Absorption

  • Physiologie
  • A. Duponchel
  • Encyclopédie moderne

Absorption. Absorptio ; aborbere. On entend par absorption, en physiologie, une action par laquelle les fluides présentés aux différentes surfaces des corps organisés y sont pompés, en plus ou moins grande quantité, pour aller de là contribuer à de nouvelles fonctions. On voit, d’après cette définition, que l’absorption, dont l’exhalation n’est qu’une conséquence, est sans contredit le plus général des phénomènes organiques, puisque, non-seulement dans les végétaux, mais encore chez les animaux, depuis l’infusoire, depuis le polype à tissu homogène, jusqu’à l’homme à organes si compliqués, les actes physiologiques ne s’accomplissent que par l’absorption, la vie n’est entretenue que par l’absorption.

L’absorption est-elle une action vitale ? est-elle une action purement physique, ou, pour mieux dire, mécanique ? Les opinions sont partagées à cet avis, et chacune d’elles est soutenue par des hommes dont le nom peut faire autorité.

Nous ne remonterons point plus haut que Bichat, que nous regardons comme le véritable fondateur de la science de l’organisme. Ce grand physiologiste n’admettait point que les phénomènes de la porosité ou de l’imbibition pussent avoir lieu dans les tissus vivants ; d’après lui, les propriétés vitales, en lutte continuelle avec les lois physiques, avaient toujours le dessus, tant que la vie persistait.

L’absorption, selon Bichat et son école, s’accomplit sous l’influence d’un système nerveux particulier, du système nerveux ganglionnaire, qui se montre chez tous les êtres organisés, mais qui existe seul dans les végétaux. Les vaisseaux absorbants reçoivent des nerfs l’impression vitale qui leur est nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions ; ils sont donc pourvus de deux facultés : la sensibilité et la contractilité organique, à l’aide desquelles ils perçoivent d’abord la sensation produite par le liquide, puis se contractent pour l’admettre et le faire avancer. Ces deux actes, qui sont le dernier point auquel puisse remonter l’analyse physiologique, puisque sentir et se contracter sont les premiers actes par lesquels se manifeste la vie ; ces deux actes, disons-nous, sont toujours indépendants de l’encéphale, quand il existe ; mais pour n’être point perçus par le centre nerveux cérébral, ils n’en sont pas moins réels ; ce sont des actes et non une propriété. Bichat admettait même que les orifices des vaisseaux absorbants sont doués d’un tact qui ne leur laisse point admettre indifféremment tous les liquides. « Une membrane séreuse, dit-il, est une surface absorbante, mais une surface absorbante vitale ; elle sait faire un choix entre le bon et le mauvais, admettre ce qui convient à l’écononie, repousser ce qui lui est contraire. »

M. Magendie soutient au contraire que les membranes vivantes, dont on a exagéré, à tort, les propriétés vitales, n’absorbent que comme une membrane inerte. « L’un des préjugés les plus fâcheux qui aient régné et qui règnent encore dans la médecine, dit-il au début d’une leçon, c’est de supposer que tout être vivant, animal ou végétal, est soumis à des lois indépendantes de celles qui gouvernent les autres corps delà nature. » Il faut dire cependant que les expériences dont le savant professeur du Collège de France appuie son opinion, ne sont rien moins que concluantes. L’ecchymose, plus ou moins étendue, qui survient à la suite d’une contusion, est le résultat de l’imbibition, dit M. Magendie. Cela est possible ; mais le fait même de la contusion n’a-t-il point apporté une profonde perturbation dans les propriétés vitales, qui, dans ce cas, ont été surmontées par les propriétés physiques ? L’empoisonnement par absorption, rapporté par le même expérimentateur, comme preuve de la porosité des tissus, ne détruit pas plus l’opinion qui reconnaît l’action vitale des vaisseaux absorbants, que l’empoisonnement par l’estomac ne prouve contre l’action digestive de ce viscère.

On ne peut nier toutefois que, dans certains cas, la perméabilité, la porosité des tissus ne donnent lieu à des phénomènes d’imbibition. Mais, de ce que, quelquefois, les tissus organisés restent jusqu’à un certain point soumis à l’empire des lois physiques ; de ce que certains liquides, sous certaines conditions, peuvent être absorbés par imbibition, conclure que les choses doivent toujours se passer de même, c’est être par trop exclusif. Comment admettre, d’ailleurs, que, par les seules lois de la capillarité, l’absorption s’exerce dans les corps organisés au delà du point de saturation de l’action capillaire ? Comment un polype, habitant de l’eau, pourrait-il absorber continuellement en vertu de la seule capillarité des cavités de son tissu pulpeux, puisque, les cavités capillaires remplies, il n’y a plus d’introduction nouvelle possible ? Dans les tissus vivants, il y a absorption continuelle, parce qu’il y a, comme nous Pavons dit au commencement de cet article, exhalation continuelle.

Un académicien, habile expérimentateur, M. Dutrochet, a fait de son côté des expériences qui semblent au premier coup d’œil infirmer l’action contractile des tissus ; il a démontré que, sous certaines conditions, si, par exemple, deux liquides de densité différente sont séparés par une membrane organique, il a démontré que sous ces conditions il s’établit un double courant d’absorption et d’exhalation, le liquide le moins dense étant attiré par celui qui l’est le plus. Selon que l’imbibition du liquide a lieu de dehors en dedans, ou de dedans en dehors, il y a endosmose ou exosmose. Ce phénomène fut d’abord attribué à l’électricité ; deux fluides de nature différente, séparés par une membrane, composaient, disait-on, une sorte d’appareil voltaïque, dans lequel se formait un courant électrique. Mais des observations ultérieures ont renversé cette hypothèse, et les phénomènes d’endosmose et d’exosmose ont été rapportés uniquement à la capillarité. C’est sur ces deux faits que M. Dutrochet fait reposer ses principes de statique végétale ; l’ascension de la séve est, selon lui, le résultat de l’endosmose, il a de plus appliqué cette loi à tous les corps organisés. Cependant, quelque habilement qu’ait été présenté le fait de l’endosmose, il est difficile de se rendre compte, par lui seul, de tous les phénomènes vitaux. Par l’endosmose, le liquide arrivera bien au lieu de sa destination, mais tel qu’il a été absorbé, à moins qu’il ne s’opère en route un mélange chimique ; jamais il n’y aura de nutrition, de transformation, de création de nouveaux principes, de sécrétions. Que si l’on place dans un vase rempli d’eau deux baguettes de saule de même calibre et de même longueur, l’une frappée de mort, l’autre dans toute la vigueur de la végétation, l’endosmose aura lieu dans la première ; mais le liquide arrivera au sommet tel qu’il a été introduit, sans se combiner avec elle, sans la faire croître, sans lui faire pousser de branches[1]. Dans la seconde, au contraire, l’eau absorbée ne se bornera point à s’élever dans le tissu ligneux ; elle s’y combinera, le fera grandir, favorisera le développement de ses rameaux : ce ne sera plus l’eau que l’on retrouvera, mais bien de nouveaux produits. Pourquoi rien de semblable ne se passe-t-il dans le premier cas ? Parce que l’endosmose est une action mécanique, et rien de plus : il lui manque la vie ; il lui manque l’incitation nerveuse, qui fait de l’absorption une fonction, en donnant aux parties la sensibilité et la contractilité.

Quels sont les vaisseaux à laide desquels s’opère l’absorption chez l’homme et chez les animaux supérieurs ? Cette question est encore le sujet de controverses qui sont loin d’être terminées.

Les anciens ne connaissaient que les vaisseaux sanguins ; ils leur accordèrent donc les fonctions d’absorption. Cependant quelques anatomistes de l’école d’Alexandrie observèrent déjà les vaisseaux lactés, et les virent se rendre aux glandes du mésentère. Dans les temps modernes, les découvertes de quelques savants, et surtout d’Aselli, fixèrent de nouveau l’attention sur les vaisseaux lymphatiques ; après Aselli, les travaux de Bartholin, de Guillaume Hunter, jetèrent un nouveau jour sur l’absorption. Une doctrine complète fut alors établie, et les vaisseaux lymphatiques, dont Jean Hunter, Cruikshank, Mascagni et d’autres anatomistes avaient complété la description, furent seuls chargés de la fonction d’absorber.

Cette opinion cessa cependant d’être exclusive ; M. Magendie et quelques autres physiologistes, sans dépouiller complètement les vaisseaux lymphatiques de leur propriété absorbante, démontrèrent que les radicules veineuses servent de véhicule à la plus grande partie du liquide absorbé.

Nous avons déjà parlé de l’opinion qui étatablit que l’absorption se fait par une sorte d’imbibition, et que les liquides pénètrent dans nos tissus comme l’eau pénètre dans une éponge. Il en résulte que, dans l’état actuel de la science, trois modes d’absorption sont admis, et que l’expérience les avoue tous les trois, bien qu’aucun d’eux ne soit exclusif. Les vaisseaux lymphatiques, les veines, et le tissu perméable, dans quelques cas, connurent donc à cette fonction.

L’absorption, chez les êtres les plus simples du règne organique, comme chez les animaux les plus complexes, se distingue en absorption externe ou composante, et en absorption interne ou décomposante. À l’aide de la première, l’être vivant puise, par tous les points de sa surface extérieure, les matériaux de sa nutrition, dans le milieu qui l’environne, air ou eau ; par la seconde, la matière, destinée à être rejetée au dehors, est retirée de tous les joints de l’organisme. Dans les deux cas, les substances absorbées subissent une élaboration, une transformation. L’air et l’eau, par exemple, se changent en produits organiques sous l’influence de la vie, et les produits organiques, de leur côté, se modifient pour devenir perspirables. Ce mouvement de composition et de décomposition, à un tel état de simplicité, constitue la vie tout entière chez certains êtres, tels que les algues, les conferves, les polypes, et s’opère indistinctement par toutes les parties du parenchyme homogène de la plante ou de l’animal.

Mais en s’élevant dans l’échelle des êtres organisés, on voit le mécanisme de l’absorption se compliquer de plus en plus ; toute la surface de l’être n’est plus propre à cette fonction ; une épaisse écorce, une couche cornée ou épidermique forme une barrière entre une portion de l’organisme et le milieu ambiant ; des organes spéciaux, extérieurs dans les végétaux, comme les racines et les feuilles ; intérieurs dans les animaux, comme les voies digestives et respiratoires, restent chargés des fonctions absorbantes. Et remarquons que ces fonctions deviennent de plus en plus complexes ; que les matériaux nutritifs, chez l’homme, par exemple, ne sont point assimiles à son tissu aussitôt qu’ils sont puisés en dehors ; mais qu’après avoir été élaborés par une première absorption, ils sont charriés sous forme de sang dans toute l’économie, et que pendant cette circulation ils sont assimilés à chaque organe, qui puise ainsi, dans le fluide commun, ce qui convient à sa réparation et à son accroissement.

Si l’absorption de composition est dans un exercice continuel, il est évident que l’absorption de décomposition ne doit jamais s’arrêter ; elle fait disparaître les molécules qui ont servi pendant un certain temps à la composition des organes, afin que de nouvelles molécules viennent les remplacer. Ce double phénomène a été mis hors de doute par les expériences de Duhamel, tout récemment répétées par M. Dutrochet. Quand on fait manger de lagarance à de jeunes poulets, leurs os se teignent en rouge ; au bout d’un certain temps, si l’on interrompt cette nourriture, la couleur rouge disparaît.

Il nous resterait à examiner le fait, Pacte de l’absorption, dans les différentes surfaces, dans les différents organes, dans les différents tissus ; mais ces détails ont leur place dans les articles spéciaux consacrés aux différentes fonctions.