Amour-propre
- A. Brukbr.
- Encyclopédie de famille
Amour-propre, Amour de soi. Laissant de côté la remarque de Hume sur l’espèce de non-sens produit par l’alliance forcée de ces deux expressions, amour et propre, que l’usage a visiblement dénaturées par un amalgame stérile, prenons ce mot tel quel, comme le seul du vocabulaire qui tienne, en attendant mieux, la place de ce sentiment assez déplorablement baptisé, et considérons de prime abord l’amour-propre comme un ressort d’activité qui ne se développe que dans le monde, et qui se rouille dans la solitude. L’amour-propre n’est jamais purement personnel ; il demande un théâtre, un auditoire, de l’action au dehors, des juges ; il demande surtout des ménagements, des transactions, des bravos. L’amour-propre n’a pas besoin d’être sociable, mais il est éminemment social. C’est à son origine le producteur le plus énergique des petites qualités et dés petits défauts, l’agent qui travaille le moins pour la gloire et le plus pour la gloriole. Il procède par cascades, de la ville au bourg, du village au hameau ; la livrée du laquais le met dans sa prolixe estime fort au-dessus de l’artisan qui n’a qu’une veste : c’est naturel, et c’est mesquin. L’amour-propre est petit, la vanité est fière, l’orgueil seul est grand. L’amour-propre ne demanderait pas mieux que de devenir de l’orgueil, mais l’orgueil ne redescend jamais si bas. Ce qui distingue expressément l’amourpropre de l’amour de soi, c’est qu’il détermine quelquefois des hostilités contre son propre repos. L’amour de soi n’inspire pas, comme l’amour-propre, l’obstination des procès avec la presque certitude de les perdre ; il ne fait pas germer les contrariétés mesquines de la jalousie pour des bagatelles et pour des gens qui n’en valent pas la peine. Les fièvres de l’amourpropre sont, au contraire, fréquentes ; il va même jusqu’à croire qu’on s’occupe très volontiers de lui, parce qu’il prend lui-même cette fatigue. Il prête sa préoccupation aux autres, et voilà pourquoi il est démesure chez un auteur. Quelques découvertes que l’on ait faites dans le pays de l’amour-propre, a dit La Rochefoucault, il y reste encore bien des terres inconnues.