monnaie ; il parut sous cette forme jusqu’en 1607, époque où son auteur, Laurent Houry, libraire de Paris, eut l’idée d’y joindre des notices statistiques et la liste des principaux dignitaires et fonctionnaires de l’État. Louis XTV, singulièrement flatté de cette longue énumération des titres et dignités dont étaient revêtus les seigneurs de sa cour, si riche en classifications nobiliaires de tout genre, renouvela en 1699 le privilège de cet almanach, qui dès lors contint les naissances des princes, les noms des personnages importants dans le clergé, la robe, l’épée, etc. Cet Almanach fut appelé national sous la première république, impérial sous d’empire, royal sous la restauration, royal et national après la révolution de 1830, national après 1848, et impérialdepuis 1853. Les différents gouvernements étrangers imitèrent successivement l’exemple donné par Louis XIV, et dès la fin du dix-huitième siècle il n’y eut pas de si petit prince d’Allemagne qui n’eût aussi son Almanach d’État, imprimé avec privilège et autorisation dans sa résidence. L’Almanach Royal de Prusse date de 1700 ; celui de Saxe, de 1728 ; celui d’Angleterre, Royal Calender, de 1730. N’oublions pas l’Almanach de Gotha, qui se publie depuis 1763, et qui contient la généalogie des souverains et des princes de l’Europe, des maisons comtales auxquelles les États de la Confédération germanique ont reconnu le droit de prendre le titre d’illustrissime, un annuaire diplomatique très étendu, une chronique politique détaillée, etc.

Le véritable père des almanachs d’adresses est incontestablement un volume in-8o, publié en 1691 et 1692 par le sieur de Blegny, sous ce titre : Les adresses de la ville de Paris, avec le Trésor des Almanachs, livre commode, etc., par Abraham du Pradel, astrologue Lionnais. Plus tard nous trouvons l’Esprit du commerce pour l’année 1754, rendu aussi utile que nécessaire, par M. Roslin, ancien syndic des experts écrivains jurés de Paris : ce petit livre de 216 pages avait déjà paru en 1752, d’après une indication que porte le privilège. Il y eut ensuite une série d’Almanachs de Paris, contenant la demeure, les noms et qualités des personnes de condition dans la ville et faux-bourgs de Paris, qui parut de 1773 à 1792. En 1769, on avait imprimé l’Almanach général d’indication d’adresses personnelles et domiciles fixes des six corps arts et métiers, par le sieur Rose de Chantoiseau, fort vol. in-8o, dédié en 1772 au Dauphin sous ce titre : Tablettes royales de renommée, ou Almanach général d’indication des négociants, artistes célèbres et fabricants des six corps, etc. Enfin, en 1787, on publia le Provincial à Paris, ou État actuel de Paris, 4 vol. in-18, avec cartes : la moitié dé chaque volume, sous le titre de Viographe, passe en revue tous les marchands et personnages de marque domiciliés dans chaque rue. En 1789, M. Levent publia l’Almanach général des marchands, négocians, armateurs et fabricans de la France et de l’Europe, et autres parties du monde, in-8o.En 1788 parut l’Almanach général du commerce, de M. Gournay ; il n’en fit imprimer que deux années. Après lui vint, en 1797, l’Almanach du commerce de Paris, par M. Duverneuil. Ce n’était d’abord qu’une simple nomenclature, qui ne prit forme qu’en 1801, époque où J. De La Tynna commença à lui donner ces augmentations graduelles qui en ont fait une sorte d’inventaire statistique annuel du commerce et de l’industrie de Paris, de la France et des principales villes du monde. Après la mort de J. De La Tynna, en 1818. Sébastien Bottin continua son recueil, sous ce titre : Almanach du commerce de Paris, des départements de la France et des principales villes du monde, contenant pour Pans seulement 50,000 adresses. Des concurrences s’élevèrent, et on fit différents Almanachs ou Annuaires des commerçants ou de l’industrie. De 1814 à 1848 parut l’Almanach des 25,000 adresses des principaux habitants de Paris, contenant les noms et demeures de tout ce que Paris renferme de personnes distinguées par leur rang ou leurs fonctions, etc., in-18. En 1835, l’imprimeur Lutton, qui se chargeait aussi de la distribution d’imprimés dans Paris, eut l’idée de publier un recueil d’adresses qu’il appela Almanach général parisien. Il avait imaginé de donner, outre la liste des noms des habitants par ordre alphabétique, leur classement par rue et par numéro de maisons. En 1837, il se forma une société des Annuaires, qui devait publier un Annuaire commercial, un Annuaire judiciaire et un Annuaire diplomatique, sous la dicertion de M. Paul Henrichs, attaché au ministère des affaires étrangères. L’Annuaire commercial fut seul publié ; après deux années d’insuccès, la propriété passa dans les mains de MM. Firmin Didot frères, qui n’épargnèrent aucun sacrifice pour augmenter l’utilité de ce recueil. L’Annuaire du commerce, ou Almanach des 500,000 adresses, contenait à la fois les adresses de Paris, des départements et de l’étranger. Les relations des nouveaux éditeurs avec toutes les parties du monde procurèrent les renseignements les plus utiles à cette publication. MM. Didot ayant acquis le matériel de l’Almanach parisien, en 1845, joignirent 9a liste des habitants par rues et par numéros à leur Annuaire du commerce. En 1857, ils y réunirent l’Almanach Bottin qui était devenu la propriété de la veuve Bottin. De tous les points du globe, les consuls, les administrations et les principaux négociants envoient des communications qui donnent à cet ouvrage une grande exactitude et font de l’Annuaire-Almanach du commerce et de l’industrie, ou Almanach des 500,000 adresses (Didot-Bottin), un livre vraiment indispensable à tous les commerçants et hommes d’affaires.

D’un autre côté, la littérature et la spéculation ont travaillé à rendre les almanachs dignes des peuples civilisés. Pendant longtemps nous avons eu l’Almanach des Muses, l’Almanach des Dames, etc., où bons et mauvais poètes apportaient chaque année le fruit de leurs inspirations. Les Allemands ont embelli les almanachs littéraires de gravures, de musique, de contes, et à leur exemple les Anglais ont ajouté aux almanachs du beau monde le luxe des gravures et les compositions littéraires de leurs meilleurs écrivains. La gravure sur bois nous a donné une multitude d’almanachs illustrés.

L’illustration s’est étendue jusqu’à ces almanachs qui, connus sous le nom d’Almanachs de cabinet, se composent d’un calendrier collé sur une feuille de carton. Déjà aux quinzième et seizième siècles on composait en Allemagne et en Italie des almanachs ornés de parties gravées, représentant divers attributs et sujets historiques. Vers 1610 cet usage s’introduisit en France, et quelques-uns de ces almanachs français figurés présentent une exécution remarquable. En 1650 on commença à leur donner de grandes dimensions, et quelquefois presque toute la feuille est occupée par une estampe : il ne reste qu’une petite place à l’almanach. Ces almanachs devinrent moins nombreux sous Louis XV ; on en fait encore de nos jours.

Parmi les almanachs utiles, nous devons citer le Bon Jardinier, qui donne des conseils pratiques à l’agriculteur. Il y a en outre l’Almanach de l’Agriculteur, l’Almanach de la ferme, le Bon cultivateur, etc. Quelques industries, comme la boucherie, la charcuterie, la bijouterie, etc., ont un almanach spécial. Parmi les almanachs spéciaux il ne faut pas oublier l’Almanach des chemins de fer. Nous avons encore l’Almanach chantant, l’Almanach gourmand, etc. L’almanach étant la lecture la plus habituelle du peuple, et la seule d’une infinité de gens, les partis politiques, successeurs des partis religieux, ont cherché à répandre leurs idées par ce mode de publication. L’Almanach de France avait pris à tâche de répandre dans les campagnes des notions utiles sur le droit civil et politique, sur l’agriculture, sur l’hygiène, etc. L’Almanach des Villes et des Campagnes voulut leur porter des considérations et des anecdotes morales. Ces publications n’ont pas détrôné l’ancien almanach : le Double ou Triple Liégeois, rempli d’anecdotes saugrenues et de prédictions sur le temps, est encore celui qui se tire en plus grand nombre. Les Liégeois s’impriment à Paris, à Rouen, à Troyes, à Châtillon-sur-Seine, à Nancy, à Reims, à Moulins, à Amiens, à Abbeville, à Bar-sur-Seine et à Auxerre.

Pour l’homme des campagnes, qui aurait tant besoin de connaître d’avance le temps qu’il fera, le seul, le véritable almanach est toujours, en effet, l’almanach à pronostics, le vénérable Matthieu Laensberg. On a souvent essayé de rendre aux almanachs à pronostics une vogue nouvelle, en se servant à propos d’une rencontre heureuse. Lardner raconte que le public anglais fut pris en 1838 d’un véritable engouement pour les pronostics, par suite d’une gelée rigoureuse qui sévit pendant les mois de janvier et février. Il se trouva justement que le jour le plus froid avait été annoncé par un almanach alors en circulation, dont l’auteur était un adroit Irlandais, nommé Patrick Murpuy. La curiosité du public fut si vivement excitée par cette prédiction que l’almanach qui la contenait se vendit à plus de cent mille exemplaires, bien que son prix fut très élevé. La boutique du libraire fut assiégée comme celle d’un boulanger en temps de famine, et la police, pour maintenir un passage libre dans la rue, dut faire ranger les acheteurs en une queue interminable. Un curieux examina les pronostics de Patrick Murphy, et les compara aux changements de temps qui se produisirent pendant une longue période : il se trouva, comme cela devait être, que les prédictions furent mensongères dix-sept fois sur trente-quatre. Lardner dit encore que pour vendre avec plus de facilité certains almanachs à pronostics, on imagina d’y insérer une table ayant la prétention d’indiquer les changements de temps d’après les phases de la lune et à laquelle on avait donné le nom de Table des changements de temps par Herschell. L’empressement à acheter ce document fut grand, quoique aucun des deux Herschell, on le pense bien, n’eût concouru à l’établir. Nous avons vu se renouveler de nos jours cet engouement pour l’almanach à pronostics. L’Almanach de M. Mathieu de la Drôme eut un succès éclatant pour quelques prédictions heureuses. L’Observatoire eut beau crier et relever ses erreurs, on n’en resta pas moins confiant dans le savant sorcier, qui faisait la pluie et le beau temps. La mort de M. Mathieu de la Drôme n’a pas arrêté les succès de son livre, car il parait avoir laissé son secret en mains sûres.

En France le nombre des almanachs s’élevait à quatre cents en 1864.